Six pieds sur terre d’Antoine Dole : des ténèbres à la lumière

Des ténèbres à la lumière. De l’amour à la haine. L’équilibre de la vie ne semble tenir qu’à un fil et Antoine Dole l’illustre avec une cruauté poignante. Six pieds sur terre, c’est beaucoup de choses, mais c’est avant tout le chantre d’une mélancolie latente…

Nous voilà bien loin de la célèbre collection jeunesse des Mortelle Adèle. Antoine Dole – alias Mr Tan pour les plus jeunes – a fait une entrée fracassante sur la scène littéraire. Avec Six pieds sur terre, un livre publié aux éditions Robert Laffont dans le cadre de lrentrée littéraire 2021, il s’est éloigné de son humour habituel pour nous plonger un tourbillon d’émotions fortesEn effet, c’est à coup de métaphores lyriques percutantes que l’auteur nous rappelle que « vivre est une inquiétude qui ne s’apaise pas ». Il semblerait que rien ne semble jamais acquis 

antoine dole six pieds sur terre

Antoine Dole esquisse une nouvelle définition de l’amour  

Qu’est-ce que Six pieds sur terre ? Un livre sur l’amour ? Un livre sur le deuil ? Eh bien un peu des deux, et plus encore… Vous l’aurez sûrement déjà deviné, tous les éléments du drame sont, ici, réunis. Mais bien plus qu’un roman dramatique, Antoine Dole signe un roman d’apprentissage. Oh pas dans le sens strict du terme, nous sommes bien d’accord avec vous ! Mais Six pieds sur terre nous apprend à « tracer un chemin dans les ténèbres et la peur ».  

Sur le papier, comme souvent, la rencontre entre Jérémy et Camille semblait évidente. Tout deux blessés par la vie, le courant les forçait presque à s’entrechoquer. Le destin ? Peut-être… Mais si tel est le cas, il s’est doté d’une ironie cruelle. Pourquoi ? Parce que cette rencontre est tout sauf le fruit du hasard, tout sauf un coup de foudre, mais plutôt le résultat d’une attirance innommable. Celle de la souffrance.  

Jérémy a quinze ans quand sa mère est enterrée six pieds sous terre. Depuis, il ne cesse de se demander comment vivre six pieds sur terre. Quant à Camille, elle a cinq ans quand elle réalise qu’elle est seulement « un écran de douceur pour rendre la douleur acceptable » pour sa mère. À partir de là, difficile d’imaginer que cette rencontre n’a pas été programmée. Camille se fait la métaphore de la mère de tous ceux chez qui elle devine une douleur, du chagrin, un manque. Mais si elle parvient à faire « vibrer en lui les courants d’air tristes », elle se fourvoie « le sourire qu’elle adresse, quand on le lui demande, est une fissure donnant sur du vide ».  

Apathique, Jérémy avance, tremblant, sur le fil ténu de la vie, comme extérieur à tout ce qui lui arrive… jusqu’au jour où Camille lui annonce qu’elle veut avoir un bébé avec lui. Et là, tout s’effondre. Si, jusque-là, il avait semblé « si facile de masquer les choses qui ne vont pas » avec un peu de maquillage, un sourire forcé ou un masque, Jérémy perd totalement pied avec la réalité. Désormais, Camille n’est plus celle capable de raviver les cendres, de faire briller une petite étincelle au bout du tunnel, mais plutôt la braise qui vient mettre le feu à ce qu’il restait de son équilibre fragile… 

Six pieds sur terre : un regard perçant jeté sur la mélancolie 

Le compte à rebours est lancé. Tout n’est plus qu’une question de temps avant que tout ne s’écroule « il suffit de le souhaiter une fois, d’appeler la mort de toutes ses forces, pour qu’elle réponde à l’appel dans les années qui suivent ». Incapable de s’imaginer comme un père, le souhait de Camille sonne le glas de leur histoire d’amour – si elle peut être appelée ainsi, mais également de sa vie. Pour lui, c’est la goutte de trop. Le chaos.  

Et la prose d’Antoine Dole s’en fait la traduction fulgurante. Ses mots dégoulinent d’un spleen étouffant, glacial, presque léthargique « Les lumières du tunnel se succèdent et balaient le visage de Jérémy par à-coups, elles sont autant d’étoiles filantes drainant des vœux stériles ». Jérémy agonise, et pourtant, la lumière ne cesse de briller. Toujours plus fort. L’ineffable s’exprime enfin. 

Et voilà tout le cheminement du livre Six pieds sur terre déverrouiller les motsLibérer une parole qui, jusque-là, semblait indicible. Et c’est ainsi qu’Antoine Dole réussit le joli tour de force de poser des mots sur l’inexprimable. La dépression est abordée avec un tact inégalable, bien qu’elle soit décrite dans sa forme la plus brute. Rien ne vous sera épargné. Après tout… comment tenir debout face au possible qui est en train de s’écrire ?  

Sans jamais se faire moralisateur, Antoine Dole nous rappelle, avec douceur, que la vie continue de s’écouler invariablement. C’est ainsi. Il n’y a pas de retour en arrière possible. Jérémy voudrait reculer, mais on ne revient pas en arrière. Aussi brutal et injuste que ce soit, on ne change pas le passé. Mais l’espoir d’un renouveau est toujours possible… C’est précisément dans ce creux, presque invisible, que subsiste la lumière. Il suffit d’y croire. De toutes ses forces. Et « c’est la preuve pour Jérémy que quelque en lui existait ». 

Parce que « sans même s’en rendre compte, on marche vers ce qui nous rend vivant ».  

Parce que « on apprend, c’est tout. À vivre ». 

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