Entretien avec Dalie Farah, une autrice aussi drôle qu’incisive

Impasse Verlaine vous a émus ? Le doigt vous a intrigués ? Alors aucun doute ! Vous êtes tombés sous le charme de la plume de Dalie Farah. Mais ce n’est pas vraiment étonnant quand on sait c’est que l’autrice ne mâche jamais ses mots. Et ça tombe plutôt bien ! Parce qu’elle nous a fait quelques confidences croustillantes…

Dalie Farah est née le 22 février 1973 à Clermont-Ferrand, en Auvergne. Une région qu’elle chérit à travers chacun de ses mots. Fille d’immigrés algériens, elle est rapidement prise d’une soif incommensurable d’apprendre. L’école, elle s’y sent en sécurité, c’est sa seconde maison.

Pleine de vie, elle s’oriente dans l’enseignement. Aujourd’hui professeur de français, elle est également une autrice remarquable – et remarquée. Mais, comme pour nombre d’écrivains, le chemin fut loin d’être un long fleuve tranquille. Mais force est de constater que la persévérance finit toujours par payer. Aujourd’hui, Dalie Farah a publié deux romans, Impasse Verlaine et Le doigt. L’écriture prend alors un nouveau tournant dans sa vie.

Dalie Farah

© Philippe Matsas

Toujours souriante, mais sournoisement incisive, elle trouve son inspiration dans la vie. Dans le réel. Chaque étincelle de vie nourrit son imagination fertile. Partageant son temps entre l’écriture et l’enseignement, elle nous a livré quelques confidences aussi captivantes que malicieuses. En bref, des mots qui lui ressemblent.

  • Votre premier roman, Impasse Verlaine, a été récompensé par 9 prix littéraires. Qu’avez-vous ressenti ? 

Tous les prix sont venus petit à petit, j’ai été surtout surprise et émue car ce sont des récompenses de lecteurs ou données par d’autres auteurs. L’expérience de lecture d’Impasse Verlaine est mise en avant, c’est quand même le but d’un écrivain. Alors, cela me rend joyeuse, comme une sorte de connivence secrète entre la main qui écrit et l’œil qui lit. Quant au « prestige » il m’embarrasse et m’amuse et me flatte. M’embarrasse parce que je ne suis pas méritocrate – je sais que mon livre n’est pas « supérieur » – et m’amuse parce que cela fait comme des paillettes sur le livre et j’aime bien les paillettes, ça brille et ça met en joie.dalie farah impasse verlaine

  • On raconte souvent que la publication d’un roman est une course de longue haleine. Est-ce que cela a été votre cas ?

Oui, comme la majorité de ceux qui publient, c’est un long chemin de lettres de refus et de manuscrits envoyés. Cela s’est bien terminé pour moi grâce à mon éditrice Juliette Joste qui a pu défendre mon livre chez Grasset.

  • Dans Impasse Verlaine, le rôle de l’école est primordial. Dans Le doigt, elle devient une source d’injustice. Que représente l’école pour vous aujourd’hui ?

En fait, cela n’est pas aussi clivé. Dans les deux, les mots ont un rôle primordial, les professeurs et notamment les passeurs de mots et de savoirs ont un rôle déterminant, mais l’institution est plus capricieuse : elle rejette la petite fille qui demande de l’aide, puis la prof qui demandera la même chose. Pour moi enseigner demeure un acte heureux, car j’adore cette idée de participer à l’émancipation d’autrui. J’enseigne la littérature, la philo, la culture générale dans de très bonnes conditions, alors ma situation est privilégiée. Quant à l’institution, je ne suis pas la seule à signaler ses dysfonctionnements structurels qu’il devient difficile d’ignorer et de défendre…

  • Êtes-vous la super prof qui se cache derrière l’héroïne de Le doigt ? 

