Quand un grand auteur américain s’immisce dans la littérature de l’imaginaire, cela ne peut que donner une grande voie assez déstabilisante, qu’il faudra être courageux pour emprunter, mais le voyage en vaut définitivement les efforts consentis. La cité des nuages et des oiseaux est un étrange voyage sans retour qui prend les sentiments du lecteur en otage pour ne plus les lâcher.
Anthony Doerr : un conteur de l’Amérique moderne
Anthony Doerr est un auteur de littérature américaine déjà primé et reconnu chez lui aussi bien pour ses nouvelles que ses romans. Il a été publié à plusieurs reprises et avec succès chez nous depuis 2002, mais c’est avec La cite des nuages et des oiseaux , un roman de la rentrée littéraire 2022, qu’il va interpeller également le lecteur avide de science-fiction, de fantasy ou de fantastique qui ne se serait pas obligatoirement tourné vers lui autrement.
Et pourtant, il n’avait pas besoin de cela. Sa plume forte, riche et immersive possède ce je ne sais quoi qui capture le lecteur même quand il aborde des sujets d’une banalité confondante. Anthony Doerr est un grand conteur et il s’ouvre ici une nouvelle porte que le lecteur d’imaginaire n’aura peut-être pas envie, comme moi, de refermer de sitôt.
La cité des nuages et des oiseaux : un roman de la rentrée littéraire
Quand le roman est arrivé sur les bacs, je me demandais en quoi sa singularité le détachait autant des autres ? Je l’ai compris dès les premières lignes. On y suit en parallèle les récits de foultitude de personnages, venant d’horizons et d’époques différentes, qui ne semblent pas avoir le moindre lien entre eux, si ce n’est un mystérieux manuscrit antique fragmentaire plusieurs fois perdu et retrouvé.
Quel lien ressortir de ces expériences de vie qui semblent tellement éloignées les uns des autres ? Aucun a priori, et pourtant, au fil de la lecture, l’émotion se fait de plus en plus forte. Celle de cette enfant, Konstance, embarquée dans un projet futuriste de voyage sans retour, tandis qu’une épidémie l’isole des autres. Celles d’Omeir et Anna, ces adolescents différents de par leur particularité physique ou leur sexe, qui vont connaître sans le savoir les bouleversements de la Chute de Constantinople de leur point de vue de gens du peuple tenus à l’écart des grands moments historiques. Celles de Zeno et Seymour, deux habitants d’âge différent de Lakeport, États-Unis, l’un ayant connu la guerre de Corée et traduisant désormais le grec, tandis que le second est si différent, qu’il supporte mal les autres et n’en peut plus de sa vie difficile.
Chacun est différent et c’est cette différence que raconte Anthony Doerr.
Anthony Doerr écrit un roman pour les amoureux de livres et de leurs histoires
Au fil du récit entrecoupé de la vie de tous ces personnages, un trait va les unir : leur amour pour les mots, pour les livres et ce que ceux-ci font leur apporter. Chacun aura beau être différent, chacun aura beau avoir une vie pas facile avec des sociétés excluantes, ils trouveront chacun de la force et un horizon dans les livres et les mots, ce manuscrit oublié et retrouvé étant leur bouée de sauvetage sans qu’ils le sachent. Ils découvriront ainsi que « ce qu’ils possèdent déjà vaut mieux que ce qu’ils cherchent désespérément ». Une maxime de vie douloureusement acquise, mais terriblement émouvante.
Le lecteur, lui, confronté à cet étrange voyage, se laissera ballotté au fil des flots de leurs histoires, d’une époque à l’autre, d’un lieu à l’autre, d’un personnage à l’autre, devant remettre dans l’ordre à son tour des pièces éparses du puzzle, tout comme le fera le traducteur du manuscrit de La cité des nuages et des oiseaux. Un exercice étrange et pourtant ô combien addictif sous la plume très douce de l’auteur qui berce ses personnages tout comme nous au gré de leurs péripéties de vie.
La cité des nuages et des oiseaux : un livre doudou
La cité des nuages et des oiseaux n’est donc pas une lecture classique. C’est une lecture exigeante même si on y plonge terriblement facilement. Elle demande au lecteur d’oser se laisser bercer par l’auteur, entraîner dans ses histoires et bouleverser par ses parcours de vie. Si vous y parvenez, une très belle récompense vous attendra : une histoire qui vous transportera et vous émouvra.