Frankenstein ou le Prométhée moderne de Mary Shelley : du mythe grec à la légende mondialement reconnue

Qui n’a jamais entendu parler du monstre de Frankenstein imaginé par Mary Shelley ? Quelqu’un ? Non ? C’est bien normal, ce monstre – souvent illustré avec des clous dans la tête – hante notre imaginaire depuis bien longtemps maintenant. Mais êtes-vous vraiment sûrs de savoir comment est née cette abominable créature ? Parce que, croyez-nous, l’histoire est loin d’être celle que vous croyez…

Paru pour la première fois en 1818, Frankenstein ou le Prométhée moderne de Mary Shelley a longtemps été considéré comme l’œuvre de son mari, Percy Shelley. En plein 19ème siècle, il semblait impensable qu’une femme puisse manier la plume aussi bien que les poètes romantiques. Mais, têtue et bornée, Mary Shelley – ou plutôt Mary Wollstonecraft Godwin – défiera toutes les lois et inscrira son roman dans la postérité. Chef d’œuvre d’une richesse littéraire incroyable, elle parviendra enfin à publier son roman, sous son nom, dans sa réédition de 1831.

frankenstein ou le prométhée moderne roman de Mary Shelley

Puisant son inspiration dans les méandres de sa vie extraordinaire, la jeune Mary donne naissance à une créature dont elle n’imaginait pas qu’elle deviendrait une légende qui traverserait les siècles. Plus de deux cents ans plus tard, le Frankenstein de Mary Shelley reste l’un des monstres les plus emblématiques de la culture populaire. En bref, un roman qui trouvera naturellement sa place sur vos piles à lire automnale et qui, à l’approche d’Halloween, vous plongera dans une atmosphère aussi mystérieuse qu’angoissante « Je fus bientôt emportée par les vagues. Et tu disparus dans les ténèbres lointaines »…

Puisque notre curiosité est insatiable et que percer les mystères des grands auteurs s’avère être une passion, nous avons retracé la genèse de cet incontournable roman de la littérature anglaise. Pour en comprendre ses origines, il vous faudra franchir les frontières de l’espace et du temps. De la vie de Mary Shelley, en passant par la mythologie grecque, la tradition chrétienne et les légendes juives, c’est un voyage littéraire hors du commun que nous vous proposons aujourd’hui. Suivez-nous, si vous osez !

Mary Shelley : une autrice anglaise féministe ?

Mary Wollstonecraft Godwin Shelley était une femme fascinante. Fille de William Godwin, un écrivain politique anarchiste, et de la philosophe féministe, Mary Wollencraft, elle grandit loin des stéréotypes étriqués de l’époque. Si sa mère est morte alors qu’elle n’était âgée que de dix jours seulement, elle lui vouera son admiration éternelle. Simone Veil ou encore Gisèle Halimi n’ont qu’à bien se tenir ! Féministe avant l’heure, Mary Wollstonecraft, est l’une des premières à s’être battue pour le droit des femmes en publiant, notamment, un pamphlet intitulé Défense des droits des femmes.

Pour Mary Wollstonecraft, si les femmes paraissaient inférieures aux hommes, ce n’était là non pas une injustice liée à la nature, mais au manque d’éducation auquel elles étaient soumises. Vous comprenez mieux pourquoi Mary Shelley avait l’esprit aussi vif qu’aiguisé ? Refusant d’abandonner ses idéaux au profit de la bienséance « Mes choix font de moi celle que je suis. Et je ne regrette rien », la célèbre autrice se nourrit de la connaissance prodiguée par les livres au milieu desquels elle grandit. Tiens, tiens… mais ne serait-ce justement ce que fait le monstre de Frankenstein pour tenter de s’extirper de sa misérable condition ?

Pour mieux comprendre les idées progressistes de cette jeune fille indomptable et de celle de son tumultueux compagnon, nous ne pouvons que vous conseiller le film Mary Shelley de Haifaa Al Mansour. Un film, qui éclairera à n’en point douter, votre lecture de Frankenstein. Les conventions, Mary Shelley n’en a que faire et c’est précisément ce qu’elle tente de démontrer à travers son œuvre magistrale de Frankenstein et le Prométhée moderne. En effet, bien loin d’un livre d’horreur, le roman de Mary Shelley s’est érigé comme un chef-d’œuvre de la littérature classique anglaise. Mais pourquoi nous direz-vous… La voix du monstre serait-elle celle de l’autrice elle-même ? Minute papillon, vous comprendrez en temps voulu !

