Mon mari de Maud Ventura : un face-à-face conjugal croustillant

Le premier roman de Maud Ventura s’est rapidement imposé comme le chouchou de la blogosphère littéraire… et on comprend pourquoi ! Construit comme un face-à-face conjugal haletant, Mon mari nous entraîne au cœur des névroses d’une quarantenaire amoureuse de son époux comme au premier jour…

Paru le 19 août dernier aux éditions L’Iconoclaste, le premier livre de Maud Ventura est loin d’être passé inaperçu ! Surprise de cette rentrée littéraire 2021, ce roman s’est rapidement imposé comme le chouchou des blogueurs littéraires. Rien d’étonnant donc à ce qu’il figure parmi les titres en course pour le prix Médicis 2021

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Original, provocant, acidulé, voire trash – disons-le franchement ! –  Mon mari redessine les contours de l’amour à travers les névroses d’une femme qui ne vit que pour plaire à son époux. Mère de famille le jour et déesse vengeresse de l’amour la nuit, rien ne pourrait laisser penser que notre narratrice mène une double vie psychotique.

En effet, d’apparence, elle mène une vie qui pourrait étrangement ressembler à la vôtre « Excepté mes démangeaisons inexpliquées et ma passion dévorante pour mon mari, ma vie est parfaitement normale ». Pourtant, elle ne fait rien d’autre qu’ « attendre devant la porte fermée » selon les mots de Marguerite Duras dans L’Amant – l’un de ses livres favoris.

Mon mari : une subtile critique de la petite bourgeoisie contemporaine

Bien que le récit ne soit pas précisément daté, les lecteurs pourront facilement situer Mon mari dans notre époque contemporaine. Pourtant, nous voilà à bien des années-lumière de l’ère #metoo ou du mouvement féministe. Dès la page de couverture, nous voilà projetés dans une époque désuète. Difficile de ne pas faire le rapprochement avec le personnage de Bree Van de Kamp dans la série télévisée Desperate Housewives… Et pour cause ! Plus le lecteur examinera ce couple sous le microscope de Maud Ventura, et plus il sentira le malaise s’insinuer.

Et là se révèle tout le génie de Mon mari ! Si d’apparence, tout semble classé dans des tiroirs bien rangés, ce livre est dérangeant. Pour être familier, il y a un quelque chose qui cloche… Passé la stupéfaction des premières pages, le lecteur se laissera happer par l’intrigue déroutante. Impossible de ne pas se laisser piéger par ce discours mièvre… mais quel est donc le but de la manœuvre ? Pourquoi nous décrire, du lundi au dimanche, tous les faits et gestes de cette femme qui semble obsédée par l’amour – voire le culte – qu’elle voue à son mari « j’aime mon mari comme au premier jour, d’un amour adolescent et anachronique ».

Pour Madame Parfaite, rien ne doit jamais être laissé au hasard. Dans son monde, tout est codifié « alors qu’il émerge doucement, mon mari s’approche de moi, mais je me retourne à temps pour échapper à ses bras. C’est la règle, je ne dois pas céder. Hier soir, il s’est endormi sans me souhaiter bonne nuit, il n’y a aucune raison qu’il profite de mes caresses au réveil ». Rien n’échappe à son œil aguerri, chaque faux pas équivaut alors à des conséquences malheureuses… Malgré cette vie surfaite, son mari « le soleil autour duquel la plupart de [ses] mouvements gravitent », reste un homme… Un être humain avec ses faiblesses – c’est tout du moins ce que veut bien nous laisser croire Maud Ventura !

Mais que se passe-t-il quand le vernis s’écaille ? Née dans un milieu modeste, la narratrice se bat perpétuellement contre ses racines familiales « le mauvais goût est resté un péril constant, car j’ai vite compris que l’argent de mon mari ne m’achèterait ni l’élégance ni les bonnes manières ». Mais peut-on feindre d’appartenir à une société dans laquelle nous n’avons pas été élevés ? Jouer à l’épouse parfaite lui demande un sacrifice existentiel. Un sacrifice qu’elle voudrait que son mari compense par la preuve de son amour incommensurable…

Mais nous ne sommes pas dans un conte de fées et la narratrice ne va aller que de déception en déception.

Maud Ventura signe un thriller conjugal haletant

Dans un entretien accordé à Madame Figaro, Maud Ventura déclarait « je trouve qu’il y a encore un décalage entre le discours féministe qui nous embrase et la possibilité réelle de s’imaginer d’une histoire d’amour idéalisée où la femme a un rôle de muse ». Et son héroïne se fait l’incarnation parfaite de cette contradiction. En pointant, tour à tour, toutes les normes imposées par la société sur ce que doit être un couple, l’autrice jette un grand coup de pied dans la fourmilière.

Mais plutôt que de nous servir un discours féministe, elle use d’un humour noir grisant pour subtilement critiquer cette vision désuète de l’amour « quoi que je fasse, mon mari est ma référence, mon échelle de mesure, mon niveau de la mer ». Pour cela, Maud Ventura prend donc la tradition littéraire à contre-pied. En effet, plutôt que de nous décrire l’amour adultère ou l’amour fou, elle a signé le livre de l’amour partagé. Bon… un amour toxique « il est plus douloureux encore d’aimer celui que je possède déjà », mais quand même !

En effet, sous cette histoire d’amour idyllique en apparence, se cache une femme torturée par ses sentiments « je pense à mon mari tout le temps, je voudrais lui envoyer un message à chaque étape de ma journée, je m’imagine lui dire que je l’aime tous les matins, je rêve que nous fassions l’amour tous les soirs », à la limite de la folie. À travers ses tendances maniaques à notifier toutes ses erreurs conjugales, la narratrice cherche à donner un sens à vie. Son amour se teinte alors de jalousie et de rancœurs qu’elle s’emploie méticuleusement à punir.

Emportés par l’écriture addictive de Maud Ventura, nous voilà piégés au milieu de ces querelles amoureuses psychotiques. On rit, on grince des dents, on hallucine, on frissonne. La tension monte à chaque page… mais jusqu’où va-t-elle aller dans son obsession ? On ne s’appelle peut-être pas Freud, mais il semble évident que la narratrice aime l’idée de l’amour plus que son mari lui-même. Si elle nomme par leurs prénoms tous les hommes qui ont traversé sa vie, elle s’abstient d’appeler son époux par son nom. Plus que son mari, le voilà réduit à une idée. Mais peut-on construire une vie conjugale sur un concept ?

Construit sous la forme d’un thriller psychologique, ce face-à-face conjugal croustillant vous tiendra en haleine jusqu’à la toute dernière ligne « Je suis amoureuse de mon mari… Mon idéal serait un tête-à-tête perpétuel avec mon mari ». La fin – aussi drôle qu’inattendue – donne une nouvelle perspective au roman et nous amène à nous repasser tout le fil de l’intrigue sous un nouvel angle. Faussement lancinante, Maud Ventura redéfinit l’amour avec une justesse pour le moins étonnante.

Alors ? « À partir de quand la magie s’efface-t-elle ? »

Pour faire simple, Mon mari de Maud Ventura fait partie des pépites de cette rentrée littéraire 2021… un livre à lire absolument !

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