Trois fois au bout du monde de Catherine Cusset se fait le guide parfait d’une anti-voyageuse des temps modernes. Sans jamais se départir de son humour grinçant, elle nous conte ses (més)aventures dans trois voyages qu’elle a effectués entre 2013 et 2019. Un livre plus que bienvenu dans un monde où tous nos rêves d’évasion ont été mis en suspens. Prêts à partir à l’autre bout du monde ?
Par choix ou par obligation, nombreux sont ceux à passer les vacances d’été 2020 à la maison. Le temps vous semble long ? On vous comprend… Mais, fort heureusement, nous avons la littérature pour nous évader. Aujourd’hui, nous vous proposons de vous envoler très loin de chez vous en compagnie de Catherine Cusset. Trois fois au bout du monde, paru aux éditions Gallimard le 4 juin dernier, vous entraînera dans trois voyages pour le moins insolites.
D’abord au Népal, puis au Costa Rica et enfin en Chine, Catherine Cusset propose à ses lecteurs d’aller à la rencontre de l’humain mais aussi d’eux-mêmes. Après tout, ne dit-on pas que les voyages forment la jeunesse ? Avec beaucoup d’humour, l’autrice expatriée, qui partage sa vie entre New York et la France, nous décrit l’incongruité des situations dans lesquelles elle s’est retrouvée au travers de ses différents périples.
À la manière de son livre intitulé Confession d’une radine, Catherine Cusset n’hésite pas à rire d’elle-même dans Trois fois au bout du monde. Cette fois-ci, ce n’est pas de sa radinerie dont il est question – quoiqu’un petit peu quand même – mais de son visage de voyageuse « trouillarde ». Loin de qualifier son nouvel ouvrage de récit de voyage, Catherine Cusset vous parlera de sa découverte du monde et des liens renoués avec sa personnalité intérieure. C’est amusant, parfois dépaysant mais toujours incisif. En somme, du Catherine Cusset à l’état pur ! Et si l’on devait ne retenir qu’une seule chose de Trois fois au bout du monde, ce serait la suivante : les voyages sont instructifs peu importe le lot de déconvenues qu’ils entraînent…
Trois fois au bout du monde : portrait d’une anti-voyageuse
Dès les premières lignes du roman, Catherine Cusset se montre franche « j’ai toujours été une plante d’appartement, une petite nature, une trouillarde ». C’est assez amusant quand on sait que l’autrice a quitté la France, son pays natal, pour aller vivre de l’autre côté de l’Atlantique il y de cela plus de vingt ans. Comment a-t-elle donc pu se retrouver à faire un trek au Népal par des températures qui vous feront frissonner rien qu’à leur évocation ? Vous nous croiriez si on vous disait que ce voyage résulte d’un désaccord entre sa sœur, Sophie, et l’une de ses amies ? Non ? Pourtant, c’est bien ce qui a fait décoller Catherine Cusset et sa famille en direction du Népal…
Catherine Cusset se lance dans un trek au Népal
Ce trek au Népal, l’autrice en gardera un souvenir mémorable… Perdue au milieu de nulle part avec son mari, Vlad, et sa fille, Claire, elle s’émerveille de la beauté brute d’un pays préservé du tourisme de masse. Et on comprendra rapidement que le dépaysement est l’un des critères majeurs de l’autrice quand elle se décide à sortir de sa tanière. Privée de douche, de chaleur et de confort, Catherine Cusset va pouvoir se confronter à elle-même et à son écriture « quel bonheur d’écrire et de tenter de mettre des mots sur des sensations pour en garder la trace ».
Bref, toutes les conditions étaient réunies pour un travail d’introspection qui décidera de l’avenir de toute la famille… En effet, en 2013, Catherine Cusset vivait à Londres mais une opportunité professionnelle offerte à son mari leur donnait la possibilité de retourner à New York : « Londres ou New York, qui dans le monde a ce choix ? ». Telle était la question. Pendant ces six jours comme hors du temps, l’autrice nous partage, dans un texte sous la forme d’un journal, ses émotions ambivalentes. Partagée entre la crainte d’un avenir dont elle ne détient pas encore les clés, la peur de prendre la mauvaise décision et la sensation de liberté que lui procure un pays dont la nature n’aura cesse de l’impressionner, elle est consciente que sa vie est sur le point de basculer…
Catherine Cusset au pays de la désillusion
Après un bond de quelques années dans le futur, c’est au Costa Rica que nous retrouvons une Catherine Cusset au bord de l’implosion. Ce voyage est certainement le plus comique des trois – enfin pas du point de vue de l’autrice même si aujourd’hui, elle en rit volontiers. C’est un voyage cauchemardesque dans un paradis tropical que nous décrit, avec beaucoup d’humour, notre anti-voyageuse favorite. Et c’est son côté râleur que nous nous délectons de découvrir dans ces quelques pages. Rien ne va plus pour la famille ! Sortis de la routine quotidienne, le mari et la femme découvrent les aspects peu reluisants de la personnalité de l’autre et les disputes éclatent en chaîne. Dans ce pays qui n’est rien d’autre que, selon ses mots, « une sorte de grand parc d’attractions pour touristes américains et canadiens qui n’aiment pas les mauvaises surprises », elle n’y trouvera rien de ce qu’elle était venue y chercher.
