Un Pays de neige et de cendres : une photographie inédite et sulfureuse de la Laponie finlandaise pendant la seconde guerre mondiale

Un Pays de neige et de cendres est le premier roman brillamment mené par une jeune autrice finlandaise passionnée par la Laponie, le père Noël en moins. On en est même très loin. Prêt à sortir des sentiers battus et des clichés de carte postale ?

Petra Rautiainen est née en 1988 en Finlande. Elle s’intéresse à la représentation du peuple Sami dans les médias et en fait l’objet de sa thèse. Un Pays de neige et de cendres a été traduit en douze langues. Sébastien Cagnoli s’est chargé de la traduction en français. Il a également traduit Purge, le célèbre roman de Sofi Oksanen. Une référence et un gage de qualité.

un pays de neige et de cendres petra rautiainen

Un récit historique entre réalité et fiction

On se rend compte au bout de quelques pages que si on n’est pas un tant soit peu informé sur le contexte historique de ce récit, on va avoir du mal à comprendre. Je me suis donc livrée, pour vous, à un petit travail de synthèse.

Au-delà du cercle polaire arctique, au nord de la Norvège, de la Suède, de la Finlande et sur la presqu’île de Kola en Russie vivent, quelque 70 000 Samis. Samis, et pas Lapons, comme on les nomme communément. En effet, Sami vient de Sapmi qui désigne l’ensemble de leurs territoires et Lapon se rapproche du finnois lapp plus ou moins synonyme de « porteur de haillons ». Les Samis sont unis par une même langue finno-ougrienne (mais qui comprend neuf dialectes) et une même histoire vieille de plus de dix mille ans. C’est un peuple féru de chasse, de pêche, de cueillette et d’élevage transhumant de rennes. Cependant, au cours des siècles, le protestantisme, la colonisation, le libre-échange, le progrès ont transformé leur réalité. Au Finnmark, la puissance de la Terre est une évidence. L’hiver, « la nuit polaire enveloppe tout, les aurores boréales enflamment le ciel de rouge profond, de vert tendre, de blanc laiteux ». L’été, le soleil de minuit brille. Fascinant sur le papier et les photographies, plus délicat pour ceux qui ont du mal à trouver le sommeil, « certains ne se font pas au jour, d’autres à la nuit ».

Ce récit s’attache à un moment historique particulier : la seconde guerre mondiale en 1944, et en parallèle, la guerre de continuation évoquée dans le roman par le journal de Vaïno, interprète au camp d’Inari. La recherche d’Inkeri Lindqvist à Enontekiö s’étend de 1947 à 1950.

La Laponie a été un enjeu territorial dont les Samis furent les victimes. On ressent immédiatement dans le récit cette division qu’il y a entre ces Samis et le reste de la population finlandaise, les uns et les autres étant ancrés chacun dans des cultures et des usages singulièrement différents. Si, en 1944, la Finlande reste encore occupée par l’Allemagne nazie à travers les différents camps d’incarcération implantés, le sort réservé d’un côté aux Samis et de l’autre au reste de la population finlandaise a été relativement différent. Vous le lirez dans le roman. Vous y découvrirez aussi des informations intéressantes sur la Grande Finlande, idéal nationaliste aux relents parfois douteux. Elle est aujourd’hui une idéologie très marginale.

Quête et secrets bien gardés : les ingrédients d’un thriller efficace

Le récit s’organise autour de chapitres qui font alterner deux périodes différentes : le journal de Vaïnö Remes, gardien et interprète d’un centre disciplinaire situé à une vingtaine de kilomètres d’Inari tenu de février à août 1944 d’une part et l’enquête d’ Inkeri, à la recherche de son mari disparu de 1947 à 1950. En se rapprochant de Piera, un vieil habitant sami qui lui loue sa maison, et de Bigga-Marja, la petite-fille de Piera, la journaliste va bientôt recouper les indices d’une histoire dramatique dont les habitants de la Laponie ont été les victimes.

« Que pourrait-on souhaiter ici ? C’est un pays perdu. »

 Le journal de Vaïnö Remes au camp d’incarcération : une saison en enfer

Le lecteur est immédiatement en alerte : pourquoi ce centre ne figure-t-il sur aucune carte ?

