Toutes les princesses meurent après minuit de Quentin Zuttion : une BD qui définit l’amour au pluriel

Construite à la manière d’une pièce de théâtre classique, la BD Toutes les princesses meurent après minuit de Quentin Zuttion met en scène mélodrame familial qui explore les différentes définitions de l’amour. Déceptions, joie, chagrin, choix, tout converge inévitablement vers le final explosif…

Huis clos familial prenant place sous le soleil brûlant de l’été 1997, Toutes les princesses meurent après minuit est une bande dessinée qui questionne l’amour sous toutes ses formes. Parue en août 2022 aux éditions Le Lombard, cette nouveauté BD signée Quentin Zuttion n’a pas seulement suscité l’engouement des lecteurs, mais aussi celui du prestigieux jury du Festival BD d’Angoulême 2023 a qui lui a décerné le Fauve spécial du grand jury jeunesse. Et on comprend pourquoi !

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Tout commence le matin du 31 août 1997, presque « au beau milieu d’un rêve », alors qu’une mère de famille est train de faire son repassage, la radio annonce la mort la princesse Diana. Si ce fait peut sembler anodin, il ne l’est pas… La mort de la princesse de Galles est aussi le début d’une réflexion sur l’amour que va mener Quentin Zuttion, sur un échantillon familial représentatif d’une certaine universalité, tout au long des 152 pages de sa bande dessinée.

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Si tout le monde pleure la princesse bien-aimée, chacun sait que, enfermée trop jeune dans un mariage sans amour, elle n’était pas heureuse. Si son histoire d’amour avec le prince Charles avait des allures de conte de fées, personne n’est dupe. Cette union était sans lendemain : « tout le monde sont des hypocrites. Tout le monde savait qu’ils étaient malheureux ». Par le prisme de cette histoire d’amour manquée et celui de cette famille qui marche sur un fil, Quentin Zuttion, comme dans un miroir, par ricochet, nous invite à reconsidérer ce qu’est vraiment l’amour.

Toutes les princesses meurent après minuit : une BD aussi théâtrale que cinématographique

Avec le parti pris assez original de signer un mélodrame familial – genre assez peu développé en bande dessinée –, Quentin Zuttion ancre Toutes les princesses meurent après minuit dans la règle des trois unités du théâtre classique. Unité de temps : la bande dessinée se déroule sur vingt-quatre heures ; unité de lieu : un pavillon de banlieue ; unité d’action : l’amour. En maîtrisant parfaitement le rythme de son récit, une intrigue lente, mais sous tension constante, il insuffle une montée dramatique progressive qui nous mène à ce final explosif que nous savons inévitable.

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Mais ce qui contribue également à la montée de cette tension – que l’on sait d’avance tragique -, c’est aussi le côté cinématographique du dessin de Quentin Zuttion. À la lecture, on sent que rien n’a été laissé au hasard. Les séquences, le cadrage et le découpage de la bande dessinée ont été pensés de manière que les dialogues soient – presque – inutiles. Le coup de crayon du bédéiste suffit à nous transmettre toutes les émotions diffuses des personnages.

Des personnages, chacun bouleversé à sa façon, qui refusent de voir la vérité en face. Dès lors, tout ce qui se passe en dehors de la maison est prohibé, « je veux pas savoir où tu étais ni avec qui », vaine tentative de repousser le monde extérieur. En refermant l’étau sur cette famille, le lecteur étouffe sous l’effet de la chaleur écrasante et du drame qui se prépare, insidieusement, en silence. Pourtant, tous les signaux étaient là pour mettre les en garde. Plusieurs fois, un acteur extérieur tente de les avertir « il faut qu’on discute, tu peux pas continuer à faire semblant »… mais rien n’y fait.