Comment est né le monstre de Frankenstein de Mary Shelley ?

Vous rêvez de savoir comment est née la créature désormais légendaire de Mary Shelley ? En êtes-vous vraiment sûrs ? Parce qu’on raconte que ce monstre est tout droit sorti d’un cauchemar… N’est-ce pas approprié ? « J’entrevoyais encore d’autres possibilités. Provoquer l’apparition de fantômes et de démons était une chose que mes auteurs favoris disaient tout à fait réalisable, et donc je cherchais passionnément l’accomplissement ».

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Boris Karloff dans le rôle du monstre de Frankenstein (film de James Whale, 1931)

C’est lors d’un séjour en Suisse en juin 1816, plus précisément à Cologny près de Genève – oui, la ville de naissance de Victor Frankenstein dans le roman – qu’a germé l’idée de cette histoire. Mary Wollstonecraft Godwin y était alors en vacances dans la maison de l’écrivain et poète romantique, Lord Byron, avec Percy Shelley. Alors que tous s’ennuyaient profondément tandis que la pluie ne cesse de battre les carreaux, Lord Byron proposa un jeu : écrire une histoire de fantômes sous forme de récit d’épouvante. Le défi était lancé !

Et, loin de le prendre à la légère, celle qui deviendra l’autrice de Frankenstein y consacra ses jours et ses nuits. C’est ainsi, qu’au milieu des ténèbres, elle se réveilla après un cauchemar où elle voyait un monstre hideux penché au-dessus de son lit… Le monstre de Frankenstein était né. Il ne lui restait maintenant plus qu’à coucher sur papier ses idées.

Pour cela, elle puisa dans la littérature afin de façonner puis de donner vie au monstre de son cauchemar. Elle s’appuya, notamment, sur la légende juive du Golem. Cette légende nous ramène deux cents ans en arrière, au 16ème siècle, en République tchèque. À Prague, la communauté juive était alors accusée de meurtres rituels par les chrétiens. Ces pauvres gens vivaient dans la peur de se faire tuer. Pour protéger son peuple, le Maharal de Prague, un célèbre rabbin, façonna alors un géant d’argile. Mais bientôt le monstre échappa au contrôle de son créateur et sema terreur et désolation dans les rues de la capitale tchèque. Cela ne vous rappelle-t-il pas un passage du Frankenstein de Mary Shelley ? Bingo ! Si on ne saura jamais de quelle matière sont les tissus qui recouvrent le corps de la créature de Victor Frankenstein, c’est écrit noir sur blanc : il l’a « façonnée comme l’argile »…

Mais loin de puiser son inspiration uniquement dans les légendes littéraires, Mary Shelley s’est également laissé influencer par les progrès scientifiques fulgurants de ce début du 19ème siècle « Un des phénomènes qui avaient particulièrement retenu mon attention était la composition de la structure humaine, comme celle d’ailleurs de tout animal vivant ». Maintenant que vous situez le contexte, une petite réflexion s’impose… Frankenstein ou le Prométhée moderne est-il un roman d’épouvante ou bien un livre scientifique ? Alors ? À votre avis ?

Frankenstein de Mary Shelley : un roman gothique ?

À sa parution, Frankenstein ou le Prométhée moderne a d’emblée été catalogué comme un roman gothique. À tort ou à raison ? C’est la question que nous nous sommes posée. Si le roman de Mary Shelley a, en effet, quelques caractéristiques du genre gothique, il est surtout considéré comme l’un des livres précurseurs du genre de la science-fiction, marquant une nette rupture avec la période du romantisme.