« Les prisonniers, Ukrainiens, Soviétiques, Serbes sont répartis dans différentes tentes…j’ai vu une quatrième tente …je ne sais pas à quoi elle sert. […] Impossible de décrire ce camp sans en mentionner la pestilence. Malgré la fraîcheur de l’hiver, un souffle macabre règne partout. »

Le camp est dirigé par le commandant Felde, un allemand impitoyable avec ceux de ses compatriotes considérés comme des traitres à la race : « ce sont les pires ». Pas de Juifs. Un seul prisonnier finnois, Kalle. Il y a quelque chose qui cloche avec ce Kalle. Il circule à peu près librement. Il est proche d’Olavi Heiskanen, l’autre gardien finnois du camp. Vaïnö est intrigué, mais n’a que mépris pour ces « finno-ploucs ».

Le ton est donné dès ces premières pages. Vaïnö travaille pour la Gestapo. Il affirme à Felde qu’il croit en la Grande Finlande et à la race finnoise au nom de laquelle il faut dépouiller « les tribus finnoises de tout élément ennemi ». L’une des occupations principales des gardiens, aidés en cela par un médecin et l’étrange saigneuse-infirmière aux yeux myrtille, est de s’assurer de la race des prisonniers et d’éliminer les « indésirables ». À Inari, « la surveillance entre gardiens est de règle ». Kalle et Olavi se méfient de Vaïnö, tout comme le commandant Felde. Soupçon d’espionnage envers celui qui passe son temps à faire des rapports qu’il adresse tant à la Gestapo qu’à la police finlandaise ?

Il fait -40° et tous les prisonniers doivent aller se laver dehors, torse nu. Tous, sauf Kalle. Pourquoi ? Deux prisonniers sont abattus pour avoir refusé de se laver dans ces conditions. Les morts sont envoyés en Allemagne à des fins de recherche lors de mystérieux transports nocturnes. Pas tous. Certains seulement. Quel rôle joue Saara, la « chamane » saigneuse Same, de « race inférieure » auprès du médecin qui ne sourit jamais ? Prisonnière ? Assistante ? Personne ne sait. « Elle est là depuis toujours ». On le voit, les questions sont légion et les réponses, énigmatiques.

L’enquête d’Inkeri Lindkvist

Inkeri est photographe « elle s’était éprise de photographie dès l’enfance […] elle avait découvert au fil des années que les débouchés n’étaient pas très variés pour les femmes ». Elle quitte son travail pour suivre son mari au Kenya. Elle a passé un certain temps en Afrique et en a mémorisé des images, des odeurs, des couleurs. Elle prétend être employée par un journal pour effectuer des reportages sur la reconstruction en Laponie. Mais elle sait surtout que c’est là qu’on a vu son mari Kaarlo pour la dernière fois.

À cause de la pénurie de logements, elle accepte qu’Olavi Heiskanen demeure locataire. Il est chargé de la construction d’une église. On fait très vite la connaissance de deux personnages, Piera et sa petite-fille Bigga-Marja, qui portent tous deux le costume traditionnel sami très coloré. Le chantier de l’église rassemble « divers accents et idiomes qui se mélangeaient. Il y avait l’anglais des quakers venus de divers états d’Amérique ; il y avait des langues sames dont elle n’avait jamais imaginé la diversité ; il y avait du norvégien, du suédois, et puis le finnois et ses dialectes des quatre coins du pays […] Tout le monde était venu » : C’est le moment solennel de la pose de la première pierre, mais pour nous, lecteurs, un moment clé lorsque Inkeri voit Olavi dissimuler un objet dans les fondations. Elle viendra le récupérer plus tard : c’est une photographie sur laquelle elle identifie des prisonniers de guerre. Son enquête démarre véritablement à ce moment. Elle apprend que son mari a été fait prisonnier. À vous de la suivre dans ses – difficiles – progrès.

Un plaidoyer pour le peuple sami

C’est, pour moi, l’aspect le plus intéressant de ce roman qui montre comment, sous couvert de progrès et de civilisation, on invite un peuple à renoncer à ce qui fait son originalité et sa contribution à l’Humanité dans sa diversité. Le message délivré n’est cependant pas caricatural, en témoignent les relations qui se tissent progressivement, même si c’est au prix de certaines maladresses, entre Inkeri et la petite Bigga-Marja. Tous les préjugés sur les Sames considérés comme un peuple archaïque, « une race inférieure » affleurent à travers ces « pensionnats » où les enfants sames sont « éduqués », ou plutôt conditionnés, au lendemain de la guerre.

Pour aller plus loin…

Je ne peux que vous conseiller Arto Paasilinna et La Forêt des renards pendus (1996), un savoureux roman humoristique à découvrir. Des personnages bien choisis, en particulier une irrésistible nonagénaire Lapone enfuie d’un asile de vieillards. Mais aussi Jour polaire, une série suédoise sur le peuple sami avec Leïla Bekhti.

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