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Le père de famille, un mari aussi las qu’infidèle, tente de faire ouvrir les yeux à sa femme qui s’entête à se voiler la face. Et puis, il y a Yoyo, le voisin, venu jouer avec Lulu. Un jeune garçon qui s’apprête à rentrer au collège et qui veut tout faire comme un grand. En bref, un préadolescent qui ne veut plus jouer aux Playmobil, à la Barbie ni aux poneys et qui tente, modelé par une société patriarcale, de faire réagir Lulu, légèrement plus jeune que lui, qui refuse de sortir de l’enfance « t’es dans la lune. Ça va te jouer des tours. Faut revenir à la réalité, mon vieux ».

Tout était là. Mais les yeux fermés, ils ont vécu cette dernière journée d’été sans se douter qu’elle allait marquer la fin d’une époque… et la naissance d’une nouvelle ère. Il est temps de tourner la page sur une vision féérique de l’amour – mais biaisée – pour l’ancrer dans une nouvelle réalité loin du traditionnel « ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants ». La désillusion est totale.

La BD de Quentin Zuttion donne un nouveau souffle à l’amour

Au contraire de Appelez-moi Nathan, la BD Toutes les princesses meurent après minuit ne se focalise pas uniquement sur la découverte du genre et de la sexualité, mais puisque cela fait partie entière de la notion d’amour… on n’y échappera pas ! Au début de la bande dessinée, nous découvrons un petit garçon qui se met du rouge à lèvres en cachette dans la salle de bain. Ce petit garçon, c’est Lulu, le benjamin de la famille, qui refuse de quitter le monde de l’enfance, mais qui sent bien qu’il est différent des autres petits garçons de son âge « moi, en princesse, y’a toujours quelque chose qui cloche. Tout le monde le voit, même toi » sans pour autant réussir à mettre des mots sur ce qu’il ressent vraiment.

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Usant de son imagination intarissable, il joue au prince et à la princesse en compagnie de Yoyo, son voisin. Un jeu dangereux dont il ne mesure pas encore les conséquences « oh mon prince, vous êtes tellement beau ». Et puis comme ça, d’un jeu innocent à un autre, le couperet tombe : « t’es un pédé ? ».

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De son côté, Cam, sa grande sœur, connaît ses premiers émois avec un jeune homme qu’elle fait entrer dans sa chambre la nuit tombée. Il est plus vieux qu’elle, il est cool, il est beau. Tout ce qu’une jeune lycéenne peut rêver. Pour lui plaire, elle passe ses journées à bronzer au bord de la piscine… jusqu’à devenir rouge tomate et se brûler les ailes. Ses sentiments l’enflamment, « ça me fait mal. Ça me brûle le ventre ». La voilà calcinée par son propre désir. Au sens propre comme au sens figuré.

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Et puis, il y a la mère des enfants, une « ménagère folle, laide et névrosée » dont son mari ne veut plus. En chantant désespérément les paroles de Lara Fabian pour rallumer une flamme qui ne vacille plus, elle se leurre. Reculant l’échéance, elle refuse d’entendre le mot « divorce ». C’est la fin de son conte de fées, il est temps de ranger la robe de mariée et de passer à autre chose… mais le peut-on encore quand on est une femme qui a passé un certain âge ?

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Mais si l’amour semble la cause des problèmes de nos trois personnages, rassurez-vous ! il en est aussi la solution. Désormais, « il va y avoir des jours un peu plus compliqués. Mais je te promets qu’on sera toujours ensemble… toujours ». Si les rêveries s’en vont, le quotidien reste. Et c’est l’amour fraternel et filial qui en ressort vainqueur. Vivre et aimer autrement sera possible. Plus tard. Quand la douleur ne sera plus qu’un mauvais souvenir. L’amour va et vient, c’est une sorte de cercle éternel.

Vous l’aurez compris, Toutes les princesses meurent après minuit, c’est surtout une bande dessinée aux dessins d’une beauté fulgurante qui nous envie de croire en l’amour encore un peu… aussi douloureux les sentiments qui en découlent soient-ils. Peu importe les désillusions, Quentin Zuttion nous invite à aimer « jusqu’à ce qu’on s’envole ».

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