Qu’est-ce qu’un roman gothique ?
Le roman gothique est sous-genre de la littérature romantique, il s’inscrit dans la logique du sentimental et du macabre. Les châteaux hantés, les phénomènes inexpliqués et la peur inextricable des victimes – souvent des jeunes filles en détresse – deviennent le maître moteur de l’art littéraire gothique. Vous l’aurez compris, l’horreur et la terreur se font les héros de ces histoires qui font peur. L’un des romans les plus représentatifs de la période est celui d’Ann Radcliffe, Les mystères d’Udolphe. Mais le mouvement est né en 1764 avec Le château d’Orante, un livre de Horace Walpole et s’achève dans les années 1820 après la parodie satirique de Jane Austen, L’Abbaye de Northanger mais surtout avec le coup de grâce donné par l’originalité du Frankenstein de Mary Shelley. Qualifié comme un genre de mauvais goût, risible voire ridicule pour certains, Mary Shelley bouscule les codes en créant un gothique réaliste qui pour dessein de révéler les côtés sombres de l’humanité. En France, ce genre est considéré comme le précurseur du roman noir.

Quand on pense aux deux qualificatifs principaux du genre gothique, l’horreur et la terreur, vous l’aurez compris – il est difficile d’imaginer le roman, Frankenstein, de Mary Shelley s’ancrer dans ce mouvement littéraire. Pas de châteaux hantés ou d’apparitions surnaturelles, ici, quoique… La vitesse extraordinaire avec laquelle se déplace le monstre pourrait presque nous faire douter « Qui aurait la prétention de poursuivre un animal capable de traverser la mer de glace et de vivre dans des grottes et des tanières dans lesquelles aucun être humain n’oserait s’aventurer ? » mais pas assez pour que l’on soit effrayé. Pourquoi ? Parce qu’on sait quelle est la chose difforme qui saute de montagne en montagne sans le moindre effort…

Finalement, dans Frankenstein ou le Prométhée moderne, l’horreur se manifeste dans la définition la plus stricte du terme. Selon le dictionnaire du Larousse, horreur signifie « sentiment violent de dégoût, d’aversion, de forte réprobation ». N’est-ce pas précisément ce que ressent Victor Frankenstein quand il pose son regard, pour la toute première fois, sur son œuvre « Comment pourrais-je dire l’émotion que j’éprouvais devant cette catastrophe, ou trouver les mots pour décrire l’être repoussant que j’avais créé au prix de tant de soins et de tant d’efforts ? ».

De par son apparence cadavérique, le monstre de Frankenstein devient l’horreur personnifiée « Sa peau jaunâtre dissimulait à peine le lacis sous-jacent de muscles et de vaisseaux sanguins. Sa chevelure était longue et soyeuse, ses dents d’une blancheur nacrée, mais cela ne faisait que mieux ressortir l’horreur des yeux vitreux, dont la couleur semblait se rapprocher de celle des orbites blafardes dans lesquelles ils étaient profondément enfoncés ». Face à cette effroyable découverte, Victor Frankenstein aurait-il pu réagir autrement que par l’horreur puis la terreur ?

Là où l’autrice réalise un coup de maître, c’est en choisissant d’ancrer le genre gothique dans un contexte réaliste. Le gothique de Mary Shelley devient une représentation du mal qui habite l’esprit humain « Je m’appliquais à examiner et à étudier minutieusement le procédé de transformation, tel qu’il apparaît dans le passage de la vie au néant, ou du néant à la vie. Jusqu’au jour où, au sein des ténèbres, une lumière jaillit soudain dans mon esprit… ». Le genre gothique se fait alors porteur d’un message : chaque être humain cache, tout au fond de lui, des pensées inavouables. Rassurant, n’est-il pas ? Alors, finalement, qui est le véritable monstre de Frankenstein ? La créature ou son créateur ?

Pourquoi Frankenstein est nommé le Prométhée moderne ?

Bien avant de devenir une célèbre légende de la culture populaire, le monstre de Frankenstein puise ses origines dans un mythe grecVous souvenez-vous de l’histoire de Prométhée ? Reprenons depuis le début, voulez-vous ?

Prométhée était un Titan de la mythologie grecque. Ce dernier avait un frère, Épiméthée – qui signifie en grec : qui réfléchit après coup – qui était chargé de distribuer les qualités et dons physiques à l’humanité. Mais petit hic ! Il oublie de le faire. Les hommes se retrouvent alors nus et sans défense. Prométhée se met alors en tête de sauver l’humanité, rien que ça ! Avec la complicité d’Athéna, il va alors pénétrer dans l’Olympe pour voler une étincelle du feu sacré afin de le donner aux hommes. En plus de sauver l’humanité d’une existence primitive, Prométhée leur enseigne l’art de la métallurgie mais aussi de l’agriculture.  

