Entre fresque sociale et enquête policière, Nos vies en flammes, paru lors de cette rentrée littéraire d’hiver, est rude, noir, et peut-être paradoxalement déshumanisé, laissant ses personnages errer comme des silhouettes décharnées.
L’héroïne embrase les Appalaches de David Joy
Cette peinture des Appalaches est esquissée à coups d’allumettes qui embrasent les veines et les herbes sèches, trop sèches de cette région éreintée, asphyxiée par la pauvreté et par les opiacés qui se sont vite transformés en héroïne. David Joy n’élabore pas seulement une fresque de ces montagnes et des hillbillies qui y vivent : il préfère créer une enquête policière, et, en filigrane, crayonner les silhouettes de ces hommes et de ces femmes abandonnés dans les réserves amérindiennes ou même à leur lisière – jetés en pâture à la drogue. Cette dernière semble le personnage principal de Nos vies en flammes, sa raison d’être. Dans la postface, à l’origine un article paru dans la revue America en 2020, l’auteur relate cette déliquescence, ce fléau, traînée de poudre qui tue des centaines de milliers de personnes chaque année aux États-Unis et plus particulièrement dans ces Smoky Mountains dont il est lui-même originaire.
Nos vies en flammes : des cendres d’émotions
Pourtant, si le désarroi se perçoit dans l’ombre violacée des héros de David Joy, il ne laisse pas éclater sa colère ni même ne rend ces pages lourdes de larmes, vibrantes de ce vécu, de ces blessures qu’il laisse transparaître dans la postface si intime. Cela, il le réserve à quelques brèves épiphanies avant que la noirceur brute ne reprenne le dessus, estompant les sentiments qui se devinent tout juste, mais aussi aux derniers chapitres, poignants, poétiques, rachetant presque le temps accordé à l’enquête et le factuel des phrases.
David Joy s’attarde sur les différents acteurs de ce réseau méphistophélique, se concentre surtout sur ses victimes – directes ou collatérales. Ainsi, se croisent dans ces chapitres un homme amérindien étrangement tendre et cynique derrière son addiction, un père face aux démons de son fils, un commandant de police presque transparent et un agent infiltré dont nous ne savons que peu de choses. Leurs existences en frôlent d’autres, papillons de nuit se heurtant à la lumière, promesse de douceur croient-ils. Les émotions sont distantes, comme les lueurs de l’incendie que les héros devinent au loin sans vraiment en avoir conscience. Si la fumée les prend à la gorge et voile l’horizon, les flammes restent invisibles. De même, les sentiments des focalisateurs sont enclos dans leurs cœurs, la plupart du temps impénétrables.