7 livres pour mieux comprendre les enjeux du procès des attentats de janvier 2015

Le procès des attentats de janvier 2015 contre la rédaction du journal satirique, Charlie Hebdo et contre un Hyper Casher parisien a débuté le 2 septembre dernier. Un procès déjà qualifié d’historique qui ne manquera pas de raviver de mauvais souvenirs… Aujourd’hui, nous vous proposons de mettre des mots sur l’insoutenable à travers six livres publiés à la suite de ces terribles événements.

Un peu plus de cinq ans après les attentats de janvier 2015 qui secouèrent la France et, plus largement le monde entier, le temps de la justice est enfin arrivé. C’est le 2 septembre dernier que s’ouvrait le procès des attentats contre la rédaction de Charlie Hebdo, une policière en service à Montrouge et un Hyper Casher parisien. En tout, 14 personnes reliées à ces faits vont être jugées au cours de ces 10 semaines de procès et ce, même si les commanditaires de ces actes n’ont toujours pas été clairement identifiés.

Malgré les années qui se sont écoulées, l’incompréhension et la douleur des victimes sont toujours aussi vivaces. Pour tenter de comprendre – mais le peut-on vraiment ? – tout l’enjeu de ce procès, nous vous proposons de découvrir sept livres, majoritairement écrits par des survivants, afin de mesurer l’ampleur des événements qui ont bouleversé leur vie à tout jamais.

Catharsis de Luz

Le 7 janvier marque le jour de son anniversaire mais, depuis 2015, il l’associe à un jour funeste : celui où il a perdu nombre de ses amis suite aux attentats dans les locaux de la rédaction de Charlie Hebdo. S’il est encore en vie aujourd’hui, c’est parce que ce fameux 7 janvier 2015, il a eu une panne de réveil. Quand il pénètre enfin son lieu de travail, une vision d’horreur se grave à jamais dans son esprit « À Charlie Hebdo, tout le monde m’attendait, même les morts ». Il est l’un des premiers à arriver sur les lieux après la tuerie et jamais plus sa vie ne sera la même… Quatre mois plus tard, il démissionnera de son poste de dessinateur au sein du journal satirique.

Luz publie Catharsis le 21 mai 2015 aux éditions Futuropolis, une bande dessinée témoignage des attentats de Charlie Hebdo. Quelques mois seulement après les tragiques événements, il ressent le besoin de se libérer d’un fardeau qu’il n’a jamais demandé à porter. Mais loin de vouloir oublier la tuerie, il veut faire entendre sa voix pour que jamais les noms de ceux qui sont décédés ne soient oubliés. Avec Catharsis, il nous livre un album exutoire où il se demande, inlassablement, s’il est encore capable de dessiner et de s’exprimer librement quand plane au-dessus de lui une menace sourde et vicieuse… Vide de l’absence de ses amis et assailli de doutes, du rire aux larmes, de la laideur à la beauté, de la colère à l’amour, Luz est passé par tous les sentiments possibles et imaginables… Pour être bref, Catharsis raconte le quotidien d’un homme dont la vie a basculé en une fraction de seconde.

Le lambeau de Philippe Lançon

Journaliste à Libération et chroniqueur pour Charlie Hebdo, il s’apprêtait à quitter la rédaction du journal satirique quand les tueurs ont fait irruption pour faire taire à jamais les rires de ses collègues et amis. Le 7 janvier 2015, il arrive en retard à la réunion de rédaction et s’assoit au fond de la salle entre Charb et Honoré. Il râle un peu et ses deux comparses se moquent gentiment de sa mauvaise humeur. Une journée comme une autre, en somme. Mais, quelques minutes après la fin de la conférence, les premiers coups de feu retentissent dans le hall puis les cris d’horreur et de peur. Les terroristes débarquent et soudain, c’est le chaos. Ses deux amis ne survivront pas. Lui, si.

Grièvement blessé à la mâchoire, il fera le mort en espérant que les assaillants lui épargnent la vie. Quand les secouristes arrivent et le soulèvent de terre pour l’évacuer, il survole les corps inanimés de ses compagnons. De cette image, il ne s’en remettra jamais. Le 12 avril 2018, son livre au titre évocateur, Le Lambeau est publié aux éditions Gallimard. La même année, il remporte le prix Femina ainsi que le prix spécial Renaudot. Loin de chercher à expliquer l’attentat, il raconte dans son livre sa reconstruction lente et difficile. Il s’y met complètement à nu pour expliquer la rupture inévitable entre le monde d’avant et celui d’après. Avec une plume enlevée et émouvante, il raconte le périple de sa reconstruction intérieure… Un livre bouleversant où les références littéraires se font le porte-garant d’un nouvel espoir.

