Comment les sorcières ont-elles ensorcelé nos livres ?

Héroïnes incontournables des livres pour enfants, les sorcières ont petit à petit infiltré la littérature pour adultes. Tantôt terrifiantes, tantôt bienveillantes, peu importe finalement ! Les sorcières ont fait un retour ensorcelant dans nos livres au cours de ces dernières années. Pourquoi ? Revenons sur des siècles d’histoires aussi maléfiques qu’enchanteresses… Abracadabra !

On vous voit venir, vous allez nous dire que la saison des sorcières est finie. On vous l’accorde, elles ressortent souvent leurs balais à Halloween mais pas que ! Elles survolent le ciel brumeux de la littérature durant tout l’automne… et au-delà ! Il faut dire que, ces dernières années, les sorciers et les sorcières ont le vent en poupe – ça tombe plutôt bien pour des personnes qui se déplacent sur un balai, vous ne trouvez pas ? – et s’installent durablement dans nos livres.

livre sur les sorcières

Si l’image traditionnelle de la vieille femme au nez crochu est née sous la plume des auteurs de livres pour enfants, la figure de la sorcière hante la littérature depuis la nuit des temps. Déjà présente dans l’Antiquité, incarnée par le personnage de Circé dans l’Odyssée de Homère, elle s’ancre également dans les légendes arthuriennes puis, peu à peu, prend les traits d’une femme maléfique redoutée par le monde entier… enfin – restons honnêtes ! –  surtout par les hommes… Après tout, que sont les sorcières hormis des femmes porteuses d’un savoir qui terrorisaient les hommes ?

C’est ainsi qu’après avoir brûlé sur des bûchers durant les tristement célèbres chasses aux sorcières, elles sont devenues le symbole – voire l’égérie – de femmes fortes et indépendantes. Comment ? Tout simplement avec le vent de révolution insufflé par la saga littéraire, Harry Potter, de JK Rowling puis la montée de la vague féministe. Les sorcières ont alors perdu leur visage terrifiant pour devenir des bienfaitrices au service de la nature.

L’apparition de la figure de la sorcière dans la littérature

Si leurs auteurs ne les nomment pas en tant que telles, Circé et Médée sont les premières sorcières de l’histoire de la littérature. En effet, Circée, qui ensorcelle ses invités pour les garder prisonniers de son île, est considérée comme une figure du mal, au même titre que les sorcières du Moyen-Âge. Médée, comme décrite dans Les métamorphoses d’Ovide, est également qualifiée de sorcière. Il faut dire que cette dernière avait l’étrange habitude d’invoquer le dieu de l’Enfer, de sacrifier des animaux, de manipuler les entrailles des loups pour mener à bien ses rituels sordides. En bref, une femme très sympathique !

Aussi terrifiantes étaient ces deux femmes, la sorcière qui s’ancrera dans notre imaginaire apparaît au Moyen-Âge. À cette époque, les histoires se transmettaient par voie orale et comme toute bonne histoire, le mythe de la sorcière – aka une femme qui connaissaient les rudiments de la médecine – s’est propagé aussi vite que de l’huile sur le feu. Et voilà toutes les sages-femmes et les guérisseuses soupçonnées de magie noire… Tiens, tiens, cela ne vous rappelle-t-il pas le voyage de Claire Randall dans l’Écosse du 18ème siècle dans Outlander ? Infirmière de guerre en 1945, elle devient une sorcière après avoir remonté le temps. Pourquoi ? Si Diana Gabaldon transforme la cicatrice de son vaccin en une marque du diable, elle est surtout crainte pour savoir comment soigner – ou tuer – ses semblables…

Si au 18ème siècle, les préjugés persistaient encore envers les femmes savantes, les chasses aux sorcières connaissent leur apogée au 17ème siècle. Ennemies mythiques de l’Église, les sorcières – traduisez des femmes qui outrepassent leurs droits en s’érigeant comme des personnes savantes – sont persécutées par le corps religieux. Il faut dire qu’elles exagéraient quand même ! Prétendre détenir un savoir alors qu’il est couché noir sur blanc que la femme était inférieure à l’homme… Quel toupet ! Et puisqu’une femme, de par sa nature même, est qualifiée comme tentatrice du diable dans la religion chrétienne de l’époque, il n’en fallut pas beaucoup plus pour que de nombreuses chasses aux sorcières soient lancées…

