Paris, 2034. Tatiana de Rosnay plante le décor et pique la curiosité du lecteur. Paru le 12 mars dernier, Les fleurs de l’ombre nous embarque au cœur d’une réflexion sur le monde de demain. Entre doutes et psychoses, nous sommes prêts à parier que vous ressortirez déstabilisés de cette lecture dystopique.
Mystère, paranoïa et sueurs froides sont au cœur des Fleurs de l’ombre, le nouveau roman de Tatiana de Rosnay. Paru juste avant le confinement, le 12 mars dernier, aux éditions Robert Laffont – Héloïse d’Ormesson, le livre de l’autrice franco-britannique a essuyé les revers d’une actualité troublée…
Pourtant, la lecture de son roman fait étrangement écho à notre situation actuelle. En effet, dans Les fleurs de l’ombre, l’autrice fait réfléchir ses lecteurs sur les conséquences d’une vie surconnectée tandis que nous n’avons jamais autant été devant nos écrans que ces derniers mois. Avec le confinement, nombreux sont ceux qui ont passé de longues heures au téléphone afin de garder un lien avec leurs proches. Rassurez-vous, nous sommes tous pareils !
Mais à quoi ressemble le monde d’après, nous direz-vous ? Eh bien… Le dernier livre de Tatiana de Rosnay nous en donne un aperçu inquiétant. En mêlant des figures du passé, telles que Virginia Woolf et Romain Gary, à l’omniprésence de l’intelligence artificielle, l’autrice altère la réalité de son personnage principal, Clarissa Katsef.
Les fleurs de l’ombre : le dernier livre de Tatiana de Rosnay esquisse d’un futur inquiétant
Bienvenue dans le Paris du futur ! D’apparence, rien ne semble différent à une exception près… La grande Dame de fer n’est plus. Suite à un attentat, la tour Eiffel a chu et laisse un vide incommensurable dans la capitale française. Mais le temps, immuable, a poursuivi son cours…
La dystopie met rapidement l’accent sur les problèmes écologiques. Il fait chaud, très chaud, dans ce Paris du futur. Les températures dépassent allègrement les 45 degrés et les abeilles ont disparu. Cela ne vous rappelle-t-il pas quelque chose ? Le Paris de 2034 nous apparaît sombre et oppressant…
C’est dans ce monde de l’après que nous faisons la connaissance de Clarissa Katcef. Cette autrice d’une soixantaine d’années vient de quitter son mari pour des raisons qui restent vagues aux yeux du lecteur. Ne pouvant plus rester sous le même toit que ce vil homme dont elle ignore tous les appels, elle se met en quête d’un nouvel appartement. Alors que les recherches stagnaient, la chance lui sourit enfin. Clarissa est admise dans une résidence pour artistes : la CASA (Centre Adaptatif de Synergie Artistique).
