Dans une forêt lointaine, là où les animaux sont dotés de paroles, se cache une librairie pas tout à fait comme les autres… une librairie où les histoires s’entremêlent les unes aux autres pour reconstruire un passé décousu. Si avec Mémoires de la forêt, vous entrez dans un monde fantaisiste, sachez que vous en apprendrez beaucoup sur notre réalité…
Paru aux éditions de l’École des loisirs le 16 mars dernier, Mémoires de la forêt – Les souvenirs de Ferdinand Taupe est un roman jeunesse délicat, poétique et terriblement touchant. Entre un hymne à la littérature et un hommage aux personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer « la nuit s’était imposée aussi rapidement que le voile de l’oubli avait recouvert les souvenirs de la taupe », Mémoires de la forêt nous conte l’aventure extraordinaire d’Archibald Renard, libraire de Bellécorce, parti sur les traces des souvenirs de son ami, Ferdinand Taupe.
Et là, comme de rien, au milieu d’un univers enchanté, voilà Mickaël Brun-Arnaud qui met des mots aussi fins que doux sur la maladie… une maladie qu’il connaît très bien puisqu’il a travaillé pendant dix ans en hôpital pour accompagner les personnes atteintes de maladies neuro-évolutives.
En ouvrant Mémoires de la forêt, vous n’entrez pas dans n’importe quel livre jeunesse… Vous plongez au cœur d’une histoire bercée par la poésie qui souvenirs qui s’échappent au même rythme que l’enfance s’évapore. Néanmoins, s’il est conseillé à partir de 9 ans, une lecture accompagnée par un adulte sera nécessaire. En effet, si le livre de Mickaël Brun-Arnaud est destiné aux enfants, il ne cesse de faire danser le monde de l’enfance avec le monde compliqué des grandes personnes… et ce n’est pas toujours évident de faire la part des choses !
Un livre jeunesse d’aventures singulier et bouleversant
Si la maladie est le thème central de Mémoires de la forêt, il n’en reste pas moins un livre jeunesse addictif. Dès les premières pages, nous voilà plonger dans un mystère… Un mystère qui vous tiendra en haleine jusqu’à la toute fin de cette histoire extraordinaire. Bienvenue à Bellécorce, une forêt située dans un pays imaginaire qui ressemble, ma foi, beaucoup au nôtre. Dotés du don de la parole, les animaux prennent vie à la place des humains dans un quotidien des plus banals. En bref, un roman anthropomorphique dans toute sa splendeur !
Au creux d’un vieux chêne, Archibald Renard tient fièrement sa librairie. Une librairie atypique puisque chaque livre y est unique. En effet, chaque animal qui le souhaite peut déposer un livre et espérer qu’un jour il soit acheté. Tandis qu’il prospère dans son rôle de libraire, Ferdinand Taupe, à la recherche des souvenirs qui le fuient, débarque, paniqué, dans son magasin. Il recherche, désespérément, le livre qu’il a écrit pour compiler ses mémoires, afin de se rappeler les choses qu’il a faites, mais, surtout, les gens qu’il aimés. Manque de chance, ce livre vient justement d’être acheté par un mystérieux client…
Mais, touché par la détresse de son ami aux souvenirs brumeux, il décide de l’accompagner dans la quête de ses souvenirs ou plutôt de celle qui fut sa boussole « si je la retrouve, je sais que je me souviendrai de son nom, je sais que je récupèrerai mes souvenirs – mes précieux souvenirs, des histoires à la pelle, mes envies, mes désirs ». Paniqué depuis que sa bien-aimée, Maude, a disparu, il est prêt à tout pour la retrouver… sauf qu’il n’a aucune idée de l’endroit où elle se cache désormais. Mais puisque « l’audace, ce n’est pas de se forcer à faire ce que l’on n’aime pas faire, c’est d’avoir le courage de changer les choses », il se lance dans la dernière grande aventure de sa vie.
