Le sang de la cité : une saga fantasy française titanesque

Pour les amateurs de fantasy, ce premier roman du cycle La Tour de Garde – qui sera écrit à quatre mains par Guillaume Chamanadjian et Claire Duvivier – vous plongera au cœur de la belle et mystérieuse Gemina, cité méridionale aux mains de grandes familles rivales. Les équilibres ne tiennent qu’à un fil, quand le duc Servaint décide de les mettre à l’épreuve en lançant un grand chantier.

C’est par les yeux de son pupille, Nox, un commis-épicier, que nous allons être précipités au cœur des ruelles de cette cité vibrionnante et de son double, énigmatique et terrifiant.

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Le début de ce roman fantasy pourra vous paraître déconcertant : le prologue vous plonge au cœur d’une bataille, sinon d’un règlement de comptes entre chefs de clans rivaux, sans beaucoup d’explications puisqu’il s’agit d’un chant entonné par un poète. Même si vous aimez Game of thrones, vous en retrouverez, par certains aspects, l’atmosphère : celle de la violence, du sang qui coule, des exploits guerriers, dans un cadre épique et à une époque qui évoque celle de l’Italie de la Renaissance. Ce prologue se clôt par une découverte surprenante dans les entrailles de la cité que le lecteur doit absolument connaître pour suivre l’histoire qui débute juste après. Après ce retour en arrière, donc, s’ouvre le chapitre 1 : si vous acceptez d’y suivre le protagoniste, Nohamus, dit Nox, l’étrange cité de Gemina, dont l’auteur nous offre un plan en début de volume, va commencer à vous révéler ses mystères. La cité, inspirée par la ville de Sienne à la Renaissance, est partagée en grands quartiers, eux-mêmes répartis en domaines gérés par de grandes familles, chacune ayant pour bannière un animal.

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Celle que nous découvrons en premier est celle de la Tortue, appelée aussi « La Caouane », dirigée par le duc Servaint, qui contrôle une partie du port. Le duc a recueilli Nox, notre héros, qui, parce qu’il est rattaché à cette famille, mais est aussi commis-épicier, connaît parfaitement le quartier du port, dont nous arpentons les ruelles et découvrons les parfums, les sons, la chaleur et les dangers avec lui. Les couteaux s’aiguisent, les alliances se construisent, les ambitions s’arborent ou se déguisent : celles de Nox, fasciné par les histoires qui se racontent dans sa cité, ainsi que par les trésors naturels qu’elle recèle – un olivier pluri-centenaire, une vigne qui donne un excellent vin intra-muros, des beignets – seront-elles conciliables avec celles du duc Servaint, qui cherche à tracer un canal qui traverserait toute la cité, ou même avec celles de sa dangereuse sœur, Daphné ? Telle est la question qui irrigue le premier volume de cette série, Le sang de la cité, Capitale du Sud 1, de la saga La Tour de Garde. Il faut savoir que le projet est très original : il s’agit de composer et d’entrecroiser deux trilogies parallèles, Capitale du sud et Capitale du Nord, rédigées à quatre mains par un couple d’écrivains, Guillaume Chamanadjian (dont c’est le premier opus) écrivant la trilogie Capitale du Sud, Claire Duvivier (auteur d’Un long voyage, roman de fantasy multiprimé en 2020) se chargeant de Capitale du Nord. Le premier tome de Capitale du Nord est paru, le deuxième de Capitale du Sud également. Les deux univers sont reliés par un jeu, « la Tour de Garde », qui évoque le jeu des échecs, même s’il recourt à des personnages plus variés et à des stratégies qu’on imagine bien plus complexes, à l’image de celles qui sont déployées par les chefs de clans dans la cité.

