Adaptée du roman pour adolescents de Meg Roscoff, How I live now est une BD originale, décalée et un brin déroutante qui retrace le destin d’une jeune fille durant la Troisième Guerre mondiale. En bref, un roman graphique qui exprime de façon fracassante le passage de l’enfance à l’âge adulte…
Si elle reste une autrice relativement discrète en France, Meg Roscoff connaît un succès retentissant auprès des adolescents de l’autre côté de l’Atlantique. Preuve en est, son livre pour ados, intitulé Maintenant, c’est ma vie, a remporté plusieurs prix littéraires à travers le monde. Alors que son adaptation cinématographique n’a pas connu le succès attendu, il en est tout autre de son adaptation en bande dessinée…
Publiée aux éditions Glénat en septembre 2021, la BD How I live now reprend méthodiquement le récit de Meg Roscoff pour nous offrir une adaptation aussi tendre qu’assourdissante. Alors que le film proposait une version libre (trop ?) du récit de l’autrice américaine, How I live now a su retranscrire avec brio toute la détresse qui se dégage de cette fresque adolescente saisissante.
Illustrée et scénarisée par Lylian et Christine Circosta, cette bande dessinée, légèrement déconcertante, sonne un terrible écho avec notre actualité brûlante et exprime la disparité des sentiments humains – et surtout adolescents ! – avec une incroyable sensibilité. Une BD jeunesse à découvrir dès 14 ans !
How I live now : une BD qui exprime le mal-être adolescent
New-Yorkaise endurcie, Elisabeth – que tout le monde appelle Daisy – est envoyée par son père chez sa tante en Angleterre. Adolescente rebelle et désorientée, Daisy est une héroïne qui nous apparaît aussi agaçante que touchante. Dès le début de la BD, le contexte militaire sensible laisse planer une atmosphère menaçante sur les personnages… Pourtant, au milieu de leur paradis bucolique « on aurait dit un décor de cinéma. La nature y était belle et parfaite », rien ne semble pouvoir les atteindre. Vous l’aurez compris, dès les premières pages, How I live now laisse transparaître une dualité qui ne cessera de s’opposer tout au long de ses 136 pages.
Arrivée dans le cottage anglais où vivent sa tante et ses cousins, Daisy tente d’apprivoiser leur façon de vivre. D’abord décontenancée par la douceur inopinée qui se dégage de ce cocon familial, elle apprend à profiter de l’instant présent. Loin de son père et de sa belle-mère, elle découvre une vie en harmonie avec la nature, loin des tourments de son existence « je reste, là, à rêvasser aux fantômes de ma vie passée qui s’éloignent peu à peu », où elle retrouve le goût de vivre.
Portée par les sentiments qu’elle commence d’éprouver pour Edmond, son cousin, Daisy lâche enfin prise et retrouve la jeune fille qui se cachait tout au fond d’elle « la sensation que j’éprouvais depuis déjà un moment était devenue tellement forte que j’en avais la tête qui tournait ». À l’image des coquelicots qui ne cesseront d’éclore tout au long de la BD, l’adolescente se reconnecte à une réalité pour mieux se débrancher d’une autre « la nature nous aidait à nous déconnecter du marasme ambiant ». Pourtant, la guerre est là. Elle frappe à leur porte lourdement. Mais, sourde à son appel, les adolescents continuent de gambader insouciamment.
Persuadée d’avoir trouvé le bonheur au bout du monde, Daisy oublie ses angoisses adolescentes et embrasse la vie comme elle ne l’avait jamais fait auparavant. Bercée par la romance qu’elle entretient secrètement avec son cousin, elle reste dans le flou quant à la situation critique à laquelle fait face le monde « il devait bien y avoir une guerre qui se déroulait quelque part dans le monde, mais en tout cas, nous, elle ne nous atteignait pas ». Un flou volontairement entretenu qui, au-delà de créer une tension palpable, permet aux lecteurs de facilement se projeter dans la réalité de ces adolescents en plein cœur d’un monde postapocalyptique.
Mais, si elle se faisait entendre de manière feutrée, la tension militaire va finir par faire exploser leur bulle hors du temps pour les faire redescendre sur terre « Le pays est envahi par l’ennemi. C’est lui qui contrôle les routes, la distribution de nourriture et la répartition des citoyens sur le territoire ». Brutal retour à la réalité.
How I live now ou le douloureux passage de l’adolescence à l’âge adulte
Tandis que les militaires prennent possession de leur havre de paix, les adolescents sont brusquement séparés pour être envoyés dans différentes familles d’accueil. Presque étonnés de ce qui leur arrive, Edmond et Daisy ne réalisent pas encore qu’ils ne se reverront peut-être plus jamais « il fallait faire avec l’absence, ce vide qui prend toute la place quand une personne vous manque ». Dès lors, la bande dessinée bascule dans une autre dimension… une dimension de fin du monde, entrecoupée par des visions fantastiques, illustrée par les planches tantôt sombres tantôt colorées de Christine Circosta. Au milieu de l’apocalypse, la lumière est toujours porteuse d’espoir.
Pourtant, leur idylle champêtre a bel et bien basculé dans l’horreur. Emportée dans le tourbillon d’un drame cruel, la bande dessinée devient plus mature. Bien que Daisy soit toujours une adolescente farouche, elle devient plus réfléchie… Bien qu’elle évolue, presque imperceptiblement, pour devenir une jeune adulte, c’est à travers ses yeux innocents que le lecteur observe les persécutions, les assassinats arbitraires, les points de contrôle et toutes les horreurs barbares et sanguinaires qu’engendrent la guerre.
« Je commençais à croire que certaines choses arrivent, qu’on le veuille ou non, et qu’une fois qu’elles sont lancées, on n’a plus qu’à s’accrocher, fermer les yeux et voir où on va atterrir quand ça va s’arrêter »
Pourtant, paradoxalement, prête à tout pour retrouver Edmond, Daisy ne s’est jamais sentie aussi vivante. Entourée des cadavres ensanglantés et défigurés qui s’amoncellent devant ses yeux, elle apprend à se définir comme une femme à part entière « il a fallu tout ce temps, mais maintenant, je sais parfaitement où est ma place ». Alors que l’incertitude et l’angoisse la tenaillent, elle laisse ses caprices d’adolescente incomprise derrière elle pour prendre les choses en main et empoigner de force le destin qui l’attend. Et c’est là, au milieu de cette monstruosité innommable, qu’elle passe brutalement de l’adolescence à l’âge adulte.
« Il serait beaucoup plus facile de raconter cette histoire si ça parlait d’amour chaste et idéal entre deux enfants seuls contre le monde entier en temps de crise historique », mais ça sonnerait faux… l’essentiel de How I live now est ailleurs. Oui, c’est une BD sur le mal-être adolescent, mais c’est aussi et surtout un reflet terrible du monde dans lequel nous vivons. Au-delà de la romance adolescente, How I live now est une BD qui illustre le contraste saisissant des émotions humaines en temps de guerre… et c’est tout simplement aussi troublant que percutant !
En bref, teintée d’une aliénation suave, How I live now (Maintenant c’est ma vie) provoquera des sentiments contradictoires chez tous les lecteurs. Prisonniers du tumulte langoureux d’une mélancolie latente, vous serez bientôt saisis par des sentiments diffus qui ne cesseront de vous faire osciller entre une douce anesthésie et une détresse silencieuse…