Si elles sont innombrables, certaines restèrent dans les archives. Faisons un petit détour par l’Angleterre, voulez-vous ?  Bienvenue dans l’est du Lancashire, à Pendle pour être exact. C’est là qu’en 1612 eut un lieu l’un des procès de sorcières les plus célèbres de l’histoire anglaise. D’ailleurs, on raconte que la colline de Pendle est toujours hantée par les sorcières injustement exécutées… Les douze femmes jugées étaient de vieilles veuves pauvres refusant d’aller à l’église – ce qui était considéré comme un crime à l’époque. Ces femmes étaient toutes réputées pour être capables de faire de la magie en manipulant les secrets des plantes médicinales. En bref, la médecine par les plantes représentait leur moyen de gagner leur vie. Mais plusieurs familles rivales exerçaient sur le même secteur alors quand l’une commença à accuser l’autre de sorcellerie, les autorités religieuses et royales de l’époque commencèrent à mettre leur nez dans cette affaire et ce fut le début des ennuis…

Un procès que Stacey Hall a romancé sous la forme d’un livre historique sur les sorcières de Pendle. Un roman qui nous montre qu’être une femme est le plus grand risque qui soit « son regard dégageait une intelligence redoutable, presque masculine et, alors qu’elle était accroupie et moi debout, l’espace d’un instant, c’est moi qui ai eu peur ». Nous y faisons la connaissance de Fleetwood, une jeune femme enceinte prête à tout pour préserver sa vie et celle de son enfant, et d’Alice, une jeune sage-femme tirant son savoir des plantes médicinales. Mais vous vous en doutez, Alice ne va pas tarder à devenir une des cibles de cette terrible chasse aux sorcières…

Traversons maintenant l’Atlantique pour nous rendre près de Boston, à Salem pour être précis, où s’est tenue une des plus célèbres chasses aux sorcières de notre histoire… C’est là, qu’entre février 1662 et mai 1693, plus d’une centaine de femmes furent accusées de sorcellerie. Si cette hystérie collective a marqué l’histoire de l’Amérique du Nord, les historiens n’arrivent toujours pas à se mettre d’accord sur ses origines.

Mais selon les dernières hypothèses, ce terrible massacre aurait pour origines des hallucinations dues à l’ingestion d’ergot du seigle, une plante dérivée du LSD – une puissante drogue hallucinogène. C’est à Danvers, une ville voisine de Salem, que des petites filles commencent à avoir un comportement étrange : elles errent en traînant des pieds en parlant une langue inconnue… La sentence ne tarda pas à tomber : les médecins conclurent à une possession satanique. Quand on leur demanda qui les avait ensorcelées, les petites filles n’osèrent avouer qu’elles s’étaient adonnées à la sorcellerie. Mais persécutées, elles finirent par donner des noms : celles de femmes seules, pauvres et isolées. Mais comme les hallucinations continuaient de gagner d’autres jeunes filles, d’autres arrestations furent ordonnées… Et ainsi commença le procès pour sorcellerie le plus meurtrier de l’histoire de l’Amérique du Nord.

Pour comprendre l’histoire des sorcières de Salem, un livre ! Celui d’Arthur Miller. À travers sa pièce de théâtre, il expose les dérives puritaines qui ont construit les bases de la constitution des États-Unis. Les sorcières de Salem est un livre capital qui nous rappelle que la frontière entre raison et folie, entre justice et fanatisme est aussi fragile que ténue. Maintenant que nous avons pris connaissance de ces horribles histoires, il est temps de nous demander comment elles ont fini par atterrir dans… des histoires pour enfants !

Les sorcières dans les livres pour enfants

Les sorcières des livres pour enfants apparaissent, dans un premier temps, dans les contes traditionnels du 19ème siècle. Impossible de passer à côté des ceux des frères Grimm et de Christian Andersen donc ! Inspirées des histoires effroyables héritées du 17ème siècle, les sorcières y sont décrites comme aussi épouvantables que redoutables. Dépeintes comme de vieilles femmes seules, elles utilisent la magie pour tenter de contrer les rêves enchantés des héros qui, eux, sont décrits comme purs et innocents. C’est ainsi qu’elles deviennent des figures de perversion qui se cachent au fond de forêts sombres réputées dangereuses. Aussi méchantes soient-elles, les sorcières restent des femmes proches de la nature et de ses éléments… comme ses fruits, par exemple ! Vous n’avez pas oublié la terrifiante sorcière de Blanche-Neige et sa fameuse pomme empoisonnée, si ?

