Une piscine dans le désert : le nouveau roman envoûtant de Diane Mazloum

Le nouveau roman de Diane Mazloum, publié aux éditions JC Lattès, reste discret auprès de la critique littéraire mais trouve grâce aux yeux des jurys des grands prix d’automne. Voyage sensoriel sur les terres arides du Liban, Une piscine dans le désert nous invite à une introspection aussi intimiste que symbolique. Prêts pour un voyage aux confins de l’irréel ?

Le Liban habite littéralement la moindre parcelle qui constitue la personne de Diane Mazoulm. À chaque nouvelle lecture de l’un de ses romans, c’est la même sensation qui transpire à ses travers ses mots : celle d’un attachement profond pour le pays de ses ancêtres. Vous l’aurez compris, Une piscine dans le désert ne fait pas exception à la règle. Vous voilà donc embarqués dans un voyage entre conscience et inconscience aux confins du bout du monde, à la frontière entre le Liban, la Syrie et l’Israël.

Née à Paris en 1980, Diane Mazloum grandit à Rome. Après avoir commencé des études d’astrophysique dans une université parisienne, elle décide de s’envoler pour l’université américaine de Beyrouth pour suivre un cursus dans le domaine du design. À partir de là, sa vie bascule. Le Liban, elle ne le quittera plus jamais. Terre ancestrale, elle lui dédiera rapidement un premier roman, Beyrouth la nuit en 2014 puis un second, L’Âge d’or en 2018. Avec l’atmosphère de fin du monde qui règne dans les rues de la capitale libanaise depuis l’effroyable explosion du 4 août dernier, Diane Mazloum continue son combat avec encore plus d’acharnement. Il faut sauver Beyrouth.

Oublié par la critique mais sélectionné par de prestigieux prix littéraires – comme le Renaudot, le Médicis ou encore le FéminaUne piscine dans le désert est l’un des ouvrages les plus mystérieux de cette rentrée littéraire 2020. Publié aux éditions JC Lattès le 19 août dernier, le nouveau roman de Diane Mazloum intrigue, interroge et déstabilise ses lecteurs. Quel est donc le message qui se cache derrière cette piscine sortie de nulle part ? Et où va donc mener cette amitié incongrue nouée entre deux êtres que tout oppose ?

Diane Mazloum ancre son roman dans une temporalité paradoxale

Comme un lieu de paix à la croisée des périls, « au fond fin d’un no man’s land aux vallonnements rocailleux », les montagnes bénies de l’enfance de Fausta deviennent le lieu d’un étrange capharnaüm quand Léo, un Canadien, débarque pour vendre le terrain de ses ancêtres. Mais petit problème, Fausta a fait construire illégalement une piscine sur cette même parcelle… Ce que Léo avait pour dessein de régler rapidement se transforme alors en négociations silencieuses construites sur des non-dits et des esquives mutiques. Et bientôt, le jeune homme se retrouve à crouler « sous une pression suffocante, malmenant son humeur » et comprend qu’une fois de plus, il n’est que le jouet de son paternel « forcé d’obéir à son père, ressentant exactement ce qu’il avait ressenti chaque fois qu’il s’était retrouvé enchaîné à un job qui ne lui plaisait pas ».

une piscine dans le désert diane mazloum

Voilà toute l’action sur laquelle repose Une piscine dans le désert. Dans ce huis-clos désertique, les deux personnages principaux évoluent comme en parallèle de la réalité brutale qui éclate sous leurs fenêtres. Inconscience ou ignorance ? Les deux hypothèses se tutoient sans jamais vraiment s’affronter. Le lecteur est alors libre de tirer sa propre conclusion. Mais une chose est sûre… En foulant la terre de ses aïeux, Léo met des images sur les histoires que lui racontaient ses grands-parents, et prend conscience de la vie privilégiée qu’il a menée jusque-là. Cette réalité orientale lui a été dissimulée par les tragédies dérisoires qui peuplent les informations du journal télévisé du soir. Pourtant, aussi proche du danger qu’il ne l’a jamais été, le jeune homme ne s’est jamais senti aussi libre « J’aime les lieux qui me rappellent combien mes soucis et moi sommes insignifiants. Ici, je perds mon sens de l’orientation ».

Oscillant sans cesse entre un petit coin de paradis et un territoire de tous les dangers, la vie dans les montagnes rocailleuses est rythmée par le bruit des bombardements incessants « c’est peut-être un gaz ? Il y a quelques semaines, dans l’un des villages de l’autre côté, un nuage de sarin a pris les habitants dans leur sommeil ». Et c’est dans ces moments-là que Léo est frappé violemment par la réalité que le monde entier fait semblant d’ignorer. Mais Diane Mazloum, dans une volonté de faire éclater la vérité au grand jour, s’emporte et pose des mots fulgurants sur une évidence éhontément ignorée « Eux, je ne sais qui, ils sont à des siècles et des siècles de l’humanité qui a vu poindre le jour ici, à des lieux d’une géopolitique sanglante et inexplicable pour la planète entière, et toi, tu t’en remets à tes copains logés au fin fond de leurs nouveaux territoires ? Personne ne sait où et quand les choses commencent et s’arrêtent ici ». Et puis, d’un coup, notre souffle est coupé. Tout est dit.

