Le doigt de Dalie Farah : et si un doigt d’honneur pouvait déconstruire toute une vie ?

Pour Dalie Farah, aucun doute, la littérature est un sport de combat. Ou peut-être est-ce la vie ? Après son premier roman, Impasse Verlaine, elle revient avec un nouveau livre tout aussi percutant. Il faut dire que son titre, Le doigt, a de quoi nous intriguer…

Paru le 3 février dernier aux éditions Grasset, Le doigt de Dalie Farah fait partie des titres les plus intrigants de cette rentrée littéraire de janvier 2021. Osé ? Provocateur ? N’en soyez pas si sûrs… Si le livre suscite indéniablement la curiosité, il n’en reste pas moins un OVNI littéraire tout à fait remarquable. Mais en doutions-nous vraiment au vu du succès qu’Impasse Verlaine, le premier roman de Dalie Farah, a rencontré ?

Dalie Farah : Impasse Verlaine

Primé par 9 prix littéraires, Impasse Verlaine est un livre qui avait séduit les lecteurs par sa thématique terriblement poignante. Et tout cela sans que jamais l’autrice n’use du pathos… joli tour de force ! C’est sur le ton de l’humour qu’elle nous racontait une relation mère-fille compliquée, une enfance rythmée par la violence, des origines indéfinies et une volonté de s’en sortir à toute épreuve. Mais voilà… La petite fille de l’Impasse Verlaine a bien grandi et elle est désormais professeure de français « Dans un collège d’éducation prioritaire […] pour des élèves qu’on n’appelle pas encore migrants, elle se sent en mission ».

En effet, vous l’aurez sûrement compris, Le doigt est en quelque sorte une suite à Impasse Verlaine. Et vous allez voir que la petite fille courageuse s’est transformée en une superhéroïne de l’Éducation nationale investie d’une mission de la plus haute importance ! En bref, un « produit social de première qualité ». Enfin ça, c’était jusqu’à ce que la violence fasse de nouveau irruption dans sa vie…

Le doigt ou comment un majeur levé peut faire basculer toute une vie ?

Il est 7h28, devant le lycée de Thiers, quand la vie de la narratrice bascule… Il fait encore nuit, il est tôt, et si la super prof est toujours la dernière partie, c’est aussi la première arrivée. Mais il n’aura fallu rien d’autre qu’un coup de klaxon, qu’un homme en colère, de deux doigts d’honneur et d’une gifle monumentale pour que tout vole en éclats. Mais attention, on ne parle pas de n’importe quelle claque… On vous parle de celle qui clou au sol. Métaphoriquement et littéralement. Mais comment a-t-elle pu en arriver là ? Comment un doigt d’honneur peut-il être à l’origine de la fin de la carrière d’une prof extraordinaire ?

Savez-vous quelle est la véritable origine du doigt d’honneur ?
Au risque d’en décevoir plus d’un, l’origine du doigt d’honneur n’est pas clairement définie. Certains disent que ce geste vulgaire remontrait à la Grèce Antique. Le doigt d’honneur était alors appelé Katapygon qui signifie, littéralement, pénétration anale. Ainsi, dans les comédies grecques, lever le majeur était déjà considéré comme une insulte. Cependant, une autre histoire populaire, inscrit l’origine du doigt d’honneur dans la sempiternelle bataille qui oppose les Français et les Anglais. Cela nous ramène au XIVème siècle en plein cœur de la guerre de Cent Ans… Les Anglais étaient alors considérés comme des archers remarquables. Pour tenter de reprendre le dessus, les Français se sont alors amusés à couper un doigt à chaque anglais fait prisonnier. Disons que c’était leur manière de se venger. Un souci d’ego ? Peut-être… En tout cas, une chose est sûre, avec un doigt en moins, leurs adversaires n’étaient soudain plus aussi redoutables… Mais loin de se démonter, on raconte que les Anglais avaient pris l’habitude, avant chaque bataille, de leur tendre un doigt. Oui, oui, le majeur ! Ultime provocation aussi claire que pénétrante…

L’inépuisable professeure de français – et parfois agaçante, disons-le franchement ! – aurait-elle été remise à sa place de manière peu subtile ? Après tout, en choisissant de brandir son majeur, elle s’est rendue coupable d’un crime. Mais cela excuse-t-il le comportement presque indifférent de son entourage ? Chercherait-on à la punir de sa réussite ? Pourquoi attire-t-elle encore et toujours l’attention sur elle ? Victime ou bouc émissaire ? « La nourriture, c’est elle ; la pâture, c’est elle ; la saleté, c’est elle ». Telle est la question…