Généralement, les sorcières de ces livres symbolisent les angoisses enfantines comme la peur du noir par exemple. Elles sont peut-être cruelles et sans pitié mais les sorcières de contes de fées fascinent. Si l’image des sorcières a évolué dans notre imaginaire d’adulte, Disney a eu l’idée de consacrer toute une collection aux villains – les méchantes sorcières. Ces livres Disney racontent l’autre pan de l’histoire. On ne naît pas méchant, on le devient. Mais alors comment sont-elles devenues des sorcières aussi redoutables que redoutées ? Il ne vous reste plus qu’à lire pour le savoir…

Miroir miroir : sorcière livre

Vous l’aurez compris, l’image des sorcières se modernise ! C’est particulièrement notable à partir des années 80 où les sorcières sortent de leur forêt obscure pour s’introduire dans nos villes pour mieux nous terrifier… Prenez, par exemple, Sacrées Sorcières de Roald Dahl où les sorcières, déguisées sous l’apparence de femmes respectables et jolies, cherchent à exterminer tous les enfants de la planète.

Sacrées Sorcières de Roald Dahl - livre Halloween

Avec la sorcière de la rue Mouffetard, issue des Contes de la rue Broca de Pierre Gripari, nous avons affaire à une sorcière qui rêve de devenir belle. Nous entrons alors dans une nouvelle dimension de la figure de la sorcière. En effet, celle qui découvre qu’en « mangeant une petite fille dont le prénom commence par un N à la sauce tomate son vœu se réalisera » est plus amusante qu’effroyable. Tournée en ridicule, la sorcière de la rue Mouffetard inaugure une nouvelle ère du rôle de la sorcière dans la littérature jeunesse.

sorcière livre

Ridiculisée, la sorcière perd alors son rôle de grande méchante des histoires pour enfants. Prenez par exemple, Cornebidouille qui, dans les différents livres de la collection, se retrouve systématiquement humiliée par le héros : Pierre, un petit garçon qui n’aime pas la soupe – mais alors pas du tout ! Du sentiment de peur insufflé par les histoires ancestrales, les sorcières deviennent des personnages burlesques. Plus question d’avoir peur des sorcières, elles n’ont plus rien du héros perturbateur des contes d’antan.

Cornebidouille : livre sur les sorcières

Si certains auteurs s’amusent à ridiculiser les sorcières pour faire taire les angoisses de l’enfance, d’autres les érigent comme de véritables héroïnes… Eh bien oui ! Que serait le monde des sorcières sans Hermione Granger, par exemple ? Que vous soyez un Gryffondor, un Poufsouffle, un Serpentard ou un Serdaigle, Harry Potter a définitivement changé l’image de la sorcière qui peuplait notre imaginaire depuis des siècles…

Harry Potter : la révolution des sorcières

Stupefix ! Un petit voyage au sein du monde merveilleux de Harry Potter, ça vous dit ? Alors que le premier tome de la saga iconique de JK Rowling, Harry Potter à l’école des sorciers, était publié en juin 1997, un vent de nouveau soufflait sur la littérature, mais également sur l’image des sorciers et des sorcières. Si l’univers imaginé par JK Rowling possède ses côtés effrayants, il insuffle une nouvelle énergie positive à la figure de la sorcière.

Bien sûr, JK Rowling a choisi de doter son héros d’un chromosome Y mais ne dit-on pas que derrière chaque homme se cache une femme ? Pensez-vous que Harry serait arrivé au bout de sa quête contre Voldemort s’il n’avait pas été entouré par des sorcières d’exception ? Après tout, s’il est connu pour être celui qui a survécu, c’est uniquement grâce à l’amour de sa mère… Vous l’aurez compris, la place des femmes-sorcières dans Harry Potter est essentielle même si, on vous l’accorde, elles sont sous représentées par rapport aux hommes qui continuent de largement dominer l’histoire.

S’il leur arrive de porter des chapeaux pointus, les sorcières de Harry Potter n’ont rien de l’image traditionnelle à laquelle nous, pauvres moldus que nous sommes, avons été habitués. Loin des vieilles femmes craintes par les héros, elles sont fortes, déterminées et indépendantes. Et durant les sept livres de la saga, elles ne manqueront pas de prouver à notre sorcier à lunettes favori qu’elles sont indispensables.

Mais… et Bellatrix Lestrange ? Ou encore Ombrage ? Qu’en fait-on, nous direz-vous ! Elles sont vraiment angoissantes, on ne vous dira pas le contraire. Mais si Lestrange est l’archétype de la sorcière des contes de fées avec sa robe noire, Ombrage se différencie en affectionnant le rose et les chats – et pas forcément noirs, on voit vous venir ! Incarnation de l’abus de pouvoir, de la dictature et de l’ambition, elle reste une sorcière remarquable…-ment raciste. En bref, elle détonne dans le paysage des personnages de méchantes sorcières.

livre sur les sorcières

Imelda Staunton dans le rôle de la sorcière, Dolores Ombrage (Harry Potter)

