Dix petits nègres : pourquoi le roman d’Agatha Christie a-t-il été rebaptisé ?

La nouvelle est tombée la semaine dernière : les Dix petits nègres d’Agatha Christie ne sont plus. Désormais, le livre sera édité sous le titre d’Ils étaient dix. Sa traduction sera également entièrement revue pour effacer le mot « nègre » de ses pages. Retour sur la polémique qui a agité l’actualité de ces derniers jours…

Depuis le décès de George Floyd en mai dernier, les mouvements contre le racisme ne cessent d’enfler à travers le monde entier. Leur influence est telle qu’elle en vient à toucher le domaine de la littérature. Après la polémique autour du film Autant en emporte le vent, inspiré du roman de Margaret Mitchell, c’est maintenant l’un des livres les plus célèbres d’Agatha Christie qui se trouve au cœur de la tourmente

La décision a été mûrement réfléchie par James Prichard, l’arrière-petit-fils d’Agatha Christie. Et c’est ainsi que les Dix petits nègres vont peu à peu disparaître de vos librairies afin de laisser place à Ils étaient dix. Fondamentalement, l’histoire ne changera pas mais son nouveau titre s’inscrira désormais dans le domaine du politiquement correct et s’ancrera dans l’air du temps. En plus d’être rebaptisé, le roman aura droit à une traduction entièrement retravaillée pour remplacer le mot « nègre », cité pas moins de 74 fois, par celui de « soldat ».

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Agatha Christie

C’est le 26 août dernier que James Prichard a annoncé que la France allait aligner la traduction du célèbre roman de son arrière-grand-mère sur celle des autres pays. Selon lui, le livre de son aïeul ne peut décemment plus être publié sous le titre des Dix petits nègres « Mon avis, c’est qu’Agatha Christie était avant tout là pour divertir et elle n’aurait pas aimé l’idée que quelqu’un soit blessé par une de ses tournures de phrases ». Coïncidence ou fruit du hasard, la nouvelle est survenue au lendemain de la montée des mouvements d’indignation suite à l’agression de Jakob Blake, un jeune afro-américain, grièvement blessé après des tirs de policiers.

Ils étaient dix : les Dix petits nègres d'Agatha Christie

« Nous ne devons plus utiliser des termes qui risquent de blesser : voilà le comportement à adopter en 2020 » concluait James Prichard, au micro de RTL. Si les intentions de l’arrière-petit-fils de la reine du crime sont louables, cela n’en reste pas moins un véritable tremblement de terre dans le monde littéraire. En effet, avec plus de 100 millions d’exemplaires vendus à travers le monde, les Dix petits nègres est, non seulement, l’un des meilleurs livres d’Agatha Christie mais aussi le roman policier le plus vendu de l’histoire.

Les Dix petits nègres au cœur d’une nouvelle polémique

Si la décision est irrémédiable, elle ne fait pas l’unanimité pour autant. Si on ne peut nier la présence du mot « nègre » dans le texte, rappelons qu’il n’est aucunement question de racisme dans le roman d’Agatha Christie. En effet, le titre est tiré d’une comptine populaire qui n’a aucune connotation raciste sous la plume de l’autrice britannique.

Les dix petits nègres : Ils étaient dix livre agatha christie

C’est pourquoi le chroniqueur, Éric Naulleau, n’a pas tardé à réagir « Comme l’avait prédit George Orwell dans 1984, on réécrit le passé. Je n’ai vu cette démarche que dans des pays totalitaires. Qu’on n’utilise plus aujourd’hui le mot « nègre », cela va de soi, mais il faut accepter que des œuvres reflètent les préjugés de l’époque. Sinon, c’est sans fin ». Mais alors… devons-nous remanier toutes les œuvres littéraires ancestrales afin qu’elles concordent avec notre mode de pensée contemporain ? Cet héritage culturel n’est-il pas justement là pour se faire le miroir de la réalité d’une époque ?

Mais là où certains crient au scandale, les militants antiracistes y voient un véritable triomphe. C’est notamment le cas de la journaliste, Rokhaya Diallo, qui déclarait « C’est une insulte dans le dictionnaire de l’Académie française qui date de 1776. Il désignait un esclave noir. Ceux qui crient à la censure se battent plus par conservatisme que pour l’œuvre ». Victoire ou défaite, racisme ou antiracisme, prosaïsme ou idéalisme, une chose est sûre, le racisme est loin d’être éradiqué. Et plutôt que d’alimenter une polémique par une colère qui n’engendrera que de la haine, nous adopterons la philosophie de Romain Gary dans Chien blanc en restant humanistes.

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