Catherine Cusset, autrice de Trois fois au bout du monde – un livre de voyage désopilant ! – paru aux éditions Gallimard en juin dernier, a accepté de répondre à quelques-unes de nos questions. Expatriée dans la ville qui ne dort jamais depuis de nombreuses années, elle a saisi l’occasion de faire une pause afin de nous éclairer sur son dernier livre, de nous confier la raison d’être de son club de lecture new-yorkais mais également de nous livrer les secrets de son rituel d’écriture…
- Trois fois au bout du monde est sorti au début du mois de juin dernier, qu’est-ce qui vous a poussé à raconter ces trois voyages en particulier ?
Le Népal, parce que c’était un voyage hors de notre zone de confort, difficile par certains côtés, mais qui nous a vraiment donné le sentiment d’être au bout du monde, hors de la civilisation. J’ai voulu dire le bonheur de cet éloignement du bruit du monde.
Le Costa Rica, parce que c’est une destination de rêve et que notre voyage a tourné au désastre. Parfois le voyage peut être catastrophique quand on ne trouve pas ce qu’on désirait et anticipait, et cette mise à l’écart de la vie quotidienne, cette parenthèse, peut en révéler plus sur les dysfonctionnements du couple et de la famille qu’une psychanalyse.
La Chine, parce que j’ai vraiment eu l’impression de débarquer dans un autre monde, totalement aliéné, et que ce voyage a aussi défait un certain nombre de mes préjugés contre les Chinois.
- Dans votre livre, vous parlez souvent d’un besoin d’avoir un endroit tranquille pour écrire. Vous évoquez, notamment, une table face à la plage… Serait-ce votre rituel d’écriture ?
La tranquillité, certainement ! Je ne me vois pas écrire dans un café comme Simone de Beauvoir, j’ai besoin de silence. Enfin… New York est très bruyante, dans ma rue il y a tout le temps des travaux. Une fois un ami m’a dit: “Comment tu peux supporter ça ?” Le bruit assourdissant de marteaux piqueurs entrait dans notre appartement mais je ne m’en rendais même pas compte car j’étais absorbée par mon travail, très concentrée. J’aurais plus de mal avec le bruit de voix, car je serais tentée d’écouter les conversations, et distraite.
Une table face à la mer, c’est le rêve, mais je me contente d’une table et de silence. J’écris le matin, dès le réveil, après avoir fait mon café. Le cerveau travaille pendant la nuit et je suis toujours inspirée le matin, j’ai des idées nouvelles.
- Vous lisez beaucoup. Quels sont, pour vous, les livres indispensables à emmener en voyage ?
Un gros roman qu’on aimera, qu’on aura envie de retrouver le soir pour s’endormir ou à n’importe quel moment de la journée. Mais ce n’est pas facile de trouver un roman qu’on aime ! J’ai aimé L’amie prodigieuse d’Elena Ferrante. En ce moment je relis Angle of Repose de Wallace Stegner. Au besoin je retourne vers les classiques : Guerre et Paix, Anna Karenine, Les frères Karamazov, Middlemarch, Les illusions perdues, À la recherche du temps perdu…
- Vous avez créé un club de lecture à la maison française de New-York : comment l’idée vous est-elle venue ?
A New York beaucoup de gens parlent français et il n’y avait pas un seul club de lecture en langue française ! J’ai été curieuse de discuter de romans français avec des lecteurs américains qui ont une perspective différente — et souvent, pas les mêmes goûts que moi.
- Nous sommes curieux… Quels sont les lecteurs qui participent à vos réunions ? Est-ce que ce sont uniquement des français expatriés ?
Non, pas du tout. C’est un mélange. Quelques Français expatriés, des profs de français, des étudiants de NYU, et des Américains qui ont étudié le français et à qui manquent la langue et la littérature.
- Une idée du titre du livre dont vous discuterez lors de votre prochain club lecture ?
Tropique de la violence de Natasha Appanah, je pense.
- Vous vivez à New-York depuis de longues années maintenant. Comment est perçue la littérature française de l’autre côté de l’Atlantique ?
La littérature contemporaine n’est pas connue si bien que ça car les Américains traduisent peu. En dehors de Houellebecq, les quelques rares romans français à avoir connu un vrai succès aux États-Unis ces quinze dernières années ont été Suite française, L’élégance du hérisson, HHHH, et Chanson douce. On peut avoir un succès d’estime (c’était le cas de mon roman Vie de David Hockney publié par Other Press), mais un succès commercial, c’est plus rare !
- Vous évoquez souvent, et avec nostalgie, la Bretagne dans Trois fois au bout du monde : qu’est-ce qui vous manque le plus ?
Là elle ne me manque pas car j’y suis depuis le début du confinement en mars dernier. Quand je n’y suis pas, me manquent la mer, le vent, la beauté de la lande, la nature sauvage. C’est le lieu où je me ressource, où mes angoisses s’apaisent, où je trouve l’inspiration.
Propos recueillis par Emmanuelle Henry