Dans Syngué sabour, Atiq Rahimi donne une voix à celles qui en sont privées

Dans un huis clos poignant, une femme veille sur son mari tombé dans le coma après avoir reçu une balle dans la nuque. Malgré la guerre et la destruction, elle reste à son chevet et lui raconte tout ce qu’elle n’a jamais pu lui dire.

Le décor est planté en préambule. Cette histoire se déroule « quelque part en Afghanistan ou ailleurs ». À vrai dire, peu importe. L’essentiel est dans cette chambre, sur ce lit occupé par un homme, le mari de la narratrice, un combattant blessé et dans le coma. Autour de la maison, le monde s’effondre, les chars traversent les rues, détruisent des maisons, les balles fusent et la mort rôde. La force de ce livre, dès les premières pages, est de nous plonger dans cet univers terrible, sans jamais nous décrire les horreurs la guerre.

syngué sabour prix goncourt 2008

On se sent de trop dans cette chambre, pourtant nous y sommes pour une bonne raison. Tantôt assise à son chevet, tantôt ailleurs dans la maison ou en ville pour récupérer des provisions, la femme de ce combattant a une histoire à raconter. Celle de sa vie, celle que personne, pas même son mari, n’a jamais écouté. Au rythme des prières et des respirations du blessé, elle se confesse, elle dit tout.

Syngué sabour (pierre de patience) : la complainte d’une femme opprimée

Mariée à 17 ans, alors que son époux était encore à la guerre, elle ne le rencontre que trois ans plus tard. Hébergée chez sa belle-famille, elle patiente jusqu’au retour d’un héros parti défendre sa patrie. Et puis, il y a les retrouvailles, la maladresse d’un homme bon qu’à se battre et l’indifférence à son égard. Dans cette chambre, dont les murs sont ébranlés par les secousses des combats, la narratrice nous donne à voir son quotidien. Cette douleur de n’être que de la « viande » pour les hommes.

Ce huis clos lui offre une voix qu’elle n’a jamais eue. Sur le lit, son mari garde les yeux ouverts, mais il est inconscient. Elle le change, le lave, parcourt son corps, le nourrit avec un mélange d’eau et de sucre, administré via un tuyau glissé dans son œsophage. La narratrice attend, elle espère qu’il se réveillera et que cette confession, à laquelle elle se livre, la libèrera de tous les secrets qu’elle garde. Elle ne cache plus rien, des détails les plus anodins aux révélations les plus fracassantes. Elle se lamente aussi. De sa condition et de celles de toutes les femmes qui doivent céder aux injonctions ou disparaître.

Syngué Sabour, prix Goncourt 2008 : un combat contre l’extrémisme religieux

Dans ce roman sensoriel et théâtral, Atiq Rahimi inverse les rôles. L’homme est faible et réduit au silence et la femme combative et courageuse. Assaillie par les tourments, abandonnée de toutes parts, la narratrice se révolte contre l’extrémisme religieux et son hypocrisie et contre ce goût du sang dont les hommes ne semblent par réussir à se passer. Puissant et engagé, Syngué sabour est un livre qui a reçu le prix Goncourt en 2008. Atiq Rahimi l’a écrit en hommage à R.A., une poétesse afghane assassinée par son mari, car trop libre.

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