Avec, pour seuls indices, de vieilles photographies jaunies par le temps et les bribes de souvenirs de Ferdinand, nous retrouvons nos deux compères sur les chemins tortueux d’un passé mélancoliquement nébuleux. Mais voyager avec quelqu’un qui perd la mémoire, « c’était prendre un train en aller simple vers son passé, sans espoir de retour, un périple dont les gares disparaissaient au fur à mesure du trajet… » et il leur faudra montrer beaucoup de courage pour arriver au bout de leur quête…
En effet, loin de l’archétype des héros valeureux, nos deux compères dévoilent leurs sentiments dans un flot de tendresse poétique qui ne laissera personne insensible. Chacun, tour à tour, dépasse ses peurs et sort de sa zone de confort pour aller de l’avant et tenter de recoudre le voile étiolé des souvenirs de Ferdinand. Mais si « il n’y a pas que les héros de la littérature qui sont à l’épreuve du temps », Archibald et Ferdinand feront preuve de force, de respect, de courage et d’une amitié indéfectible l’un envers l’autre tout au long de cette aventure aussi singulière qu’émouvante…
Mémoires de la forêt : une ode aux souvenirs ineffables
Vous l’aurez compris, tout le livre jeunesse repose sur la perte des souvenirs de Ferdinand Taupe. Comment peut-on encore exister quand on ne se rappelle plus ce qu’on a fait la veille ? La maladie d’Alzheimer, poétiquement rebaptisée maladie de l’Oublie-Tout par Mickaël Brun-Arnaud, est abordée avec une justesse déconcertante. D’une simplicité si troublante que ses mots d’enfants en deviennent parfois presque douloureux à lire « comment ne pas avoir peur lorsque les portes du souvenir se ferment et que ceux qu’on aime restent coincés derrière ? ». Porté par le style lyrique et musical de la plume de l’auteur, chaque lecteur pourrait être amené à verser une petite larme…
« Malade de l’Oublie-Tout, Ferdinand était devenu une sorte de voyageur temporel, voguant entre les époques comme on passe d’un chapitre à un autre du grand livre de la vie »
Bien au-delà de l’histoire de Ferdinand Taupe, c’est dans l’universalité de son propos que Mickaël Brun-Arnaud réussit à nous toucher en plein cœur. Usant avec brio de son amour pour la littérature, il nous transmet toutes les émotions de ses personnages à travers des phrases envolées qui frappent fort, mais sonnent juste « la maladie de l’Oublie-Tout arpentait l’esprit de Ferdinand comme un croquemitaine, fermait toutes les portes à double tour puis dévorait les clefs, sans aucun espoir de pouvoir les rouvrir un jour ». De son propos enfantin découle une réflexion très mature sans jamais user de grands mots compliqués. Pourtant, c’est bien d’empathie et de solidarité dont il est question tout au long du roman.
Bien plus qu’une incroyable aventure au cœur de cette forêt imaginaire, ce livre jeunesse s’emploie à mettre des mots d’enfants sur l’indicible. Et n’est-ce finalement pas le propos de tout le roman ? De dire tout ce que l’on aurait voulu dire alors qu’on n’en est plus capable. C’est avec une légèreté enfantine que Mickaël Brun-Arnaud réussit le pari de mettre des mots sur tout ce que les malades souffrant de l’Oublie-Tout ne peuvent plus dire par eux-mêmes…
Et c’est ce qui fait de Mémoires de la forêt, un livre jeunesse pas tout à fait comme les autres… Ce livre nous parle d’empathie « accompagner quelqu’un atteint de la maladie de l’Oublie-Tout, c’est accepter d’apprendre à prendre le temps » sans jamais la nommer et c’est, probablement, là que tient toute la force de son propos. En quelques mots seulement : un condensé d’émotions à l’état pur. Une petite merveille que nous pouvons que vous conseiller de mettre entre toutes les mains innocentes, mais aussi entre celles de tous ceux qui auraient perdu le fil de leur vie au hasard des couloirs capricieux de leur mémoire… juste pour leur rappeler qu’il y aura toujours quelqu’un pour leur tenir la main dans le noir.