La légèreté de Catherine Meurisse

Tout comme Luz, Catherine Meurisse ne sera pas à l’heure pour la conférence de rédaction ce matin du 7 janvier 2015. Elle traîne un peu trop au lit et quand elle arrive enfin aux abords des locaux de Charlie Hebdo, elle croise Luz qui lui dit qu’il faut fuir. Des terroristes sont en train d’attaquer le journal. Catherine Meurisse le sait, ses amis sont morts et c’est un choc terrible pour la dessinatrice « La légèreté, c’est tout ce que j’ai perdu le 7 janvier et que j’essaie de retrouver ». Durant les mois qui vont suivre le drame, elle restera complètement prostrée et choisira de s’isoler à Rome pour tenter de retrouver le beau.

Suite à la publication de la bande dessinée de Luz, elle décide de se distinguer du « nous » des survivants pour utiliser le « je ». La tuerie de Charlie Hebdo est son drame personnel. Comment rire à nouveau ? Comment vivre ? Comment aimer ? Comment dessiner ? Elle a le cœur qui bat toujours, mais plus de mots pour décrire les émotions qui l’assaillent. Pour elle, les terroristes sont les ennemis du langage. Ses mots disparaissent et sa mémoire s’efface. Paru aux éditions Dargaud, le 29 avril 2016, La Légèreté se fait la représentation de sa souffrance et retrace sa reconstruction, son retour à la lumière, au dessin. Léthargique, elle se déclare avoir été absente du monde pendant de longs mois. Mais, c’est en se laissant remplir par la beauté du monde, qu’elle prend la décision de tout recommencer tout à zéro… Entre beauté et horreur, entre luminosité et noirceur, La Légèreté est l’histoire d’une renaissance par l’art et la culture.

Une minute quarante-neuf secondes de Riss

Une minute et quarante-neuf secondes, c’est le temps que les terroristes ont passé dans les locaux de Charlie Hebdo. Une minute et quarante-neuf secondes qui ont changé sa vie à tout jamais. Il est vivant, les autres sont morts. Quand les terroristes débarquent dans la salle de conférence, les personnes autour de lui cherchent désespérément une échappatoire, Riss ou Laurent Sourisseau de son vrai nom, ne réfléchit pas et se jette au sol… C’est peut-être ce qui lui sauvera la vie. Touché à l’épaule et marqué psychologiquement à tout jamais, il trouve dans l’écriture un moyen de se reconstruire.

« Il est impossible d’écrire quoi que ce soit ». Ainsi commence le livre de Riss… Pourtant, les pages qui suivent tendent à prouver le contraire. Publié le 2 octobre 2019 aux éditions Actes Sud, Une minute quarante-neuf secondes est la tentative de son auteur de mettre des mots sur un traumatisme autant physique que psychologique. En effet, désormais le caricaturiste vit dans une atmosphère de danger ambiant et s’accroche, jour après jour, pour tenter de se réapproprier son destin. Si son récit prend comme point central cette triste journée du 7 janvier 2015, il étaye son discours avec des souvenirs d’avant sans oublier d’évoquer l’après. Parce que même si cela a un prix, la vie continue. Tranchant, incisif et percutant, mais sans jamais s’apitoyer sur son sort, Riss remporte son pari et décrit avec brio et sensibilité ce que les mots ne pourront jamais vraiment traduire : l’indicible.

Peut-on rire de tout ?
Remis au goût du jour par la une provocatrice du journal satirique Charlie Hebdo qui titrait Tout ça pour ça, le 1er septembre dernier, au-dessus des caricatures qui avaient provoqué l’offensive sanglante des islamistes radicaux en 2015, la place de l’humour dans la liberté d’expression reste un véritable sujet de société.

Pour remettre les choses dans leur contexte, rappelons que la liberté d’expression n’est pas absolue. En effet, elle est régie par un cadre juridique strict et précis. La jurisprudence consacre le droit à l’excès, à l’outrance et à la parodie lorsqu’il s’agit de fins humoristiques. Ainsi, en 1992, le tribunal de grande instance de Paris estime que la liberté d’expression « autorise un auteur à forcer les traits et à altérer la personnalité de celui qu’elle représente », et qu’il existe un « droit à l’irrespect et à l’insolence ». Cependant, comme inscrit la Convention européenne des Droits de l’Homme, « L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui ». En résumé, il s’agit de tenir compte du contexte, de l’exagération et de la subjectivité inhérentes à ce mode d’expression pour analyser le sens et la portée de la parodie ou de la caricature.