Diane Mazloum réussit un joli tour de force en mettant en exergue une réalité paradoxale, inconsciente et presque irréelle. Trois jours. Voilà le temps dont Léo aura eu besoin pour changer sa vision du monde « n’oubliez pas, l’esprit d’évasion n’est jamais tant aiguisé qu’en présence de barrières et de frontières ». Deux univers diamétralement opposés qui se rencontrent à la lueur d’une « lumière diffuse et sous-marine ». Vous l’aurez compris, cette piscine creusée dans l’illégalité n’est qu’un prétexte pour mettre des mots sur les maux du monde. Mais bien plus qu’un litige contentieux, la piscine ne tarde pas à devenir la métaphore des émotions diffuses dont sont victimes nos deux personnages principaux…

Une piscine dans le désert : le poids du passé dans la quête d’identité

Si Diane Mazloum fait flotter une atmosphère insouciante entre les lignes d’Une piscine dans le désert, on soupçonne rapidement Fausta d’avoir commis un acte de résistance à travers la construction de sa piscine « ce lieu, nous pousse à nous ouvrir et à dépasser toutes les frontières pour aller au-delà de nos propres limites ». On pourrait alors imaginer que sa piscine creusée illégalement est le symbole d’un nouvel espoir… Un agissement dérisoire pour dire stop à l’absurdité du monde dans lequel elle évolue depuis toute petite. Mais alors… ? La liberté trouverait-elle ses racines aux frontières de l’interdit ?

Pourtant, l’attitude désinvolte de Fausta, ne laisse rien supposer de son caractère rebelle. Femme nullipare, ses préoccupations sont à mille lieues de la guerre qui fait rage à quelques kilomètres de la maison de famille. Fausta n’aspire qu’à donner la vie mais, comme punie par sa volonté de tout contrôler, elle se retrouve privée de la seule chose qui la ferait se sentir vivante « Tout était figé, écrasé, trop vaste, vide, sans un bruit ni un souffle, avec toujours ces montagnes indifférentes et pesantes, aussi peu fertiles qu’elle ne l’était ». Entre conscience et inconscience, Fausta flotte entre deux eaux.

une piscine dans le désert

Le désert libanais tel que décrit par Diane Mazloum dans Une piscine dans le désert

Alors, à l’image du liquide amniotique qui procure une sensation de sécurité au fœtus, elle voit en cette piscine un cocon qui la protège d’un monde dans lequel elle ne se sent pas à sa place. Façonnée par les conflits qui ont agité son enfance, Fausta est accablée par le poids de son passé qui pèse lourdement sur ses épaules « Comment accepter la brutalité de la mort quand aujourd’hui tout nous pousse à cultiver nos vies avec tendresse et empathie, à les retoucher tout en subtilités ? La mort est devenue contre nature. On est terrorisés à l’idée qu’elle puisse tout pulvériser ». Mais, enveloppée par l’eau azur d’une piscine perdue dans le désert, elle reprend contact avec une réalité opaque qu’elle n’arrivait pas à apprivoiser jusque-là. Mais, grâce à l’intimité nouvelle nouée avec Léo, elle baisse peu à peu sa garde et ose enfin mettre des mots sur le mal qui la rongeait. Et bientôt, elle s’abandonne.

Ne vous attendez pas à lire une intrigue à rebondissements quand vous ouvrirez Une piscine dans le désert. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit ici. Peut-être même qu’il vous laissera sur votre faim… Cette sensation, nous l’avons ressentie aussi mais ne vous arrêtez pas là. Avec du recul, c’est à une introspection presque philosophique que vous invite Diane Mazloum. En nous entraînant sur une terre décharnée, comme hors du temps, elle remet en question notre mode de vie « Mais être libre ne rend pas forcément heureux. Tous ces individus qui sautaient d’un continent à l’autre avec mille personnes avec qui échanger des futilités parce qu’ils sont déjà ailleurs, comment font-ils ? Tout voir, tout savoir, tout essayer. Tout, tout, tout… » et nous pousse implicitement à réagir. Notre réalité n’est pas universelle.

N’est-ce pas paradoxal qu’un pays – qu’on sait être le Liban mais qu’elle ne nommera jamais comme tel – symbolisé par le « repli sur soi le plus total » soit « profondément tourné vers le monde » tout en étant sciemment ignoré par celui-ci ? En bref, Une piscine dans le désert se fait l’expression d’un cri du cœur porté par une autrice amoureuse de son pays d’adoption. Faites-nous confiance, derrière le style métaphorique de Diane Mazloum se cache un très beau roman intimiste.

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