Vous avez aimé la série Netflix Le jeu de la dame ? Suivez Arthur Larrue sur La Diagonale Alekhine. Une œuvre fascinante sur la grandeur et la décadence d’un champion des échecs.
La diagonale Alekhine est un roman biographique centré sur une période sombre et honteuse des sept dernières années de la vie d’Alexandre Alexandrovitch Alekhine, qui « voyait beaucoup moins loin dans la vie que sur l’échiquier ». Un roman à forte tension dramatique qui a tout du thriller.
Le livre s’organise comme une partie d’échecs autour de trois temps forts : Ouverture (au retour d’Argentine), Mittelspiel (la période allemande), Fin de partie (l’après -guerre).
Ouverture : « De quoi le joueur Alekhine était-il fait ? »
Bonne question ! « Qu’est-ce qui le distinguait des génies des échecs qui fleurissaient depuis des siècles ? Son absence de génie justement ». Le ton est donné. Vous ne lirez pas ici une biographie énamourée, vous n’aurez pas affaire à un biographe éperdu d’admiration pour son sujet, mais un roman qui s’attache à comprendre l’énigme de ce personnage singulier qui « vit dans le jeu ».Fasciné par Capablanca, un authentique génie, Alekhine est lui décrit par l’un de ses adversaires comme « un sadique des échecs », par un autre « comme un immense réservoir où serait venue s’accumuler une invraisemblable quantité d’énergie brute ».
Cette première partie est consacrée au retour de Buenos Aires et à l’installation au Portugal où sévit la « dictature sournoise et méchante » de Salazar. Grace, l’épouse d’Alekhine peint des aquarelles. La distance entre eux ne fera que croître une fois fortune faite. Dommage ? Peut-être pas. Un mot tout de même, avant le retour en France du champion, de la fameuse défense qui l’a rendu célèbre. Cf6. Figurez-vous qu’elle lui a été inspirée par un des personnages majeurs de l’Histoire de France et non, je ne vous dirai pas de qui il s’agit, essayez de deviner. Une défense qui a tout d’une attaque.
Mittelspiel : « Alekhine ne croyait à rien, sinon à l’opportunité »
C’est la guerre. Mobilisé, Alekhine rentre en France, retrouve son château de Saint-Aubin transformé en hôpital militaire par les Allemands. Arrive Brickmann, joueur d’échecs à la solde de Goering, chargé d’annoncer à Alekhine qu’il est attendu par l’Obersturmführer Mross. «Composez, Herr Doctor, composez ! » lui enjoint Brickmann. L’interrogatoire que vous lirez fait froid dans le dos. Ce qui suivra plus encore. Cette partie du roman est la plus terrifiante. Arthur Larrue montre l’ignominie et l’absolue bassesse de ceux qui se prétendaient des purs en décrivant les turpitudes sexuelles pitoyables de ceux qui torturaient les juifs. Lisez en particulier le superbe chapitre consacré à Przepiorka. Ce n’est pas sans raison qu’un article de Spielmann dira qu’Alekhine faisait en sorte de ne rencontrer que des seconds couteaux : « marchandant sa présence au prix fort, Alekhine vidait les caisses des tournois ». C’est alors que Brickmann l’incite à écrire contre les joueurs d’échecs juifs, ses anciens amis, par pure vengeance pour l’insulte subie. Il s’exécutera.
Il lui reste un semblant de fierté cependant. Appelé à affronter 22 officiers allemands, il les jouera simultanément et à l’aveugle : « Je ne suis ni une prostituée, ni un trempoline ». La défaite allemande s’annonce. Alekhine a un billet pour Madrid. Alekhine restera à l’Est encore trois ans, jouant avec Hans Franck, l’avocat d’Hitler. Cette partie est émotionnellement très forte et particulièrement réussie. Je l’ai lue d’une seule traite.
Fin de partie : « Qu’il crève ! »
Nous retrouvons Alekhine à Saragosse puis à Lisbonne. Seul et désargenté. C’est ici que sont publiés des extraits de son journal où l’on retrouve les particularités et contradictions de son caractère. Mais Arthur Larrue n’essaie pas d’apitoyer in extremis le lecteur. La fin énigmatique de la vie d’Alekhine est connue, ce qui est intéressant c’est la façon dont l’auteur la rapporte. La tonalité qu’il lui donne. La parole qu’il rend aux joueurs rescapés du South Kensington Gentlemen Chess Club.
Soyons « fair play », laissons les derniers mots à Alekhine : « Moi, l’exilé éternel […] qui n’ai cessé de slalomer entre les tumultes […] Je pourrais peupler le vide avec les mots du vide […] Animer le silence avec les mots de mon manque. Donner au vide de ma vie, avec mes mots, un semblant de plénitude ».
Ce roman de la dérive ne laissera personne indifférent. C’est dense, riche. Arthur Larrue ne ménage pas son personnage, souligne les boursouflures de son orgueil, son incapacité à s’intéresser à autre chose qu’à l’obsession de gagner. Et sa radicale solitude.