Comme seule au monde, la super prof va se noyer dans ses oreillers pour dissimuler sa colère, son incompréhension, ses larmes et ses innombrables questions… Docile, mais rebelle, quand l’injustice s’immisce dans sa nouvelle vie, Madame la professeure irrite ses supérieurs « Sous l’uniforme de l’Éducation nationale Madame reçoit des coups, Madame porte plainte, monte des dossiers médicaux et demande protection […] Madame abuse, Madame fausse les statistiques, pour qui elle se prend ? On la tolère et elle est déloyale. L’école de la République la sauve et l’ingrate fille des colonies fait des histoires ». Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’en toute circonstance, Dalie Farah ne se départit jamais de son ironie. En bref, Le doigt est une véritable comédie sociale.

Le doigt de Dalie Farah : une enquête sur les origines de la violence

Si, au début de son récit, Dalie Farah s’inspire d’un fait social comme il en existe tant d’autres, elle nous entraîne peu à peu vers la sphère intime. Le texte est peut-être écrit à la troisième personne du singulier, mais on ne peut s’empêcher d’entendre le « je » de la petite fille de l’Impasse Verlaine percer entre ses mots « Cette peur la poursuit, la gamine passe des nuits entières à chercher des solutions, à préparer davantage, à nettoyer davantage ; en vain ». Des mots jetés dans les pages de son livre qui, quand on sait que Le doigt tout comme Impasse Verlaine sont en partie des romans autobiographiques, prennent soudain tout leur sens.

Le doigt Dalie Farah

Mais revenons à nos doigts, voulez-vous ? Pourquoi la super prof a-t-elle ressenti le besoin de lever son majeur, non pas une, mais deux fois ? Qui voulait-elle réellement défier ? Était-ce un simple réflexe d’autodéfense hérité de son enfance chaotique ? « Un jour ou l’autre, ceux qui frappent et ceux qui sont frappés se rencontrent, c’est fatal, ça leur colle à la peau ». Pourtant, elle le sait mieux que quiconque, la violence attise la violence…

Voilà qui nous ramène à l’éternelle question… D’où vient la violence ? Face cette haine qui ne cesse de récidiver, la professeure superhéroïne perd sa cape et redevient une enfant innocente en proie aux démons du passé… Et si la violence ne nous quittait jamais vraiment ? Et si elle était inhérente à nos origines socioculturelles ? « Après avoir quitté son HLM, elle a toujours cherché la bagarre, pour honorer ses origines barbaresques, être dans le camp des loups, pour liquider son corps battu et obtenir un corps battant ; pour appartenir à la race des Seigneurs, l’aristocratie des survivantes, celle des dominantes, comme sa mère ». Vous avez compris maintenant ?

Les deux minutes qui rythment le premier chapitre de Le Doigt vont pousser Dalie Farah à mener l’enquête sur les racines de la violence. Ainsi, elle déconstruit toute la vie de son personnage – et, probablement, un peu la sienne – pour enfin trouver une réponse claire à sa question : la violence coule-t-elle dans nos gênes ? « Ma petite fille, je peux te tuer, trouve à me survivre. Écoute ce que je te dis, la mort est à la racine de ton souffle ». Quelle claque pour celle qui a toujours refusé de montrer sa peur…

Mais finalement, qu’est-ce que ce doigt d’honneur révèle vraiment de la narratrice ? De la femme qui se cache derrière la super prof ? Pourquoi pousser le vice à lever une seconde fois son majeur ? N’est-ce pas pour justement contrôler sa peur ? Ne dit-on pas que c’est en allant au bout des choses qu’on finit par les maîtriser ? La super prof était arrivée à un point de non-retour et finalement, ce geste fera basculer sa vie pour le meilleur et pour le pire. Il y a presque quelque chose de l’ordre de la révélation dans ce doigt d’honneur… À partir de là, plus rien ne sera jamais comme avant. Avec Le doigt, Dalie Farah vous entraîne dans les méandres de la violence, mais rassurez-vous ! Jamais elle n’en perd son sens de l’humour et le lecteur se laissera volontiers porter par sa plume aussi crue que poétique. En bref, un OVNI littéraire qui a le mérite de poser les bonnes questions !

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