Téléréalité ou l’art de faire de la télévision par Aurélien Bellanger

Pas de suspense quant au contenu de ce roman qui croise habilement roman et documentaire, le titre Téléréalité est suffisamment éloquent. On plonge avec un plaisir récessif dans ce moment d’histoire télévisuelle qui a vu l’improbable ascension de la téléréalité dans un pays qui croyait ne pas en vouloir avant de ne plus pouvoir résister à la tentation. Loft story, vous vous rappelez ?

Le héros de ce roman est un quasi-inconnu du grand public et pourtant, l’irruption de la téléréalité en France, c’est lui, Stéphane Courbit, homme de l’ombre, parti de rien devenu homme d’affaires impitoyable et tout-puissant. Dans Téléréalité, le roman d’Aurélien Bellanger, il s’appelle Sébastien Bitereau. C’est une ascension sociale fulgurante que celle de ce jeune homme passionné par le Plan comptable général qu’il connaît par cœur. Certains lecteurs ont évoqué Rastignac, d’autres – dont je fais partie – songeant davantage à un Vautrin tireur de ficelles. Un peu des deux sans doute. 

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Aurélien Bellanger dit que l’idée de ce roman lui est venue lors du rachat d’Endemol, la société de production de Delarue, par Stéphane Courbit, homme d’affaires proche de Nicolas Sarkozy. Il écrira son roman en 51 jours à raison de tranches de concentration d’une heure et d’environ 750 mots. Belle discipline et conséquente efficacité que beaucoup lui envieraient. Et Téléréalité paraît 20 ans après la première saison de Loft Story. L’occasion d’évoquer la saga de ce qui n’est « plus un programme mais un genre ».  

« Un autographe ? C’est de la star en sachet lyophilisé » 

Tout le début du roman évoque les émissions de divertissement et les reality-shows avec leurs présentateurs vedettes. S’y côtoient personnes réelles et personnages de fiction qui renvoient à des célébrités. Il y a un sympathique côté roman à clefs – exercice un peu vain selon l’auteur, mais toujours amusant – et chacun pourra mener sa petite enquête pour savoir qui se cache derrière Philippe, David ou Patrick Lepape. D’autres apparaissent sous leur véritable patronyme : Pascal Sevran, Thierry Ardisson, Jean-Luc Delarue, Patrick Le Lay et d’autres ont droit à leur portrait, plus ou moins élogieux.  

On découvre, en parallèle avec l’ascension prodigieuse de Sébastien Bitereau, le monde des présentateurs, monde pas forcément très séduisant, entre narcissisme exacerbéambitions folles et soirées cocaïne. « Ce sont des monstres, des monstres authentiques. Pourtant, on se sent proches d’eux, et on leur pardonne tout…On ne peut pas être aimé autant, autant pour si peu » avoue Véronique la productrice à un Sébastien tout juste arrivé de sa Provence natale et rurale, éberlué et fasciné par ce qu’il découvre.  

« À la télé, ce sont des anonymes qui deviennent des célébrités » 

Le roman, par son aspect documentaire, mais remarquablement intégré dans la fiction, nous raconte comment la télévision de divertissement a évolué ces trente dernières années. On y découvre les sommes fabuleuses engagées, les stratégies, les alliances et les coups bas. Sébastien « comprit très vite les subtiles différences qui séparaient le monde de la comptabilité de celui des affaires ». Sa chance, c’est aussi sa formidable intuition des changements à l’œuvre dans les attentes du public de ces émissions. Progressivement, ce sont « des anonymes qui deviennent des célébrités » incarnant le rêve de tant de personnes : « tout est possible pour tous » dès lors qu’on est « vu à la TV » 

Plus tard encore, c’est une voix off, anonyme, incarnation du spectateur, qui tiendra la vedette. 

« Allons voir ce que le diable a à nous vendre » 

Le plus intéressant pour moi, c’est la genèse de la première grande émission de Téléréalité que sera Loft Story dont la première sera diffusée le 26 avril 2001. La France sera l’un des derniers grands pays européens à se lancer, non sans une moue dégoûtée de ses élites intellectuelles. J’ai encore en mémoire la chronique d’Alain Rémond dans Télérama (hebdo auquel il est souvent fait référence dans le roman). Elle s’intitulait Les Rats et visait par ce vocable aussi bien le caractère expérimental de l’émission et son caractère dégradant pour les participants, qu’un jugement sans appel sur ceux qui produisaient de la télé-poubelle.  

Aurélien Bellanger fait abstraction de tout mépris même si l’ironie est très présente dans son récit. Comment et pourquoi Loft Story ? « L’idée, c’est qu’ils quittent la réalité. Un départ vers l’espace médiatique ». L’analogie avec l’espace concentrationnaire est niée au profit de celle avec un monastère. Ah Le Confessionnal ! L’objectif ? « À nous de les amener exactement où on veut ». Le casting ? « la population standard d’une boîte de nuit ». La finalité ? Associer « cruauté cathartique du spectacle et douceur de l’expérience du spectateur ». Toute l’élaboration et la finalisation du passage de l’émission d’origine Big Brother à Loft story s’étendent sur deux chapitres passionnants. On visite coulisses et arrière-cuisine et c’est édifiant sur le cynisme ambiant. 

« Il était un fantôme, l’enfant discret et anonyme de sa vallée perdue » 

À la relecture, on se fait une idée finalement assez nuancée de Sébastien Bitereau parce qu’Aurélien Bellanger a évité tous les pièges de la simplification et de la caricature. Certaines séquences sont touchantes, d’autres agaçantes, d’autres enfin assez cocasses, en particulier la soirée chez Delarue. La complexité du personnage – attention, ce n’est pas une biographie stricto sensu, loin s’en faut – est particulièrement bien rendue. Des épisodes réels et connus ont été modifiés pour le bien de la fiction, en particulier dans le dernier chapitre, où l’on comprend le sens du prologue. Bien joué.  

J’ai beaucoup aimé ce roman, distrayant, instructif. Je n’avais pas vu Loft Story à l’époque. J’ai dû voir un ou deux épisodes de Secret Story mais je n’en ai gardé aucun souvenir. En revanche j’avais regardé La Flamme, une série parodique diffusée sur Canal+ il y a peu et qui m’avait beaucoup fait rire. Et j’ai eu très envie de lire le roman d’Aurélien Bellanger. Je ne le regrette pas. Si l’on y assiste en quelque sorte à la fin de la télévision, supplantée par internet et les réseaux sociaux, force est de reconnaître la solide santé du roman ! 

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