Seule en sa demeure : Cécile Coulon revisite le roman gothique

À travers Seule en sa demeure, Cécile Coulon emprisonne ses lecteurs et ses personnages dans une forêt d’Or. Mais ne vous y fiez pas, le conte de fées pourrait rapidement tourner au cauchemar… Tomberez-vous dans le piège des passions dévastatrices ?

A-t-on vraiment encore besoin de la présenter ? Depuis Les Ronces, récompensé par le prix Apollinaire en 2018, et Une bête au paradis, Cécile Coulon s’est fait une place de choix sur la scène littéraire. Jeune autrice talentueuse, elle impressionne par la force poétique de sa plume à chaque nouvelle publication. Seule en sa demeure ne fera pas exception à la règle.

Paru aux éditions L’Iconoclaste dans le cadre de la rentrée littéraire 2021, son nouveau roman vous entraîne au cœur d’une forêt au pouvoir destructeur « tout autour du domaine, rien que les bois ». Bienvenue dans un huis clos angoissant où planent insidieusement secrets, mystères et fantômes

Seule en sa demeure : un roman gothique ?

Oscillant entre le conte de fées et le roman gothique, Seule en sa demeure s’inscrit dans la lignée de grandes œuvres littéraires comme Rebecca de Daphné du Maurier, Dracula de Bram Stoker, Frankenstein de Mary Shelley ou encore Mansfield Park de Jane Austen. Rien que ça, nous direz-vous ?

Ne vous y trompez pas, Cécile Coulon ne vous propose pas un énième roman gothique – l’époque est révolue – mais plutôt un roman noir où les lieux prennent possession de leurs hôtes « Le domaine Marchère lui apparaîtrait comme un paysage après la brume. Jamais elle n’aurait vu un lieu pareil, jamais elle n’aurait pensé y vivre ». Cependant, les fantômes sont loin d’être ceux que vous croyez…

Si la brume nébuleuse qui entoure le domaine Marchère nous plonge dans une atmosphère des plus angoissantes, le livre de Cécile Coulon débute, pourtant, sur des effluves de conte de fées. Oh bien sûr, vous n’y trouverez pas de prince et de princesse, mais seulement Aimée, une jeune femme aussi belle qu’ingénue promis à un mariage enchanté – mais arrangé.

Néanmoins, dès le début, Aimée aurait dû sentir les filets du piège se refermer doucement sur elle. Cande Marchère est tout sauf un prince charmant. Aussi pieux que sérieux, sa présence provoque une sorte de malaise sur lequel il est difficile de poser des mots « une partie de lui-même s’échappait de leur conversation et filait dans les feuillages comme un écureuil ». Un être aussi mystérieux qu’insaisissable…

… tout comme le domaine sur lequel il règne. Il faut dire que Cande Marchère a le don de faire faner les jeunes pousses qui l’entourent… Depuis que sa mère s’est effondrée devant lui sur le chemin de l’église alors qu’il n’était encore qu’un enfant, le désormais propriétaire de la grande demeure jurassienne de la forêt d’Or s’est enveloppé d’une aura aussi ténébreuse qu’impénétrable.

Tandis qu’elle fait ses premiers pas dans la grande demeure, Aimée se retrouve enchaînée. Par un mari omniprésent, mais absent. Mais aussi par le fantôme d’Aleth, la première femme défunte de son mari. Foudroyée par une tuberculose à laquelle elle succombera en quelques jours à peine. Et puis, il y a les ombres furtives, courant dans le manoir, échappant inlassablement au regard de la jeune femme… Henria et Angelin.

Tandis que « le bien et le mal se mélangeaient dans sa pensée comme des jumeaux monstrueux, liés par un seul et même membre, dansant dans son âme, tarentulant presque, à la manière des danseurs malades, fiévreux », Aimée est saisie d’un sentiment de terreur. Mais, loin de reprendre tous les codes du genre gothique, Cécile Coulon, à la manière de Mary Shelley, s’emploie à nous dépeindre la face cachée et tourmentée de l’âme humaine…

Que se cache-t-il réellement derrière les murs de ce manoir obscur ?

Cécile Coulon illustre avec fracas le passage de l’enfance à l’âge adulte

Vous l’aurez compris, si Seule en sa demeure commence tel un conte de fées, la prétendue histoire d’amour ne tarde pas à tourner à l’orage. Cécile Coulon se lance alors dans l’écriture d’une sorte de polar revisité. Alors qu’Aimée tente de percer le mystère qui entoure cette forêt d’Or, elle se retrouve emportée par le souffle destructeur des passions humaines « le sentiment de liberté qu’elle avait ressenti sur la route s’estompa, et le désir profond, impérieux de se soumettre à ce lieu la submergea ».

Prisonnière de sa solitude, Aimée expérimente les doutes, la haine, mais aussi la passion. En bref, des sentiments aussi brûlants que glacials. À l’image de son mari.

Attendri par celle qui n’est encore qu’une enfant, le lecteur ne pourra s’empêcher d’avoir une once de pitié pour Aimée. Elle, la jeune fille qui a grandi entourée d’une famille aimante, dans un foyer jovial où les rires fusaient. Au milieu de la forêt d’Or, le silence règne… jusque dans sa chambre à coucher où elle attend, nuit après nuit, l’arrivée de son époux, venu lui voler ce qu’elle ne se sentait prête à donner à personne.

Mais n’est-ce pas normal d’avoir peur à 18 ans seulement ?

cécile coulon seule en sa demeure

Cependant… pourquoi ressent-elle une peur inexplicable quand Cande se glisse entre ses draps « Aimée ne bougeait pas, pétrifiée, n’y trouvant ni plaisir ni dégoût ; comme lui elle regardait la paume qui glissait au-dessus du tissu tel un navire fantôme » tandis qu’elle éprouve une vive émotion quand les mains d’Emeline, sa professeure de flûte, effleurent sa peau « elle s’était décomposée sous ses mains inconnues » ?

Peut-être est-ce tout simplement parce que la jeune professeure est libre, qu’elle n’appartient pas à ces lieux hantés. Cande, lui, en est le maître absolu. Bien qu’il fasse frissonner Aimée, le lecteur ne saura jamais vraiment si c’est du désir ou de la peur… Une chose est sûre : la tension est palpable. Et elle se tend inextricablement au fur et à mesure que les pages se tournent jusqu’au moment où…

…le monstre sort de sa cachette.

Avec Seule en sa demeure, Cécile Coulon signe un roman addictif porté par une prose envolée, presque lyrique, voire oppressante. Piégé dans le regard d’Aimée, le lecteur assiste impuissant à la chute inattendue, à la fois romantique et cruelle, mais surtout terriblement injuste… En bref, le nouveau livre de Cécile Coulon s’apparente à un grimoire ensorcelant.

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