« Les adieux à la reine » : la fin d’un monde par Chantal Thomas

Vous aimez les histoires de fin du monde qui vous tiennent en haleine mais avez également un penchant pour les fictions historiques ? 👑

Chantal Thomas s’est emparée avec Les adieux à la reine d’un des moments les plus incroyables de notre passé : la chute de la reine Marie-Antoinette et de l’Ancien Régime.

Tel un journal des événements tragiques dont nous connaissons déjà la fin mais dont nous espérons pourtant l’impossible, nous vivons ces derniers instants entre stupeur et fatalisme. 😨

Le contexte : Versailles, juillet 1789

Les adieux à la reine (248 pages) s’ouvrent à Vienne, en février 1810. L’ancienne lectrice de la reine Marie-Antoinette se souvient de l’année qui aura créé l’une des ruptures les plus importantes de notre histoire : « Causons de l’ancienne Cour, faisons un tour à Versailles (…) Et les plus jeunes rapprochaient leurs chaises pour écouter les histoires… »

Nous voici en 1789, l’année où le peuple français explose de colère et demande la tête du souverain et de la souveraine. Et pourtant, à l’aube de cette Révolution, Versailles est encore dans l’insouciance et la désinvolture, loin de la fureur parisienne.

Les adieux à la reine livre : Prise de la Bastille

Jean-Pierre Houël (1735-1813), La Bastille dans les premiers jours de sa démolition, aquarelle réalisée en 1789, BNF.

Rappel des faits historiques : Versailles, Juillet 1789
L’histoire de France s’accélère de mai à octobre 1789 : ouverture des états généraux le 5 mai, proclamation de l’Assemblée nationale le 17 juin, serment du jeu de paume le 20 juin, séance royale le 23 juin, prise de la Bastille de 14 juillet, désertion des gardes françaises le 30 juillet, abolition des privilèges dans la nuit du 4 août, Déclaration des droits de l’homme le 26 août, banquet des gardes du corps le 1er octobre. Tous ces événements accompagnent et précipitent les derniers jours de Versailles comme capitale du royaume, siège de la cour et du gouvernement. Cet enchaînement éclaire la grande histoire de la Révolution, dont les enjeux et les conséquences n’ont pas été perçus, loin de là, par les acteurs et les témoins versaillais de 1789.

L’histoire : les souvenirs de la lectrice de la reine

Marie-Antoinette vit alors entre le Petit Trianon et Versailles, entourée de ses favorites, Madame de Polignac notamment. Elle sollicite également régulièrement notre narratrice, le personnage fictif Agathe-Sidonie Laborde, pour des séances de lecture. Celles-ci seront le plus souvent nocturnes et viseront à lutter contre les insomnies de la reine.

Notre lectrice voue à la reine une passion quasi amoureuse. Elle nous fait ainsi un portrait bien éloigné de l’image populaire caricaturale de l’époque : « La Reine, chez elle, évitait de donner des ordres. Elle suggérait, indiquait, demandait chaque chose comme un service qu’on voudrait bien lui rendre et pour lequel elle serait infiniment reconnaissante. Elle était d’une parfaite politesse avec le moindre de ses serviteurs et ne manifestait jamais à leur égard d’impatience ni de brusquerie. Maternelle et volontiers joueuse avec ses jeunes pages, elle parlait à ses femmes sur un ton d’amitié et même de complicité.

Ce petit monde insouciant va rapidement être chamboulé par la nouvelle de la prise de la Bastille. Cet événement pivot, fêté chaque année le 14 juillet, est vécu ici comme un événement lointain, un imperceptible bruissement qui prend peu à peu de l’ampleur jusqu’à provoquer une véritable débandade. Une liste des têtes à couper commencer à circuler. L’incrédulité de la cour est totale : « Couper des têtes pour opérer des réformes, je ne comprends pas ».

La compréhension à Versailles est lente :

« Des gens commencèrent à avoir soif. Ils désiraient du vin, de la bière, des fruits. Ils appelaient, sonnaient. Pas de réponse. Ils ne pouvaient y croire, sonnaient à nouveau. Ils criaient d’une voix assurée d’abord, puis de plus en plus incertaine. La personne qui avait appelé restait, la main sur le cordon, sans comprendre. »

Chantal Thomas

Le château se vide. Nobles et serviteurs prennent la fuite en emportant tout ce qu’ils peuvent. Nous vivons avec eux le calme avant la tempête :