Mais vous vous en doutez, quand Zeus l’apprend, il entre dans une rage folle ! Comment a-t-il osé ?! Mais il est déjà trop tard, on ne peut reprendre la connaissance à celui qui l’a acquise. Loin de se décourager, Zeus manigance alors une de ses vengeances dont il a le secret. Pour commencer, la boîte de Pandore est ouverte… Malheurs et souffrances s’abattent alors sur l’humanité tout entière. Et clou du spectacle ! Zeus fait attacher Prométhée sur un rocher du mont Caucase et ordonne qu’un aigle gigantesque vienne lui dévorer le foie. Le sadisme de Zeus n’ayant aucune limite, le foie de Prométhée repousse chaque nuit et fait de son calvaire, une punition éternelle… Charmant, n’est-ce pas ? 

le prométhée moderne

Prometheus © Théodoor Rombouts

Tout comme Prométhée, les intentions originelles de Victor Frankenstein étaient louables « Mon cœur débordait de bonté et de l’amour de la vertu. J’étais entré dans la vie avec des intentions bienveillantes, et j’aspirais à l’heure où je pourrais les traduire en actes, et me rendre utile à mes semblables ». Mais tout comme son alter ego mythologique, il ne tire que souffrances et tourments de son idée de génie. Eh oui, ne joue pas à être Dieu qui veut !

Depuis la nuit des temps, la quête du savoir est considérée comme un péché. Cela nous ramène à la Genèse où Adam croque dans la pomme de l’arbre de la connaissance. D’ailleurs, lorsque Victor Frankenstein et sa créature hideuse se confrontent pour la toute première fois, le monstre lui dit qu’il trouvait dans ses lectures « matière à bien des rapprochements avec mes propres sentiments et ma triste condition ». En lisant le Paradis perdu de Milton, le monstre de Frankenstein n’en devient que plus malheureux. Il comprend qu’il est un savant mélange d’Adam et Satan, mi-humain mi-démon « Dieu dans sa pitié fit l’homme beau et attrayant, à sa propre image ; mais mon être est une version immonde du vôtre, rendue plus horrible encore par cette ressemblance. Satan, lui, avait au moins des compagnons, d’autres diables pour l’admirer et l’encourager. Mais moi, je suis seul et détesté de tous ».

La soif de connaissance du monstre de Frankenstein ne va lui apporter que malheur et désespoir : il prend conscience de sa monstrueuse apparence et du dégoût qu’il inspire à l’humanité… Mais alors… Dans l’œuvre de Mary Shelley, la connaissance serait-elle intrinsèquement liée au malheur ?

Le Prométhée moderne : la connaissance a-t-elle une cause à effet sur la quête du bonheur ?

Dans un ultime appel désespéré à son créateur, le monstre de Frankenstein lui avoue que son « malheur ne faisait que s’accroître avec [ses] connaissances ». Dans son roman, Mary Shelley insinue subtilement l’incompatibilité entre bonheur et connaissance « Combien étrange est la nature de la connaissance ! Elle s’arroche à l’esprit, lorsqu’elle s’en est saisie, comme le lichen au rocher ». Il y a l’idée d’une dualité, d’un choix à faire. L’un ne peut pas coexister avec l’autre. Victor Frankenstein en paiera d’ailleurs le prix fort puisque sa famille ne survivra pas à son expérience désastreuse…

Il y a une idée sous-jacente de folie dans la quête de savoir. Plus le récit du scientifique avance, plus il perd toute notion avec la réalité « j’avais l’impression d’être entouré de ténèbres. Il n’y avait auprès de moi personne pour m’apaiser par des paroles affectueuses, aucune main chère où trouver un appui ». Nous retrouvons alors cette idée biblique que le savoir est diabolique. Après avoir croqué la pomme, Adam est chassé du paradis. La soif de connaissance se matérialise comme un frein au bonheur des hommes.

La question posée par le roman, Frankenstein, de Mary Shelley se fait alors plus philosophique que métaphysique. Si l’homme semble condamné à une vie de désespoir en portant en lui le fruit de la connaissance, il semble impensable qu’il reste ignorant. Mais alors… Comment affronter l’horrible réalité de la vie ? Le remède ne serait-il tout simplement pas l’amour ?

