Dans ce livre-reportage, reportage sur elle, Monica Sabolo, et sur elles, ces femmes d’Action Directe, ces meurtrières, l’autrice croise les enquêtes, créant un double tempo parfois perturbant.
Vie clandestine choisie ; vie clandestine subie
En racontant les militants d’Action Directe, en suivant leurs traces, à rebours, sans vraie logique chronologique, Monica Sabolo remonte aussi le fil de son histoire, comme tant d’auteurs et d’autrices de cette rentrée littéraire d’automne 2022. Elle se cherche autant qu’elle tente de saisir ceux qu’étaient ces hommes et ces femmes qui ont tué, ombres prenant lentement, très lentement une certaine épaisseur alors qu’enfin l’autrice peut rencontrer certaines silhouettes en marge de leur groupe d’anarchistes, recouvrir de chair les faits factuels qu’elle compulsait jusque-là , anecdotes sur une vie clandestine choisie, embrassée comme une évidence jusqu’au meurtre de Georges Besse, le patron de Renault, en novembre 1986.
Sa vie clandestine à elle, l’autrice ne l’a pas voulue – elle l’a subie. Son père œuvrait dans l’obscurité, rapportait des antiquités volées, couvrait de cadeaux ses deux enfants alors qu’il revenait bronzé d’Afrique où il se livrait à des affaires louches. Déjà avant, un voile recouvrait et recouvre toujours certaines facettes de l’histoire de Monica Sabolo, alors elle creuse, se renseigne autant sur ces extrêmes gauchistes que sur ses proches, à la poursuite d’une mémoire qui s’enfuit, s’obscurcit, dévorée par le Sur-Moi qui protège, par les années qui passent et font s’évaporer les détails.
La vie clandestine : deux quĂŞtes, une seule enquĂŞtrice
Pourtant, c’est sur certains de ces détails que l’autrice construit ce livre, en alternance, récit à deux temps, à deux rythmes. Elle crée des ponts entre sa vie d’enfant puis d’adolescente, Joëlle Aubron, Jean-Marc Rouillan, Nathalie Ménigon dont elle prend soin de toujours préciser les noms de famille, comme une façon de se mettre à distance, de respecter un certain côté « Nouveau-Journalisme », factuel malgré les fêlures qu’elle cherche chez les jeunes femmes – ses propres cicatrices en réalité.
Le lecteur ne comprend pas toujours cette volonté de relier deux récits qui n’ont rien en commun si ce n’est cette réflexion sur le bien et le mal, mais surtout l’enquêtrice qui travaille à comprendre, à restituer, plus ou moins froidement, ce qu’elle trouve, ce qu’elle déterre, enfin. Elle s’ouvre, s’épanche, même en évoquant Action Directe et ses faits d’armes, en filigrane elle se dessine, fragile. Se retrouve cette plume précise, cette manière de voir les choses et aussi de se tromper, chez les autres et chez elle. De percevoir ce qui se devine derrière des nappes de brume, de ne pas abandonner la quête – quête des origines et quête sur les pas de formes rouges sans lien avec ce qu’elle est.