« Peut-être pour la première fois à Versailles, le trouble était trop fort pour que le perpétuel et tenaillant souci d’être vu continue d’agir. Des ombres se croisaient dans les escaliers, les couloirs, les antichambres. Personne ne parlait. Chacun, découragé, prévoyait les plus grands malheurs. » Chantal Thomas

les adieux a la reine livre film : Élisabeth Vigée-Lebrun

Détail de Marie Antoinette en gaule, 1783, par Élisabeth Vigée-Lebrun

Et pourtant, les plus proches serviteurs de la reine, dont notre narratrice fait partie, paraissent comme anesthésiés. C’est d’ailleurs le reproche que beaucoup feront à l’œuvre de Chantal Thomas. Les adieux à la reine donne un peu l’impression d’une anesthésie générale, où les sentiments sont très peu exprimés. On peut d’ailleurs se demander si l’autrice a volontairement souhaité donner une image assez négative d’un vide.

L’ambiance est irréelle face à ce compteur inéluctable. L’incompréhension est manifeste. Cela se traduit dans la critique des idées nouvelles, répandues par les philosophes dont Voltaire : « leur manie de défendre le travail comme instrument de libération, leur défi de promettre le bonheur avait chaviré les esprits (…) Le droit au bonheur, pouvait-on imaginer idée plus calamiteuse ? »

film les adieux a la reine

Extrait du film « Les adieux à la reine » de Benoit Jacquot

Mais la discorde n’épargne plus Versailles et les langues commencent à se délier : « Les philosophes (…) pensent, ils travaillent », diront certains. Le nouveau monde est donc en marche et le lecteur sent bien la fin d’un monde qui approche :

« C’est lorsque les rois se rapprochent le plus de la nature que l’on constate le mieux l’imposture qui voudrait qu’on les distingue du reste de l’humanité. Ils ne sont pas nés pour nous commander. Personne n’est né pour nous commander. Nous n’avons d’autres maîtres que ceux pour lesquels nous optons. Nous-mêmes. Librement. En toute connaissance de cause. »
Chantal Thomas

Les adieux à la reine film

Extrait du film « Les adieux à la reine » de Benoit Jacquot

Cette ambiance de fin du monde nous rappellerait presque une série contemporaine où les vivants se protègent, plus ou moins bien, de la vague de zombies qui s’apprête à les attaquer :

« Pendant un temps, je ne rencontrai personne. Puis commença de surgir une population inquiétante. Des êtres que je n’avais encore jamais vus au château. Remontaient-ils des cales, poussés par l’instinct que se jouait, dans ces heures, le destin du navire ? Je ne m’étais jamais risquée dans ces parages. Je voyais apparaître des êtres invraisemblables. Tout usés, et comme élimés, avec des visages étriqués et jaunâtres. Émergeaient aussi des individus difformes, bossus, borgnes, boiteux, goitreux, des trop gras ou des squelettiques. Leurs yeux morts, leurs chairs maladives, leurs dents noires me répugnaient. Chez d’autres, je sentais des moiteurs de rance. Ils étaient enveloppés comme des momies dans leurs vieilles dentelles, et ne parvenaient qu’avec une extrême lenteur à mettre un pied devant l’autre. Il y avait aussi des femmes effrayantes, des sortes de paysannes aux allures d’oiseaux. »
Chantal Thomas

Au retour de Louis XVI et de la famille royale à Parisles).

Au retour de Louis XVI et de la famille royale à Paris, le 6 octobre 1789, par Isaac Cruikshank, 1789. © RMN-Grand Palais (Château de Versailles).

Alors que le Louis XVI s’apprête à partir à Paris pour négocier, Marie-Antoinette invite son cercle proche à la quitter pour se protéger. Les Polignac, favoris de la cour et donc très menacés par les révolutionnaires, prévoient de s’enfuir en direction de l’Allemagne en compagnie d’Agathe-Sidonie.

C’est alors que la reine demande à notre narratrice l’ultime sacrifice. Agathe-Sidonie, si fidèle à sa reine, acceptera sans broncher – autre signe étonnant d’ambiance irréelle. C’est certainement le principal regret que certains lecteurs pourront avoir : notre personnage principal se caractérise notamment par l’absence de vie intérieure. Il y a beaucoup de flou autour de ce personnage. Ce qui la caractérise, finalement, c’est cet amour de la reine.

En conclusion : le récit éthéré des dernières heures de la cour, succès récompensé par deux Prix littéraires

Chantal Thomas, romancière dix-huitiémiste, a connu un grand succès commercial en France avec Les adieux à la reine. Ce roman d’un monde délicat à jamais perdu a justement été salué par la presse et les critiques (« Un roman hanté et mélancolique, une reconstitution minutieuse et érudite de raffinement disparu à jamais » Les Inrockuptibles). Il sera récompensé du Prix Femina ainsi que du Prix de l’Académie de Versailles.