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C’est donc un projet très séduisant, notamment pour ceux qui aiment les sagas au long cours (dont la fin, au terme des 6 tomes, est prévue pour 2023 ou 2024, contrairement à d’autres œuvres épiques interminables). Ce qui est particulièrement plaisant, dans Le sang de la cité, c’est que nous retrouvons bien sûr les codes de la fantasy qui nous arrache à notre univers : une cité imaginaire à une époque indéfinie, des personnages dotés pour certains d’origines ou de pouvoirs extraordinaires, et un monde qui devient de plus en plus étrange quand apparaît le Nihilo. Toutefois, l’auteur n’abuse ni de la magie ni des ressources du fantastique et ne nous construit pas un monde trop complexe. Même s’il y a de la violence, il ne se complaît pas dans les descriptions sanguinolentes. Avant tout, nous nous attachons aux personnages parce qu’ils nous ressemblent, suscitent notre empathie tant leur quête, par certains aspects, ressemble à celles qui peuvent être les nôtres : être heureux malgré l’adversité, protéger ceux et ce que l’on aime. L’auteur ne cache pas ses modèles, de grands classiques : le roman d’aventures d’un Alexandre Dumas ou même les grandes fresques d’Umberto Eco. Il a le talent de composer des pages très expressives, on imagine sans peine les couleurs, les saisons, le grouillement humain de cette cité, mais aussi les oasis dissimulées dans ses replis, et, surtout, le chant de la cité, auquel Nox est si sensible, tant cette géographie imaginaire est évocatrice.

« La Fraîche courait sur ses galets, transparente et vive. Le lit de la rivière était large à cet endroit, peut-être une dizaine de mètres. Et il y avait un dénivelé important, ce qui faisait que l’eau formait des rapides en plusieurs points. Le faible clapotement, d’ordinaire couverte par le chant de la ville, était ici particulièrement audible. Il y avait en ce lieu une musique particulière. Et en retrait de l’eau, il y avait un petit talus au sommet duquel trônait l’olivier. Un tronc large et difforme, une écorce marquée par les siècles qui semblait s’enrouler sur elle-même, des branches biscornues qui se divisaient en de multiples brindilles, constellées de petites feuilles pâles. Mon olivier. Et je voyais l’unique cigale de cet été sur son tronc. Son abdomen vibrant au rythme de ses trilles suppliants »

Le roman est bien construit, par cercles concentriques, nous découvrons d’abord le clan de la Caouane, puis les autres clans du quartier du port, avant d’avoir une perspective plus globale sur la partie sud de la cité. Les personnages principaux ne sont pas trop nombreux et sont bien campés, chacun a sa personnalité, leur rôle s’imbrique parfaitement dans la grande mosaïque de l’œuvre, à l’image de ces figurines du jeu de « la Tour de Garde ». Les destinées sont mobiles, elles se recomposent et s’entrecroisent comme les rues de la cité sans cesse refaçonnées par les mystérieux maçons de la « Recluse », le clan de bâtisseurs de la ville. En son cœur, un grand tournoi, qui évoque le Palio de Sienne voit les clans s’affronter par l’intermédiaire de leurs champions respectifs, combat destiné à éviter les bains de sang collectifs, même si cet exutoire ne fonctionne pas toujours, tant les rivalités sont grandes et les équilibres fragiles.

« Il y avait sur la place près de quatre mille personnes, des dizaines de milliers d’autres envahissaient les rues environnantes. Chaque maison avait placé des crieurs, juchés sur des poteaux, pour commenter les exploits de leurs champions à l’attention des spectateurs qui ne pouvaient se rapprocher. Clameurs de la foule en fête, odeur de la poudre des pétards mêlée à celle des viandes frites, tout cela remontait vers nous alors que les tambours annonçaient l’arrivée des combattants »

Bref, suivez Nox dans les arcanes de Gémina, vous courrez vite à ses côtés et nul doute que vous aurez ensuite envie de rencontrer Amalia de Dehaven, la capitale du Nord, avant de retrouver Nox que vous aurez laissé en plein dilemme à la fin du Sang de la cité !

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