Rire. « super prof » au sens ironique alors ! Mais si la question est de savoir si Le doigt est un roman à matière biographique, c’est oui. Comme pour Impasse Verlaine, ces événements de ma vie – donc de première main – étaient les plus pertinents pour justement mener cette enquête sur la fabrique de la violence et sa résonance avec l’individu.

dalie farah le doigt

  • Qu’est-ce qui vous a poussé à coucher votre histoire sur papier ? Qu’est-ce que cette aventure vous a apporté ?

Pour Le Doigt, l’enquête est menée en même temps que l’écriture, cela a été très coûteux. Plus j’écrivais, plus je voyais que des pans se dévoilaient, des laideurs, des tristesses et des hontes apparaissaient derrière ce geste. Enquêter sur soi, ce n’est pas exactement se soigner, mais c’est restaurer son être, aller traquer ses impostures pour comprendre enfin, une série de faits opaques et douloureux. Je crois qu’écrire ce livre m’a libérée de mensonges qui m’auraient empêchée d’être juste dans la vie comme en littérature.

  • Dans Impasse Verlaine, vous parlez des rapports mères-filles compliqués. Comment votre entourage a-t-il réagi à la publication de votre premier roman ?  

Oh, vous savez c’est comme pour tout, les personnes qui vous apprécient, vous apprécient toujours et pour le reste, ma foi, ça ne change rien !

  • En tant que professeure de français, qu’est-ce que la littérature représente pour vous ?

La littérature représente désormais la part majeure de ma vie, de la vie de mon esprit et de mes appétits. J’aime en lire, en écrire, en parler. Je suis une affamée et j’ai bien peur de le rester.

  • Selon vous, peut-elle nous aider à nous sortir des mauvaises passes ?

Je crois que l’art peut tout ou au moins beaucoup. Bien sûr cela ne paie pas un loyer ou un repas, ne remplace pas toujours la tendresse d’un corps amoureux, mais pour le reste je crois que l’on peut trouver dans l’art, le savoir, la pensée toutes les raisons d’être joyeux. C’est une quête passionnante, qui peut se renouveler sans fin.

  • Parler de violence avec beaucoup autodérision, il fallait oser ! Est-ce un reflet de la personne que vous êtes au quotidien ?

Je crois oui. C’est sans doute une politesse que je me fais et que je fais au lecteur. Le tragique et le comique sont poreux ; on peut le voir notamment avec les personnages des films muets, comme Keaton par exemple. Ensuite l’autodérision permet de rester en bonne santé, ça éloigne le goût du malheur et aide à aimer la vie, dans son ridicule et dans sa grandeur. J’adore les personnes qui ont un humour décalé, qui savent détourner le tragique pour le comique. Après, ça n’empêche pas de chouiner quand il faut comme tout le monde.

  • Nous sommes curieux… Avez-vous déjà en tête de nouveaux projets littéraires ?

Oui, j’écris tout le temps. Et je suis d’autant plus stimulée que je suis soutenue par ma maison d’édition et une équipe qui croit à mon avenir littéraire.

  • Plutôt Paul Verlaine ou Arthur Rimbaud ?

J’aime l’histoire de ce couple, de leur voyage en Belgique, de leur quête d’une langue qui puisse trouver dans la simplicité toute la puissance poétique possible. Je les aime comme couple littéraire mais aussi dans leurs œuvres, je dirais Romances sans paroles pour Verlaine et Les Illuminations pour Rimbaud ?

  • Vous semblez très attachée à votre région natale, l’Auvergne. Mais…Si vous deviez vous expatrier dans n’importe quel pays du monde, lequel serait-ce ? Et pourquoi ?  

J’avoue ne pas avoir d’idée, j’imagine un pays chaud, l’Espagne ou un pays flamboyant, L’Irlande, ou un pays dépaysant, Le Japon ; pas un pays froid, c’est sûr ; mon bonheur est l’Auvergne et le demeure ; à moins qu’avec le temps, quand mes enfants seront autonomes, je me trouve un petit coin de verdure avec une rivière, un bar, un théâtre et un cinéma, du soleil de temps en temps où je me sente bien pour écrire et lire.

Propos recueillis par Manon De Miranda

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