Retour sur un petit bijou littéraire : la Certitude des pierres (Jérôme Bonnetto)

Paru le 8 janvier dernier, La certitude des pierres de Jérôme Bonnetto met en scène une histoire de moutons, de chiens et de loups. Enfin… pas seulement. Si le roman s’appuie sur un banal fait divers pour dérouler son récit, l’humour ne tarde pas à poindre entre les lignes. Bienvenue dans un petit village du sud de la France !

Cette année, les livres de la rentrée littéraire de janvier n’ont pas eu de chance : d’abord écrasés par l’omniprésence médiatique du livre de Vanessa Springora Le Consentement, ils ont ensuite été éclipsés par la crise de la Covid-19 (oui, oui, je sais, ce féminin sonne curieusement, mais c’est pourtant bien ce que recommande l’Académie française). Pour couronner le tout, la fermeture des librairies durant le confinement les a coupés de leurs lecteurs. C’est dommage, car certains romans publiés en début d’année auraient mérité davantage d’attention de la part des journalistes et des lecteurs. Parmi eux figure celui de Jérôme Bonnetto La certitude des pierres, que son auteur présente modestement comme « une histoire de moutons, de chiens et de loups« .

La certitude des pierres : livre Jérôme Bonnetto

Une histoire de moutons, de chiens et de loups

Dans ce court roman paru aux éditions Inculte, Jérôme Bonnetto raconte un fait divers survenu à Ségurian, village fictif de quatre cents âmes perdues au milieu des montagnes dans le sud de la France. Dans ce lieu isolé à la beauté âpre et sauvage, Guillaume Levasseur, un jeune homme idéaliste et entreprenant, décide de commencer une nouvelle vie en ouvrant une bergerie. Rapidement, il se heurte à l’hostilité sourde des chasseurs du village emmenés par le maçon Anfosso, un gars du coin qui voit d’un mauvais œil l’arrivée d’un étranger sur son territoire. Car l’irruption de Guillaume Levasseur vient perturber un ordre séculaire résumé par une formule qui revient comme un leitmotiv tout au long du roman : « On est chez nous ». Au fil des années, les relations entre le berger et les chasseurs s’enveniment. Les choses se compliquent encore lorsqu’Emmanuel, le fils adolescent d’Anfosso, noue avec le berger une relation d’amitié empreinte de tentation homosexuelle. De petites vexations en affrontements verbaux, la tension entre le berger et les chasseurs monte jusqu’au drame final. Purgée de ses passions, la vie du village reprend son cours dans le silence. On est chez nous.

Sophocle au pays de la soupe au pistou et du rosé à l’apéro

En surface, le livre de Jérôme Bonnetto reprend les codes classiques du roman réaliste et naturaliste (dans ses premières pages, l’arrivée du personnage principal par la route rappelle celle d’Etienne Lantier dans Germinal). Toutefois, sa structure narrative est plutôt celle de la tragédie classique, avec son triptyque exposition – nœud – dénouement et sa composition en cinq actes qui respecte l’unité de lieu (Ségurian), de temps (cinq années rythmées par la fête du village) et d’action (la lutte à mort entre les chasseurs et le berger). Le chœur des villageois est là pour commenter l’action sur scène, tandis que le sentiment de fatalité grandit jusqu’à devenir omniprésent : même la fête du village, événement en apparence joyeux et festif, est placée sous le signe de la Saint-Barthélémy, un nom qui préfigure bien entendu le massacre à venir. Comme dans une bonne tragédie (ou un bon épisode de Game of Thrones), le lecteur est tenu en haleine tout au long du récit dans l’attente d’un dénouement qu’il pressent noir et sanglant.

La satire jouissive et pince-sans-rire d’une société patriarcale fermée sur elle-même

Derrière le tragique, il y a aussi et surtout beaucoup d’humour dans ce roman. Le comique naît d’abord du décalage entre la structure narrative choisie (la tragédie, genre littéraire noble par excellence) et la trivialité de son objet, un vulgaire fait divers commis par une bande de chasseurs alcoolisés. Il se prolonge ensuite dans le jeu de contrastes entre références littéraires et populaires, par exemple dans le choix des figures qui incarnent la violence vengeresse : dans La certitude des pierres, l’antique Busiris (fils de Poséidon et roi d’Egypte connu pour sa cruauté – j’avoue, j’ai dû chercher son nom dans le dictionnaire) côtoie les héros des films du dimanche soir sur TF1 (Charles Bronson – pour celui-là, je n’ai pas eu besoin de dictionnaire…). L’humour et l’ironie vont se nicher dans le style même, comme dans ce passage très ludique où l’auteur croque à la manière de Queneau la médisance ordinaire des chasseurs à l’égard du berger :

« De l’autre côté de la place, on ne s’était pas trop occupé de la bergerie, à quelques noms d’oiseaux près. On comptait les classiques « connards », l’imprécis « pédés » compte tenu de la mixité de la table, le très orienté « gauchos » à proximité du désocialisant « hippie », l’étonnant « péquenots » au contact de « l’intello de mes deux » ou l’impératif fautif « regarde-moi-les ». Il y avait eu quelques expressions verbales aussi, comme « enculer ses moutons » ».

À chaque page, le lecteur se régale d’une bonne dose d’humour noir et pince-sans-rire. Plus qu’un roman, La certitude des pierres est en fait la satire férocement jubilatoire d’une société patriarcale fermée sur elle-même et soucieuse avant tout de préserver sa hiérarchie et ses rituels de la chasse et du sacro-saint apéro au rosé. Lisez ce petit bijou littéraire, vous ne serez pas déçus !

PS : sur un thème un peu similaire, mais traité avec davantage de bienveillance que de férocité, nous vous invitons à lire Pays perdu, un roman dans lequel Pierre Jourde rend hommage aux paysans de Lussaud. Souhaitons seulement à Jérôme Bonnetto de ne pas connaître les mêmes mésaventures que Pierre Jourde s’il remet un jour les pieds dans le village qui a servi de modèle à Ségurian !

One Response

  1. Tom juin 5, 2020

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