Pourtant, les mauvaises surprises, ce n’est pas ce qui va manquer de surgir sur son passage… Elle, qui était venue chercher l’authenticité et le contact avec les populations locales, se retrouve piégée dans un parc à touristes qui l’excèdent au plus haut point « Je préfère un pays avec des villes, des gens, une histoire. La nature je m’en fous un peu. Elle m’emmerde ». Ne vous avait-on pas dit que le ton aussi cinglant que franc de Catherine Cusset ne faisait pas défaut au livre ? L’eau est trop chaude et les hôtels sont tous décevants. Même l’expérience à dos d’éléphant – un des passages les plus drôles de l’ouvrage – ne parviendra pas à l’émouvoir. Eh bien oui, les éléphants étaient pleins de tiques…
Catherine Cusset dans Retour vers le futur
La dernière partie de ce livre de voyage détonnant nous emmène en Chine où Catherine Cusset a été invitée suite à la traduction de son ouvrage intitulé L’autre qu’on adorait. Et là encore, l’autrice ne va pas être déçue de son voyage ! Perdue dans une forêt d’immeubles à perte de vue, la voilà projetée dans une culture aux antipodes de la sienne. Et les mots de Catherine Cusset retranscrivent avec brio cette sensation de malaise. Nous avons l’impression d’avoir atterri dans un autre monde… celui du futur.
La Chine représente le monde de demain et si l’autrice le savait déjà, elle n’en a réellement pris conscience qu’en arrivant à Shanghai. Aussi impressionnante que menaçante, cette ville est autant admirée que crainte. Catherine Cusset s’y sent à la fois observée, mais paradoxalement en sécurité. Là-bas, « Big Brother » est loin d’être un mythe, les caméras vous espionnent à chaque coin de rue. Dans un pays qui vit sous une certaine pression sociale, elle pensait rencontrer des personnes qui comprendraient le sujet fondamental de son livre : le suicide. Mais quelle ne fut pas sa désillusion… Pragmatiques, les Chinois n’appréhendent, tout simplement, pas le monde de la manière que les occidentaux. Les situations cocasses s’enchaînent et les lecteurs, hilares, découvriront une Catherine Cusset complètement coite.
Un livre de voyage truffé d’humour à ne surtout pas lire au premier degré
Certains lecteurs pourront être choqués du langage aussi incisif que cru employé par l’autrice. C’est pour cela que nous préférons vous prévenir, Trois fois au bout du monde n’est pas à lire au premier degré. Les mots de l’autrice, savamment choisis pour leur franchise décapante, sont à décrypter. En effet, c’est une analyse perspicace du genre humain qui se cache derrière les lignes de Catherine Cusset.
Si l’ouvrage porte sur trois voyages, on ne peut pas parler de Trois fois au bout du monde comme d’un récit de voyage au sens propre du terme. Si vous êtes à la recherche de descriptions de paysages, passez votre chemin, ce n’est pas ce dont il est question ici. Catherine Cusset l’avoue elle-même, la géographie était loin d’être sa matière préférée à l’école. Pour elle, le voyage est intérieur. C’est dans sa rencontre avec les populations locales qu’elle espère trouver cet exotisme dont elle semble si friande. En bref, comme le reflète si bien son œuvre littéraire, c’est l’humain qui passionne l’autrice.
Alors, certes, elle se plaint beaucoup – nous sommes sûrs qu’elle ne s’en défendra pas – et ne cache pas ses déceptions, mais ce n’est certainement pas à prendre au premier degré. Elle invite son lecteur à se moquer d’elle et de sa frigidité inhérente. Comment ne pas rire quand une vendeuse chinoise tape « fat is not nice » sur son traducteur alors qu’elle essayait une magnifique robe de soie rouge ? Ou bien quand on lui propose une brosse à dents alors qu’elle cherchait la salle où l’on servait le petit-déjeuner ? Catherine Cusset est démoniaque, elle ne mâche pas ses mots, mais c’est drôle !
De manière aussi détournée qu’intelligente, elle nous invite à nous poser les bonnes questions. Que cherche-t-on à découvrir quand on voyage ? Quelques jours dans un hôtel suffisent-ils réellement à nous faire apprécier les traditions culturelles ? Elle pousse le vice jusqu’à se demander si, finalement, ce n’est pas encore par les livres que l’on voyagerait le mieux « on voyage aussi bien autour de sa chambre, comme dirait l’autre. Le vrai voyage a lieu par les livres ».
En bref, Catherine Cusset n’y va pas par quatre chemins et tant pis, si cela ne plaît pas à tout le monde. Il n’empêche que sa perception du voyage est intéressante. Surtout aujourd’hui, à l’ère du coronavirus. Finalement, n’est-ce pas consolateur de se dire que tous les voyages ne sont pas parfaits ? Et puis, au-delà de sa jouissive autodérision, il se cache une véritable réflexion sur l’être humain, sur la connexion à soi, à la famille, aux autres, mais aussi à l’endroit où nous choisissons de vivre. En une phrase, comme à son habitude, Catherine Cusset déstabilise ses lecteurs avec des mots grinçants, mais teintés d’un humour inégalable.