Dessiner encore de Coco

Coco – alias Corinne Rey de son vrai nom – est une des survivantes des attentats de Charlie hebdo. Mais son sentiment de culpabilité surpasse probablement celui de tous les autres. Ce jour-là, le 7 janvier 2015, alors qu’elle venait à peine de sortir des locaux du journal satirique, deux terroristes armés de kalachnikovs la forcent à composer le code qui les mènera tout droit à la salle de rédaction. Pour la postérité, Coco restera celle qui leur a ouvert la porte. Comment vivre avec ça ? Elle ne le sait pas encore, mais il lui faudra six ans avant d’être en mesure d’articuler l’inexprimable. Et ainsi naissait Dessiner encore, une BD témoignage parue aux éditions Les Arènes le 11 mars 2021.

La bande dessinée de Coco est un livre témoignage qui pèse son poids. Au sens propre comme au sens figuré. Le 7 janvier 2015, Coco ne l’oubliera jamais. Le sentiment de culpabilité qui martèle son cœur pèse de plus en lourd chaque jour qui passe. Seule dans le cabinet de son psychothérapeute, elle tourne en rond et essaye d’extirper de sa mémoire, les images qui ne cessent d’y tourner inlassablement. Elle est toujours en vie, elle n’est pas blessée mais pourtant quelque chose s’est définitivement brisé. Alors qu’elle se noie dans une nuée de sentiments culpabilisants, elle tente mettre des mots sur l’insoluble. Parce que oui, la vie continue de s’écouler « Oui, ça va aller. Vivre, c’est indispensable ».

Si tu meurs, je te tue de Chloé Verlhac

Après les attentats du 7 janvier 2015, il y a eu les survivants et puis ceux qui sont restés. Chloé Verlhac fait partie de ceux qui restent, de ceux qui ont dû apprendre à vivre avec l’absence d’un être aimé. Tignous, son mari, celui qui est mort un stylo à la main. Littéralement. Tignous lui avait dit « À toute à l’heure » sans se douter qu’ils ne reverraient jamais plus. Et, malgré la surmédiatisation de ces événements, Chloé Verlhac a choisi de mettre en lumière ce qui n’a jamais été dit publiquement à travers un livre témoignage.

Paru le 2 janvier 2020 aux éditions Plon, Si tu meurs, je te tue est, avant tout, le récit d’une histoire d’amour, de celle d’un couple uni. Mais impossible, pour elle, de ne pas parler de l’attaque contre Charlie Hebdo puisque c’est ce qui a mis un tragique point final à leur histoire… Cholé Verlhac le dit elle-même, dans une interview donnée à Madame Figaro, c’est sa manière d’expier sa douleur et d’enfin dire au revoir à Tignous. Ce livre lui a permis tourner la page, de dire adieu à la femme qu’elle était pour accepter celle qu’elle est devenue.

Et soudain ils ne riaient plus de Marie-France Etchegoin, Marie-Amélie Lombard-Latune, Dorothée Moisan et Thierry Levêque

Publié le 6 janvier 2015 aux éditions Les Arènes, Et soudain ils ne riaient plus n’est pas un livre témoignage comme les autres, mais un reportage minutieux, heure par heure, presque minute par minute, des trois jours de janvier 2015 où tout a basculé. La société française chavire alors dans une nouvelle ère… Les témoignages recueillis par le quatuor de journalistes seront précieux pour tous les lecteurs qui souhaitent tenter de saisir les enjeux des attentats du 7 janvier 2015. Publié très peu de temps après les événements pour être considéré comme un récit historique, nul doute que ce livre de témoignages se fera une mosaïque intéressante pour les générations futures.

Si, bien entendu, l’émotion se profile dans les pages de l’ouvrage des quatre journalistes, elle ne peut pas avoir la même teneur qu’au travers des mots d’une victime. Cependant, dans Et soudain ils ne riaient plus, on retrouve toute la tension, la peur et la traque qui ont rythmé ces trois jours surréalistes… Mais ce qui fait de ce livre un ouvrage particulièrement intéressant, c’est la façon dont il intègre les petites histoires des anonymes dans la grande Histoire. Si de grands noms ont disparu le 7 janvier 2015 comme Charb, Cabu, Tignou ou encore Wolinski, n’oublions pas toutes les autres victimes collatérales de ces attaques meurtrières…

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