L’année de grâce de Kim Liggett : une dystopie ancrée dans le présent et calquée sur le passé

Je n’avais entendu (en fait, surtout lu) que de bons mots sur le roman L’année de grâce, par Kim Liggett, publié en 2020 chez Casterman. Il en ressortait que c’était une œuvre féministe puissante et révoltante. Au terme de ma lecture, je ne peux que confirmer…

Une année mystérieuse

L’année de grâce est un moment d’exil en forêt où les femmes en devenir sont exclues pour se débarrasser de leur magie. Dans le comté, personne ne parle de cette année. Celles qui parviennent à en revenir ne sont plus dans le même état. Tierney, une des jeunes femmes, s’apprête à vivre son année de grâce. Cela dit, un doute subsiste. Et si tout se jouait dans leur tête ?

l annee de grace

L’année de grâce : une véritable chasse aux sorcières

Ce roman part avec une idée qui nous rappelle cette ancienne vision des femmes comme étant des sorcières, des enchanteresses desquelles on doit purifier la société. C’est la raison derrière l’année de grâce de toutes les jeunes femmes. Celles-ci sont même porteuses d’une malédiction à laquelle doivent se méfier les hommes, qui ont le contrôle absolu, qui décident « de [leur] destin comme on se partage le bétail ». Ce sont eux qui décident qui ils épouseront, certains occupent la fonction de braconnier pendant l’année de grâce et ont la tâche de tuer celles qui franchissent les palissades, rapportant aussi leur « trophée » à la fin de l’année pour que tous puissent se délecter de leur sang.

L’image de la sorcellerie chez les femmes, de cette puissance dont elles doivent se débarrasser pour revenir au comté et accepter leur destinée d’épouse (pour les « chanceuses » qui ont été choisies) est omniprésente dans le roman. Les questionnements de la protagoniste face à cette vie dans laquelle la liberté n’est pas un concept qui existe pour les femmes (et même pour certains hommes) est ce qui rend le roman aussi puissant. À quel point cette idée ancrée dans la tête de tous et de toutes est-elle nuisible pour rêver d’émancipation ?

Kim Liggett illustre l’entraide féminine

L’autre élément faisant de ce roman une lecture puissante est l’importance de la solidarité féminine qui traverse le récit, par bribes pour commencer, puis par grandes marques. C’est cette entraide qui meurt dans l’œuf pendant cette année de grâce et avant même le départ pour celle-ci puisque les idées véhiculées dans le comté ne voient la femme que comme une ennemie. Ennemie pour les hommes, mais aussi ennemie pour les autres femmes. La société qu’on nous présente est nourrie de haine.

« Nous restons drapées dans nos petites mesquineries, à jauger les autres et à les jalouser, consumées par des désirs creux. Et à qui profite ce concours d’orgueil ? Aux hommes, bien évidemment ! »

Quelle place pour l’amour durant l’année de grâce ?

À quel point est-il possible de rêver d’amour quand les hommes cherchent à détruire les femmes ? Quand leur rôle est de les assouvir à leurs désirs, de les empêcher de survivre ? Qu’en est-il des femmes entre elles ? À qui peut-on faire confiance ? On découvre, au fil de notre lecture, qu’il existe des personnages avec la même envie de révolte que Tierney. Mais malgré ce désir qui brûle ses entrailles, rien n’est facile. Personne ne revient indemne de l’année de grâce. Personne.

L’année de grâce : un ancrage dans le présent

C’est la manière d’aborder le sexisme, qui reste un enjeu actuel partout dans le monde, qui fait de ce roman une lecture pour moi marquante. On l’amène à son paroxysme, jouant avec les évènements de chasse aux sorcières qui ont bien marqué notre passé. On cherche aussi à y défendre l’idée que les femmes se doivent d’être des alliées les unes pour les autres plutôt que de se considérer comme des compétitrices.

Bref, il s’agit d’une dystopie franchement intéressante pour aborder les enjeux féministes, pour semer une graine de révolte et comprendre la nécessité d’avoir « les yeux grands ouverts ».

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