Le nouvel appartement de la romancière a tout pour plaire ! Il est neuf, spacieux, lumineux, calme et entièrement équipé. Mrs Dalloway, son assistant connecté, est là pour lui rendre la vie plus agréable. Mh… vraiment ? Alors que Clarissa aurait dû se remettre sereinement à l’écriture de son prochain roman, elle ne tarde pas à voir ses démons du passé refaire surface. Elle dort mal, entend des bruits et se sent épier en permanence. Big Brother serait-il de retour ? Clarissa serait-elle en train de devenir paranoïaque ? On vous laisse en juger par vous-mêmes…
Tatiana de Rosnay et la mémoire des lieux
Longue histoire que celle de Tatiana de Rosnay et la mémoire des lieux. D’ailleurs, ce n’est pas pour rien qu’elle a carrément intitulé l’un de ses ouvrages La mémoire des murs. Quand on y réfléchit cinq minutes, les murs et leur mémoire font partie intégrante de son œuvre. Dans Elle s’appelait Sarah, le roman qui l’a révélée au grand public, c’est par les murs qu’elle nous rappelle qu’on ne doit jamais oublier le passé. Les murs renferment une multitude de secrets qui ne seront dévoilés qu’à ceux qui seront capables de les écouter. Mais attention ! Ce qui est valable pour le passé ne l’est pas forcément pour le futur…
En effet, dans Les fleurs de l’ombre, il n’est pas question de se remémorer un quelconque passé, bien au contraire… Il s’agit de se questionner sur la maison du futur. L’évolution fulgurante des intelligences artificielles est-elle une aubaine ou une menace ? Alors que Clarissa pensait retrouver une certaine sérénité dans un lieu vierge de toute histoire, elle se retrouve en proie aux doutes. Vous l’aurez compris, rien ne va se passer comme prévu…
Si d’ordinaire les murs s’érigent comme les gardiens de nos secrets les plus inavouables, ici, impossible de les faire taire. « Bonjour Clarissa, que puis-je faire pour vous ? » s’enquit, jour après jour, Mrs Dalloway. Rapidement, l’autrice ne se sent plus en sécurité. Au lieu de se faire le corps de son espace de créativité, l’appartement est en train de la vampiriser. Elle est espionnée, elle en est persuadée. La sourde angoisse qui prend possession de Clarissa ébranle les certitudes du lecteur, sommes-nous en train de devenir fous à l’instar du personnage ?
L’entre-deux, notion centrale des Fleurs de l’ombre
L’histoire de la littérature est ponctuée par le lien ténu qui existe entre processus de création et folie. Ce n’est donc pas un hasard si les deux auteurs favoris du personnage principal sont Romain Gary et Virginia Woolf. Si l’on ne peut nier la qualité des plumes de ceux deux pontes de la littérature du 20ème siècle, on ne peut également ignorer qu’ils furent tous deux des écrivains torturés. Génie artistique ou folie ? Difficile de percer les mystères de ces deux grands esprits littéraires. Clarissa aurait-elle, à son tour, sombré dans la folie en abandonnant son nom au profit du mélange de ceux de ses auteurs préférés ? La question reste entière…
Dans Les fleurs de l’ombre, alors que Clarissa voue une admiration sans borne à Romain Gary et Virginia Woolf, le lecteur s’interroge à son tour sur la santé de son esprit. Tout est double chez Clarissa Katcef : elle a deux noms, deux nationalités, épousé deux maris, eu deux enfants… « elle avait conscience de son statut à part : être incapable de choisir un pays ou l’autre. Toute sa vie, elle avait perçu cet inconfort, la sensation de ne pas appartenir à une patrie, de ne pas pouvoir revendiquer une origine. Elle était double. Elle avait deux langues maternelles, deux univers, deux pays ».
En plus de son identité double, Clarissa fait preuve d’une grande hypersensibilité. Elle nous apparaît rapidement comme un être fragile. Ainsi, quand la réalité se fait trop violente, elle se réfugie dans l’imaginaire « les livres ne vous laissaient jamais tomber. Ils étaient toujours là pour vous ».
Son imagination fertile est-elle en train de prendre le dessus sur sa raison ? Ces ombres qui viennent la hanter dans un moment de faiblesse émotionnelle la déstabilisent et laissent les lecteurs perplexes. Très vite, il nous devient difficile de démêler le vrai du faux… En serez-vous capables ?
En quelques mots, on pourrait décrire Les fleurs de l’ombre comme un roman aussi addictif que frustrant. Tatiana de Rosnay se fait volontairement provocatrice « Pourquoi un artiste devrait-il se justifier ? Sa création parlait d’elle-même. Des lecteurs lui demandaient de temps en temps d’expliquer la fin de ses livres. Cela la faisait rire, pleurer parfois, ou la mettait dans une rage folle. Elle écrivait pour inciter à réfléchir, et non pour donner des réponses » et laisse ses lecteurs pantois. Peu importe les doutes et les peurs de Clarissa finalement, Tatiana de Rosnay veut amener ses lecteurs à réfléchir… Et vous ? Comment auriez-vous réagi à la place de Clarissa ?