Un bref instant de splendeur : le premier roman saisissant d’Ocean Vuong

Et si on ne pouvait dire la vérité qu’à ceux qui ne la liront jamais ? Comment se sentir chez soi dans un pays qui ne veut pas de vous ? Ce sont deux des nombreuses questions que pose Un bref instant de splendeur, un roman remarquablement traduit aussi étrange que bouleversant.

Pour Little Dog (quel étrange prénom !), le narrateur, l’Amérique, où il est venu fort jeune quittant avec sa mère et sa grand-mère son Vietnam natal, est « un beau pays » mais « tout dépend où vous regardez » et « tout dépend qui vous êtes ».

Résumer ce roman paru dans le cadre de la rentrée littéraire de janvier 2021 est un défi que je vous laisse, cher lecteur, relever tant il est dense et organisé autour de fragments qui jouent avec le temps et les lieux sans pour autant que l’on perde le fil. Ce n’est pas le moindre de ses mérites.

À défaut de pouvoir vous le résumer, sachez que quelques fils conducteurs s’entrecroisent. Souvent…

Premier roman d’Ocean Vuong, un jeune auteur qui vous entraîne dans une quête émouvante et éperdue d’identité

Commençons par les personnages. Nous rencontrons d’abord Little Dog, surnom donné par sa grand-mère. « Pour quelle raison une femme qui avait choisi des noms de fleur pour elle et sa fille traitait-elle son petit-fils de chien ? […] Un nom aussi léger que l’air peut aussi être un bouclier. Un bouclier Little Dog ». Le roman est une longue lettre qu’il écrit à sa mère qui ne sait pas lire et qui ne la lira pas. Dès lors, il peut tout lui dire. Souvent avec une poésie rare.

Lan, la grand-mère, devenue schizophrène à cause de ce que la guerre lui a fait vivre, alterne les moments de lucidité et ceux d’une totale absence au réel. C’est un personnage majeur, comme vous vous en rendrez compte. Pour moi, elle a une influence plus déterminante que la mère de Little Dog.

Rose, la mère, le personnage le plus attristant tant elle est peu armée, dès le départ, pour la vie de misère qui l’attend. Entre elle et son fils, une relation amour/haine ponctuée de gifles retentissantes et de tendresse. Elle ne maîtrise ni sa langue natale, ni l’anglais. Un enfermement à vie dans une forme de solitude.

Trevor, enfin. « Trevor, pick-up rouillé et pas de permis. Trevor seize ans ; jean barbouillé de sang de biche ». Celui qui va révéler à Little Dog son homosexualité. À vous de découvrir l’étrange relation qui va se nouer entre eux : rien n’est simple, chacun se cherche, redoutant manifestement ce qu’il va découvrir sur lui-même.

Bien sûr d’autres personnages défilent dans la vie de Little Dog dont Tiger Woods, lui aussi mi-vietnamien, mi-américain. Un modèle et une promesse d’un avenir meilleur. Mais aussi Paul, qui est -peut-être- son grand-père.

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Un autre fil conducteur à mes yeux est celui de la quête, thématique d’une redoutable efficacité narrative. Quête de soi, d’autrui, du langage salvateur, de la poésie rédemptrice. Au cours de cette quête protéiforme, Little dog aborde sa souffrance, ses souffrances devrais-je dire, en particulier celle liée à l’image paternelle, mais aussi celle de son absence d’identité visible : cette peau trop claire pour un Vietnamien, mais pas assez pour un Américain. Cet « entre-deux » insupportable le fera consentir trop souvent à une forme de soumission qui le révolte, mais lui convient aussi, parfois. Reste le plus difficile, l’acceptation et l’aveu de son homosexualité.

Ce roman n’est cependant pas totalement sombre, et l’auteur a su ménager quelques vrais moments de joie et de partages que vous découvrirez chemin faisant… Rien de pire qu’un livre dont on saurait trop de choses avant même de l’avoir lu.

Ce que j’ai vraiment aimé dans ce livre ? Sa qualité d’écriture d’abord grâce au remarquable travail de la traductrice, Marguerite Capelle. Rendre compte d’une écriture poétique par la traduction est un exercice redoutable. L’actualité des questionnements proposés ensuite : l’exil loin de la terre natale, la question de l’acceptation et de l’adoption d’une culture, l’effort continu que cela demande et les moments de doute que cela génère. L’originalité de la structure d’ensemble enfin, avec l’alternance continue passé/présent, le passage d’un personnage à l’autre, les moments de pure poésie. Cela peut gêner dans un premier temps, mais l’effet de surprise qui en résulte fait qu’on adhère finalement à ce choix qui empêche qu’on s’endorme dans un système narratif maintes fois rencontré et un peu trop confortable.

Un Bref instant de splendeur n’est pas un roman confortable, mais un récit qui nous invite à revisiter notre propre histoire et nos racines.

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