Anna Hope : mais où se sont envolées nos espérances ?

Anna Hope nous propose un troisième roman fort bien accueilli par la critique anglaise. Nos Espérances est un roman lucide, nuancé mais finalement optimiste sur ce que nous voulons et ce que, au bout du compte, pouvons.

Hannah, Cate, Lissa. Bientôt 30 ans. Pas de mari. Pas d’enfant. Faut-il se couler dans le moule ? Et à quel prix ?

Un mot sur le titre, pour commencer. En anglais, c’est « Expectation », c’est-à-dire « Attente ». Au singulier donc et pas de « Nos ». Pour moi ces deux titres n’orientent pas tout à fait la lecture de la même façon. Et ça pose d’entrée de jeu la fascinante question de la traduction. Mais je vous rassure, ici elle est très fluide et on accroche sans problème.

29 ans, tous les espoirs sont permis !

Le début du roman est quasi idyllique et Hannah, Lissa, Cate mènent fort joyeuse vie… Mais voilà, tout a une fin et la trentaine s’annonce avec son cortège d’injonctions et « le trio gagnant : carrière, amour, enfant ». On va dès lors suivre les trois jeunes femmes pendant une bonne dizaine d’années, non de façon linéaire ou chronologique, mais avec d’efficaces allers-retours entre passé et présent. Lissa rêve d’une carrière au théâtre, Hannah y songe un temps aussi. Quant à Cate, celle qui a « décroché Oxford », elle n’a que l’embarras du choix pour la suite.

anna hope nos espérances

Roman feel-good à l’horizon ?

À ce moment, la vie est pleine de promesses. « L’entrée des chemins qu’elles n’ont pas empruntés ne s’est pas encore refermée. Il leur reste du temps pour devenir ce qu’elles seront ». Cet « encore » vous alerte ? Ce début est trop beau pour durer, vous vous en doutez. Fin du moment « feel-good ».

Quand « nos espérances » se font rattraper par la vraie vie

Voici Cate, étudiante brillante, soudainement mère d’un petit Tom pas vraiment prévu. Et la maternité n’est pas forcément synonyme de fusion et de plénitude. Voici Cate qui « se sent poreuse. C’est comme si il y avait de grands trous béants en elle, à l’intérieur des quels n’importe qui pouvait jeter un œil ». Et obligée de renoncer à ses projets professionnels pour être mère à plein temps, ou presque.

Voici Hannah, qui aimerait tant être enceinte mais qui n’y parvient pas, qui passe son temps sur les forums de fécondation in vitro et leur « sororité pastel de l’angoisse et du réconfort ». Cette fois semble la bonne, elle le sait, elle le sent, elle en est sûre et veut en persuader Nathan. Le médecin vient de lui annoncer la bonne nouvelle : « Il y en a trois qui semblent viables ». Trois !

Voici Lissa, malmenée par une metteuse en scène polonaise : « Tu es anglaise, tu as tout faux », par le regard des autres candidates du casting « Lissa voit les autres femmes lever la tête, jauger rapidement sa silhouette, ses vêtements. Elles guettent les cernes, les rides, les cheveux blancs ». Ambiance.

Peu à peu, les fêlures s’insinuent.

Les rivalités surgissent.

Chacune semble envier chez l’autre ce qu’elle n’a pas.

L’amitié avec ses hauts et ses bas.

Ces femmes originaires de milieux différents en ressentent parfois tout le poids et les parents ont une place importante – surtout la mère de Lissa – dans cette fresque intergénérationnelle. Toute la palette des relations se découvre au fil des pages, mais on mesure l’écart entre les filles et leurs mères. Ces femmes nées dans les années 70 sont des héritières de combats menés par leurs aînées et dont elles tirent les bénéfices. Nul héroïsme chez elles, elles n’en ont ni l’envie ni – et cela n’engage que moi – la carrure. Nul bovarysme (mais le roman est mentionné) car, à leur manière, elles se battent pour sauver l’essentiel à leurs yeux. Une bonne dose de résilience les amène à accepter le réel tel qu’il est.  Donc polychrome. Comme l’identité de chacune d’entre elles.

« La vie, voyez-vous, ça n’est jamais si bon ni si mauvais qu’on croit »

J’emprunte cette phrase à Maupassant car elle me semble parfaitement convenir à ce moment.

J’entends déjà certains lecteurs et lectrices : Mais où sont les hommes ? Nathan, Sam, Johnny et d’autres sont certes des personnages secondaires, mais suffisamment subtils et nuancés pour qu’on y croie. Je les ai trouvés assez représentatifs de cette nouvelle masculinité, moins virile et moins macho. Mais perplexes devant ces femmes bien différentes de leurs mères. Eux aussi devront faire preuve de résilience et ils sont souvent désarmants de bonne volonté.

Ces histoires de femmes et d’hommes, exceptionnelles et banales à la fois font qu’on se reconnaît forcément à un moment ou un autre, au détour d’une phrase, d’une expression, d’une image. Ces histoires prennent du relief grâce à la finesse et à la délicatesse de l’autrice. C’est un roman qui sonne juste, doux-amer, et dont bien sûr je ne vous dirai rien des différents dénouements et des portes qu’ils entrouvrent. Sachez quand même qu’au fil de votre lecture vous ferez la connaissance de l’énigmatique Lucie, d’un étrange Mum club, que vous séjournerez quelques jours aux îles Orcades (sans passeport, sans masque ni certificat de vaccination) et que vous passerez quelques soirées au théâtre en compagnie de Tchekov.

Pour conclure sur Nos espérances

Ce que j’ai aimé dans ce roman c’est sa thématique, l’itinéraire de trois jeunes femmes, mais je redoutais un roman dégoulinant de bons sentiments et de clichés sur les trentenaires, la maternité, les relations hommes/femmes. Anna Hope évite astucieusement le piège du roman girly et réussit à nous intéresser jusqu’au bout à ces trois femmes si semblables et bien sûr si différentes. Le beau travail sur les personnages secondaires contribue grandement à la juste tonalité de l’ensemble de même que l’astucieuse construction du livre. Une belle réussite.

Laisser un commentaire