Cette dualité insolvable fait directement référence à la vie de Mary Shelley. En effet, avide de connaissances, elle refusa néanmoins de se résoudre à se plier à ses règles. C’est ainsi qu’elle choisit de s’enfuir vivre un amour interdit avec Percy Shelley plutôt que de céder à l’appel de la bienséance. Et c’est exactement le fondement de la demande du monstre de Frankenstein à son créateur « Si je ne peux pas inspirer l’amour, je sèmerai la peur… ».

Qui est le véritable monstre ? Frankenstein ou sa créature ?

Une légende urbaine persiste sur Frankenstein ou le Prométhée moderne de Mary Shelley… Celle selon laquelle Frankenstein serait le monstre. Cependant, Victor Frankenstein est le nom du créateur et non celui de la créature. Le monstre de Frankenstein, en plus d’avoir une apparence hideuse, est privé de nom. Rejeté pour sa monstruosité, le scientifique lui retire tout espoir d’humanité en le laissant comme « inconnu » aux yeux de tous.

Abandonné, le monstre se montre si écœuré par les lois de la société humaine qu’il déclare qu’il aurait préféré « rester vivre dans les bois en ne connaissant ou ne ressentant autre chose que la faim, la soif et la chaleur ».  Son désir d’amour et de reconnaissance va alors se muer en un irrépressible désir de vengeance. C’est ainsi qu’il fait une demande pour le moins incongrue à son créateur : celle de lui créer une compagne pour tromper sa solitude.

Interloqué, Frankenstein est déstabilisé « Ses paroles produisirent sur moi un effet étrange. J’éprouvais pour lui de la compassion, et parfois je désirais lui offrir une consolation ; mais quand je le regardais, quand j’apercevais cette masse affreuse qui se mouvait et parlait, la répulsion m’envahissait… mes sentiments se changeaient en horreur et en haine ». Si le manque d’amour semble être la racine de la haine et du mal, Victor Frankenstein ne sera jamais en mesure de lui apporter ce qu’il veut. Ne s’arrêtant qu’à son horrible apparence, il fait fi de ses sentiments intérieurs « Il fallait que je mette fin à l’existence de la monstrueuse image que j’avais, involontairement, dotée d’une âme plus monstrueuse encore que son hideux physique ». Alors qui est le véritable monstre ?

Et c’est ainsi que le Frankenstein de Mary Shelley se fait une critique subtile de la société de son temps. Au travers du rejet physique du monstre, Shelley montre l’habilité de cette société à ne juger ses pairs uniquement selon leur apparence. Celle qui a choisi de vivre en marge de la société de son temps met en évidence une dichotomie irréconciliable entre l’être et le paraître. En bref, vous l’aurez sûrement compris, son roman se fait une critique de la bienséance surfaite de la petite bourgeoisie du 19ème siècle.

Frankenstein ou le Prométhée moderne en littérature puis au cinéma

Si la première adaptation cinématographique du monstre de Frankenstein de Mary Shelley date de 1910, c’est véritablement en 1931, sous les traits de Boris Karloff, qu’il prend vie. En effet, plus de cent ans plus tard, les traits de l’acteur restent figés dans nos mémoires. Un visage terrifiant, mais non dénué d’humanité, qui s’est inscrit dans la postérité. C’est d’ailleurs cette adaptation qui propulsera la phrase « It’s alive » au cœur de la culture populaire. Fort de son succès, le réalisateur donnera même une suite à son premier film, La fiancée de Frankenstein.

Mais depuis l’adaptation de James Whales, qui disons-le franchement, humanise Frankenstein tandis qu’elle diabolise son créateur, les apparences physiques du monstre se sont succédé au fil du temps. En 1943, c’est le célèbre interprète du comte de Dracula au cinéma, Bela Lugosi, qui prête sa voix au monstre dans le film intitulé Frankenstein rencontre le loup-garou. Et c’est à partir de là que les horreurs de Frankenstein se transforment en frasques burlesques…

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Bela Lugosi dans le rôle du monstre de Frankenstein (film de Roy William Neill, 1943)

En effet, après avoir rencontré le loup-garou, le monstre de Frankenstein rencontre Dracula, Jesse James, Baragon puis Sherlock Holmes et même… Alvin et les Chipmunks en 1999. Désormais beaucoup plus satirique que fantastique, la créature du roman de Mary Shelley n’a plus du tout l’aura mythique qu’elle possédait au départ.

