John le Carré : le maître de l’espionnage nous a quittés

Samedi 12 décembre, l’auteur britannique John le Carré, maître de l’espionnage, est décédé à l’âge de 89 ans. Il laisse derrière une œuvre prolifique et un regard critique sur la société. Ses romans étaient, pour lui, une manière d’observer les maux du monde à travers une loupe accusatrice…

C’est par le biais de Johnny Geller, son agent littéraire, que nous avons appris la soudaine disparition de David Cornwell, plus connu sous le nom de John le Carré. Celui qui écrivait « j’aimerais que l’on se souvienne de moi comme d’un bon conteur qui aura vécu les passions de son temps » aura marqué les lecteurs de toute une génération et se sera érigé comme le porte-parole littéraire de la Guerre Froide.

mort john le carré

S’il est l’un des auteurs britanniques les plus célèbres de sa génération, il avait l’art et la manière de rester discret. John le Carré ne s’est jamais épanché sur sa vie privée même si, avec le temps, ses fidèles lecteurs ont su déceler, ici et là, quelques touches autobiographiques dans son personnage fétiche, George Smiley « C’est un gentleman. Un amateur de poésie allemande, cultivé, digne, humain. Exactement le personnage que j’aurais aimé être ».

S’il semblait mener la plus banale des vies, loin des lumières médiatiques, en Cornouaille, le passé de John le Carré est tout sauf un long fleuve tranquille. On dit souvent que la pomme ne tombe jamais très loin de l’arbre et cette maxime ne pourrait s’avérer plus vraie que dans le cas de John le Carré. Sa recette miracle pour devenir un auteur de romans d’espionnage renommé ? Avoir été un véritable espion au service de Sa Majesté, pardi !

John le Carré : un auteur aux multiples facettes

C’est à la fin des années 60, lors de ses études à Berne, qu’il est pour la première fois approché par les services secrets. Pourtant, rien ne l’avait prédestiné à l’être… Fils d’un voyou aux multiples frasques, il voue une admiration controversée à son père qui le laisse sans véritable figure paternelle. Mais puisque, selon lui, « L’espionnage, c’est comme les histoires d’amour, tout tient au hasard des rencontres », John le Carré s’en remet aux hasards de la vie pour finalement tracer sa propre route

Après avoir œuvré dans la plus grande discrétion pour les services secrets britanniques, il revient en Angleterre où il commence à écrire. Il aurait pu devenir le maître du thriller mais il c’est dans le roman d’espionnage qu’il trouve sa voie. Loin du glamour de James Bond, John le Carré utilise ses personnages pour critiquer la société de son temps. C’est avec son troisième roman intitulé L’espion qui venait du froid – le premier où apparaît son énigmatique personnage de George Smiley – qu’il rencontre un succès international. Mais c’est en 1965 que vient la consécration puisqu’il devient lauréat du Prix Edgar-Allan-Poe.

Fort de son succès et de son expérience, il explore et analyse les méandres du comportement humain et ses conséquences « Jusqu’où sommes-nous capables d’aller au nom de la légitime défense des valeurs de l’Ouest pour les abandonner en chemin ? ». Pour lui, la Guerre Froide est comme un Miroir aux espions. Tiens, tiens, mais n’est-ce pas justement le titre de l’un de ses romans ?

C’est dans les années 70 qu’il signe la trilogie de Karla qui marquera le point culminant de sa carrière. Dans La taupe, Comme un collégien et Les gens de Smiley, il décortique avec minutie les rouages des services secrets tout en pointant avec cynisme la morale caricaturale du monde occidental. S’il s’agit bien évidemment d’espionnage, on ne peut s’empêcher de comparer l’œuvre de John le Carré au 1984 de George Orwell. Bienvenue dans un monde où le gouvernement a besoin d’un ennemi – fictif ou non – afin de faire exister la logique des services secrets…

Au fil de ses livres, on sent percer un pessimisme incurable et ainsi, en 2012, dans son roman intitulé La constance du jardinier, il couche des mots injectés de colère et de dégoûts : « Un continent se meurt sous nos yeux et nous sommes ici, debout ou agenouillés, à boire du café devant un plateau en argent alors qu’au bout de la rue des enfants crèvent de faim, des malades meurent et des politiciens pourris ruinent le pays qu’ils ont manipulé pour se faire élire ». C’est donc en auteur complètement désillusionné sur la société de son temps que John le Carré termine une carrière impressionnante. Mais cela ne signifiait pas, pour autant, qu’il avait dit son dernier mot…

 

Retour de service : le dernier roman d’espionnage de John le Carré

Publié aux éditions du Seuil le 28 mai dernier, Retour de service est le dernier roman de John le Carré. Eh oui, l’auteur britannique aura usé de sa plume acerbe jusqu’à la toute fin de sa vie. Il semblerait que les services de renseignements n’ont pas encore révélé tous leurs mystères… C’est ainsi que nous retrouvons Nat, un agent des services secrets en fin de carrière, chargé de prendre en charge la direction du Refuge, une sous-station du département Russie. La menace gronde à Moscou et il faut agir… Mais loin d’être seulement un agent du MI6, Nat est également un joueur de badminton passionné. Et cela a son importance ! En effet, c’est là-bas qu’il va faire la rencontre d’Ed, un jeune homme révolté en colère contre le Brexit, Trump et son travail. Un homme insurgé qui va faire basculer la vie de Nat…

En chroniqueur acéré de notre époque, John le Carré livre un portrait saisissant du monde dans lequel nous évoluons. On pourrait presque dire qu’il saute les pieds dans le plat en abordant l’épineuse question du Brexit. Tantôt satirique, tantôt incisif, John le Carré laisse ses lecteurs dans une profonde réflexion sur l’avenir de notre monde avec Retour de Service. En bref, un roman d’espionnage sous haute tension qui ne manquera pas de vous faire réagir. Alors ? Qui a dit John le Carré avait dit son dernier mot ?

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