La dépendance de Rachel Cusk : un roman sur l’art, les femmes et le désir de plaire

Rachel Cusk s’immisce dans les pensées d’une femme détachée de sa féminité, dépendante sans bien comprendre tout ce que cela recoupe. De ses phrases tortueuses, l’autrice tâche de saisir l’essence d’un malaise, de rapports humains particuliers ainsi que l’origine de la création artistique.

« Dépendance », une homonymie fort à-propos

En cette rentrée littéraire d’automne 2022, Rachel Cusk, essayiste tout autant que romancière, signe un roman hybride où elle laisse libre cours à son esprit analytique. Son héroïne, M, écrit une lettre de deux cents pages à un homme dont rien ne sera dit. Elle s’épanche, raconte une histoire d’emprise et de dépendance alors qu’elle proposa, peu avant le confinement, à L, un artiste dont les œuvres la bouleversent particulièrement, de séjourner dans la dépendance que son mari et elle avaient aménagée dans les marais où ils vivent. Dans ces quelques lignes, le terme « dépendance » apparaît déjà deux fois, et ce n’est pas un hasard : l’autrice joue sur cette homonymie pour bâtir son livre, inspiré de l’histoire de Mabel Dodge Luhan. Dans ses mémoires, cette femme relate le séjour de D.H. Lawrence chez elle, au Mexique, le L et le M de La dépendance acquérant ainsi un sens nouveau.

la dependance rachel cusk

La dépendance : un malaise féminin et insaisissable ; une lutte vaine

M tâche de comprendre le monde et surtout son rapport au monde, de saisir la manière dont fonctionne la création, dont les artistes sont aux autres et à eux-mêmes. Le mal-être qui est le sien met mal à l’aise, devient bien vite aussi étouffant que le décor sans frontière et envoûtant où se déroule l’œuvre, que les longues phrases de Rachel Cusk. Psychologie et philosophie se mêlent dans cette analyse, dans cette lutte intime qui paraît si souvent vaine. M se débat avec des considérations complexes parfois sans véritable fondement, évoque la relation délicate qui la lie à sa fille, elle aussi réfugiée au cœur des étangs – les passages les plus justes et les plus touchants de La dépendance concernent d’ailleurs cette maternité contre-intuitive. Elle mentionne également son androphobie voilée, latente, aussi enveloppante que la brume qui recouvre les marais, cette quête libertaire qu’elle mène tout en sachant ne pas pouvoir obtenir le Graal tant espéré. M ne se considère plus comme femme, elle a oublié sa féminité, mais juge son sexe responsable de sa faiblesse, de son incapacité à voler loin des hommes. Dépendante, elle l’est à bien des égards et de bien des manières – en tant que mère, qu’ex-femme, qu’épouse, que muse qu’elle aspire à être, mais n’est pas.

À travers La dépendance, livre récompensé par le Prix Femina étranger 2022, Rachel Cusk examine ainsi le rapport d’une femme à son corps, à son âge et à son histoire, laissant son malaise suinter de chaque page, quitte à agacer. Les phrases sont aussi torturées que la narratrice qui tentera jusqu’au bout de comprendre son indisposition sans voir l’évidence.

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