Pire encore ! Après avoir été tourné en ridicule en affrontant des créatures fantastiques célèbres, le monstre de Frankenstein a fait l’objet de nombreuses parodies… érotiques ! C’est au début des années 70 que la créature imaginée par Mary Shelley devient le héros de films érotico-horrifique. En effet, dans Les expériences érotiques de Frankenstein ou encore dans Lady Frankenstein, cette obsédée sexuelle, le personnage est complètement détourné de son sens philosophique et métaphysique pour devenir un objet érotique… risible, nous en convenons. Cependant, nous vous rassurons tout de suite, ces « horreurs de Frankenstein » ont largement été oubliées par l’histoire du cinéma…

Les deux livres à lire absolument si vous avez aimé Frankenstein ou le Prométhée moderne

S’il y a bien deux livres qui sont absolument à lire si vous avez aimé le Frankenstein de Mary Shelley, ce sont L’étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde et Martin Eden. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il est impossible de ne pas déceler l’influence de Mary Shelley à travers leurs mots.

L’étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde de Robert Stevenson

Paru pour la première fois en 1886, il est impossible de nier la ressemblance entre le monstre de Frankenstein du roman de Mary Shelley et l’étrange Edward Hyde qui se définit comme l’incarnation du mal à l’état pur. Là encore, les évolutions scientifiques du 19ème siècle semblent avoir influencé Robert Stevenson dans la rédaction de son roman. En effet, c’est grâce à un mélange de poudres chimiques que l’éminent Dr Jekyll parvient à dissocier son instinct sociétal de son instinct animal. N’en revenons pas à la problématique même de Frankenstein et le Prométhée moderne ? L’homme est condamné à vivre sous l’emprise de la bienséance… ce qui le pousse, dans certains cas extrêmes, à devenir le mal incarné.

S’engage alors une enquête policière aussi passionnante que terrifiante qui nous plonge dans le journal scientifiquement diabolique du Dr Jekyll. Mettant en scène le dédoublement d’identité, le Dr Jekyll se laisse aller à ses pulsions les plus primaires sous l’apparence de Mr Hyde tandis qu’il conserve une respectabilité irréprochable sous les traits du Dr Jekyll. Ingénieux, n’est-ce pas ? Absolument terrifiant, également, on vous le concède. Mais, tout comme le roman de Mary Shelley, L’étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde nous interroge sur la limite entre le bien et le mal dont la soif de connaissance semble le point de départ…

Martin Eden de Jack London

Édité dans sa version originale en 1909, Martin Eden est un roman qui se distingue en tout point du courant gothique et fantastique. Point de surnaturel ou de monstre dans le roman de Jack London mais pourtant, lui aussi, impossible de le dissocier du Frankenstein de Mary Shelley. Héros au génie incompris, Martin Eden est un jeune marin issu des quartiers pauvres d’Oakland. Mais loin de s’attrister sur son sort, et pour espérer conquérir le cœur d’une jeune bourgeoise, il décide de remédier à sa situation en cultivant. Et là commence le début des ennuis « Le bonheur de créer qui était censé n’appartenir qu’aux Dieux, était en lui »…

Passionné de littérature, il devient rapidement un auteur à succès, mais la fougue des débuts se transforme peu à peu en mélancolie latente. La gloire et l’embourgeoisement le rongent de l’intérieur « J’aime les livres et la poésie et chaque fois que j’avais le temps, je lisais – mais ça ne m’a jamais fait réfléchir comme vous. Je suis comme un navigateur à la dérive, sur une mer inconnue, sans carte ni boussole ». Sa réussite ne tarde pas à le perdre, il ne sait plus qui il est. Roman le plus personnel de Jack London, Martin Eden interroge le lien ténu, tout comme Frankenstein ou le Prométhée moderne, entre la soif de connaissance – et de reconnaissance – et la question du bonheur et de l’amour. Comment atteindre les sommets sans se perdre soi-même ? La question reste entière et nous serions curieux de connaître votre avis sur la chose…

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  1. Sarah B R octobre 28, 2021

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