L’autre découverte de l’Amérique ou les ambivalences de la plus vieille démocratie du monde

Dans L’autre découverte de l’Amérique, roman poétique, ample et parfois sibyllin, Kathleen Alcott imbrique plusieurs instantanés de ce pays, les fond les uns dans les autres, faisant de ce livre paru lors de la rentrée littéraire d’hiver 2022 une sorte d’album photo immersif, baigné par le clair de lune.

Deux faces d’un même monde

Kathleen Alcott bâtit son roman sur une alternance narrative – la voix de Vincent, pilote bientôt astronaute, fait écho à celle de Fay, serveuse bientôt bienfaiteuse puis militante. Des étincelles qui sourdent de leur rencontre, des frottements de leur âme, naît un être à part entière et se dessine le chemin de leur vie respective. Wright ne connaîtra pas son père, et n’aura pour aperçu du passé de sa mère que les brefs instants de sa nostalgie, rythmant ses ménages en Équateur, puis ses activités d’artisane terroriste. Il grandit dans la jungle et, bientôt, atterrit en Amérique, la main de Fay dans la sienne, et passe le reste de son enfance entre deux appartements communautaires miteux, refuges de communistes pacifistes, mais belliqueux.

l autre decouverte de l amerique

Vincent, lui, remonte le couloir en linoléum qui le mènera de ses cabines de biplans à celle d’une fusée, la première à rencontrer la poussière de la Lune, tâchant d’oublier son amour, sa Fay, éphémère parenthèse dont l’ombre plane toujours sur son existence. Ils n’auront de cesse de représenter les deux faces d’un même monde, brandissant son rêve étoilé d’un côté, dénonçant sa bannière ensanglantée de l’autre – la science, le progrès, le métal en fusion contre l’humain, la violence sociale, le sang.

Kathleen Alcott redécouvre l’Amérique

À travers le destin de ces trois héros liés par le sang, Kathleen Alcott écrit la maternité, entre tendresse et engagement qui ne laisse place à rien d’autre qu’à l’idéologie, qu’à l’emprise du mouvement. L’autre découverte de l’Amérique est aussi et avant tout une fresque américaine grandiose qui court sur plus de trente ans, laissant les atmosphères qui éclosent subrepticement se fondre doucement les unes dans les autres. L’autrice a le don des ambiances, cette sensibilité au décor, au temps, à la pureté du ciel qui fait onduler le désert. D’une sorte de Bagdad Café californien et lunaire s’échappent les autres décors, les promesses de trois vies lâchement entrelacées. Elle fait sortir de la terre du Golden State des maisons perchées sur des collines, crée une brèche dans les murs de l’antenne de la NASA à Houston, dans ceux d’un appartement de San Francisco en pleine explosion du SIDA et observe, dissèque, avec un mélange troublant d’acuité et de distance, une sorte de brouillage qui ne rend L’autre découverte de l’Amérique que plus fascinant encore et offre à son titre un autre sens.

L’autre découverte de l’âme humaine

Kathleen Alcott semble voir le monde à travers des lentilles poétiques qui l’abstraient de la Terre tout en lui permettant de toucher au plus juste de l’âme humaine. Sa plume est parfois délicieusement biscornue, parfois sibylline et floue – peut-être la faute à la traductrice qui n’évite pas quelques maladresses. Toujours est-il que l’autrice témoigne d’une sensibilité rare et étonnante au passé, aux détails et aux entrailles de ses semblables, entremêlant de sa voix inouïe la petite et la grande histoire avec talent et ambition.

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