Où vivaient les gens heureux de Joyce Maynard : la douce amertume de la vie d’une famille

Paru lors de la dernière rentrée littéraire, Où vivaient les gens heureux de Joyce Maynard est un condensé de douceur amère, roman familial ancré en son temps, hymne à la maternité écrit dans une langue simple qui ne l’est jamais trop.

Une ferme en Amérique, là où vivaient les gens heureux

Derrière l’histoire familiale que raconte Joyce Maynard, l’Amérique vit, parcourue des soubresauts de son Histoire récente – le premier pas sur la Lune, la guerre du Vietnam en toile de fond, le réveil abrupt du féminisme. Eleanor, l’héroïne de ce roman, n’est animée par aucun esprit de revanche, ni par cette volonté de faire sa place dans le monde professionnel. Ce qu’elle veut, depuis qu’elle a perdu ses parents à l’adolescence, c’est créer un foyer.

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Dans la ferme qu’elle achète à vingt ans à peine, autrice de livres pour la jeunesse à succès, elle bâtit sa propre famille, donne naissance à trois enfants et les élève au rythme des saisons qui passent – l’été et sa chaleur écrasante, le sol bientôt jonché de feuilles roussies par les jours passés, les arbres dénudés, la neige parant les champs d’une couche blanche et poudreuse avant que les fleurs n’éclosent à nouveau. Ces pages sont habitées par le pandémonium chatoyant d’une maison de famille, colonisées par les jouets colorés que les fillettes ont abandonnés ici et là, imprégnées des effluves sucrés du pop-corn et du chocolat chaud rendus âcres par l’odeur du feu dans la cheminée, emplies de rires et de larmes.

L’héroïne de Joyce Maynard, mère avant d’être femme

Joyce Maynard parvient en effet à atteindre cet équilibre précaire qui est celui de toute maisonnée, entre chagrin et félicité. Les trois petits héros de la vie d’Eleanor sont ceux qui lui emplissent le cœur de bonheur mais aussi de tristesse, ceux pour qui elle se bat mais aussi et surtout ceux pour qui elle abandonne. La protagoniste d’Où vivaient les gens heureux est souvent passive, s’effaçant pour ne pas peiner Toby, Ursula et Al, pour les contenter. La douceur tendre de ces chapitres courts est mâtinée d’une légère amertume, remords et regrets dansant la valse dans l’esprit de cette femme qui donne tout et demande si peu, jamais. En cela, peut-être perd-elle en crédibilité, mais son abnégation se justifie par tout ce qu’elle a vécu, chaque pierre de l’édifice bâti par l’autrice venant justifier ses choix – ou plutôt ses acceptions, l’une après l’autre.

Contrairement à de nombreux auteurs de romans familiaux, Joyce Maynard choisit pour (quasi) unique focalisatrice la figure maternelle et parvient à mêler destin d’une famille et Histoire d’un pays. Où vivaient les gens heureux est un grand roman en cela qu’il parvient à mettre en lumière le long combat qu’est la parentalité, semé de bonheurs éphémères et de douleurs latentes.

© illustrations photos : Cache lune de Eric Puybaret (édition Gautier Languereau), U de Grégoire Solotareff (école des loisirs) et La montagne de livres de Rocio Bonilla (éditions du Père Fouettard)

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