On apprécie notamment sa langue riche et subtile. Les amateurs de romans historiques apprécieront le talent de l’autrice, qui a assimilé toute cette connaissance du dix-huitième siècle français et l’a transformé à ce récit fictif mais certainement très proche de la réalité d’alors.

On regrette cependant que le récit, qui se développe de l’unique point de vue de la narratrice, soit si peu alimenté par son monde intérieur. Certains en resteront un peu sur leur faim.

L’adaptation ciné avec Léa Seydoux et Diane Kruger

Les adieux à la reine a été adapté au cinéma en 2011 (fiche complète sur Allociné). Beau casting, avec Léa Seydoux dans le rôle de notre narratrice Sidonie Laborde, Diane Kruger dans le rôle de Marie-Antoinette et Virginie Ledoyen dans le rôle de la favorite Mme de Polignac.

Que les lecteurs qui remarqueront les différences entre le livre et le film se rassurent : le scénario du film a également été co-écrit avec Chantal Thomas. La scène entre la reine et Gabrielle de Polignac, notamment, est un peu différente, mais nous nous garderons de trop vous en dévoiler !

Aller plus loin : sites et bibliographie historique

Vous souhaitez approfondir votre compréhension des événements : lisez ce site qui détaillent les événements de juillet 1789.

Bien que Les adieux à la reine se déroulent en juillet 1789, ce n’est en réalité qu’en octobre 1789 que se fera le grand départ du roi. Pour en savoir plus sur cet événement, nous vous invitons à lire la très intéressante fiche « Le grand départ du roi » du site du Château de Versailles.

Enfin, voici deux livres que nous vous recommandons pour approfondir votre connaissance historique de la vie de la reine Marie-Antoinette et des événements historiques liés à la Révolution Française et Versailles :

Oeuvres similaires et associées pour prolonger le plaisir…

Les amateurs de la reine pourront reprendre l’ensemble de la vie avec le roman Marie-Antoinette  de Stefan Zweig. Nous vous proposons ci-après une liste non exhaustive pour ceux qui voudront aller plus loin.

Quelques autres fictions sur le thème :
– Marie-Antoinette : la souveraine maudite de Danny Saunders, Les Éditeurs Réunis, Paris, France, 2010
Marie-Antoinette, la reine fantôme de Rodolphe et Annie Goetzinger, Dargaud, Paris, France, 2011

Quelques autres films sur le thème :
– L’Affaire du collier de la reine de Marcel L’Herbier (1946)
– Marie-Antoinette reine de France de Jean Delannoy (1956)
– L’Autrichienne de Pierre Granier-Deferre (1989)

Autres livres de l’autrice Chantal Thomas

Chantal Thomas a publié des essais sur Sade (Seuil et Rivages), Casanova (Denoël) et Thomas Bernhard (Seuil). Elle a également écrit Comment supporter sa liberté, Souffrir (Payot), un essai sur Marie-Antoinette, La Reine scélérate. Marie-Antoinette dans les pamphlets (Seuil), ainsi que des nouvelles, La Vie réelle des petites filles (Gallimard), et des pièces de théâtre, dont Le Palais de la reine (Actes Sud-Papiers). Elle est également l’autrice  l’auteur du roman du Testament d’Olympe (2010) et de L’Échange des princesses (2013).

Biographie de l’autrice Chantal Thomas

Chantal Thomas est romancière, essayiste, auteure de pièces de théâtre. Spécialiste du dix-huitième siècle, elle a sur Sade, Casanova et les salons de l’époque. Elle a notamment publié La Reine scélérate Marie-Antoinette dans les pamphlets. Le Testament d’Olympe et Souvenirs de la marée basse. Elle a reçu le Grand Prix de la Société des gens de lettres.

Chantal Thomas, autrice des "adieux à la reine"

Chantal Thomas, par G.Garitan 

Les Adieux à la reine a été adapté au cinéma en 2011. En 2014, elle a reçu le Grand Prix de la Société des gens de lettres pour l’ensemble de son œuvre, le prix Roger-Caillois de littérature française et, en 2015, le prix Prince Pierre de Monaco. Chantal Thomas a été élue à l’Académie Française en janvier 2021, au fauteuil autrefois occupé par Jean d’Ormesson, et est devenue la dixième académicienne de l’histoire.

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