Qu’elles soient des mentors, des résistantes, des mères dévouées et courageuses, des inventrices ou des criminelles, les sorcières de Harry Potter ont marqué le monde de la magie de leur empreinte indélébile. Il en est notamment une qui restera dans la postérité : Hermione Granger. Amie indéfectible de Harry, elle est l’une des figures emblématiques de la saga littéraire. Aussi intelligente que courageuse, elle aura permis au sorcier à lunettes de comprendre et déjouer les plans de Voldemort. Toujours humble, « ce ne sont pas nos capacités qui déterminent ce que nous sommes, Harry, ce sont nos choix », Hermione Granger a su s’imposer comme l’une des plus grandes sorcières de tous les temps.

hermione granger livre sur les sorcières

Rupert Grint, Emma Watson et Daniel Radcliffe dans Harry Potter

Adieu les vilaines sorcières qui volent sur leurs balais à la nuit tombée, les sorcières de Harry Potter incarnent la force et l’intelligence féminine indispensable à la réussite des projets du héros. Cependant, n’exagérons rien, Harry Potter est loin d’être une œuvre féministe mais disons qu’elle a durablement changé l’image négative que l’on pouvait se faire des sorcières. Ah ! Ne nous mentez pas ! On sait bien que vous avez tous rêvé de recevoir une lettre de Poudlard le jour de vos onze ans…

Les sorcières : héroïnes des livres féministes

Avec la vague féministe, initiée par le mouvement #metoo, la sorcière est devenue une icône du combat féministe et des droits de la femme. Longtemps persécutée, mise en marge de la société pour mieux être exécutée, la figure de la sorcière est devenue l’égérie de la haine envers les femmes. Mystérieuse, différente et refusant de rentrer dans le moule sociétal façonné par les hommes, la sorcière devient rapidement la femme à abattre… Après tout, à quoi sert une femme une fois qu’elle n’est plus en mesure d’enfanter ou de travailler ? À peu de chose, n’est-il pas ?

Trêve d’ironie ! Au milieu de ce contexte particulier, et en écho aux nombreux combats féministes actuels, que pouvaient devenir les sorcières hormis des superhéroïnes ? Mais qu’entend-on exactement par sorcière contemporaine ? Une sorcière se cache-t-elle au fond de chaque femme ? Le simple fait d’avoir des convictions féministes fait-il de nous une sorcière ? Si on résonne ainsi, Simone Veil et Gisèle Halimi sont donc nos sorcières des temps modernes. Si l’idée peut paraître amusante, cette réflexion n’est pas aussi incongrue qu’on pourrait le croire…

En effet, l’idée de justice est intrinsèquement liée à la montée en puissance des sorcières d’aujourd’hui. Et n’est-ce pas précisément ce pourquoi se battaient ces deux femmes ? Pour les droits des femmes ? Si durant des siècles, les sorcières ont été opprimées et torturées, le temps est enfin arrivé de demander réparation. Justement ! C’est précisément ce que Mona Chollet, dans son livre intitulé Sorcières la puissance invaincue des femmes, tente de démontrer.

Affranchie de toute domination patriarcale, la sorcière est aujourd’hui une femme sûre d’elle qui n’hésite plus à revendiquer sa position… enfin, elle essaye tout du moins. Si on ne brûle plus les femmes soupçonnées de sorcellerie, l’autrice nous montre que les sorcières modernes sont toujours victimes de sordides persécutions. Mais alors ? Qui sont les sorcières d’aujourd’hui selon Mona Chollet ? Tout d’abord, ce sont des femmes indépendantes, souvent célibataires ou veuves, qui subissent des menaces déguisées censées les inciter à retrouver leur place. Viennent ensuite celles qui font le choix de ne pas avoir d’enfants puis les femmes ménopausées, qui suscitent du dégoût et poussent les hommes à se tourner vers des femmes plus jeunes. Mona Chollet termine son étude par un point épineux : celui de l’appropriation du corps des femmes par le corps médical…

En faisant de la sorcière une icône féministe, Mona Chollet espère libérer la parole et rendre justice à des siècles de persécutions. Véritable best-seller, Sorcières la puissance invaincue des femmes aura inspiré de nombreux autres auteurs. En effet, les livres sur les sorcières, portant fièrement la figure féministe, fleurissent sur les étals de nos librairies. Par exemple, paru en août 2020, Sorcières, Salope, Féministes de Kristen Sollee tente de comprendre la relation étroite qu’entretient la définition de la salope avec celle de la sorcière…

Mais, peu importe la définition qu’on lui donne finalement, les sorcières sont toujours là et comptent le rester. Elles envahissent la littérature et tente d’inverser une tendance sexiste encore profondément ancrée dans nos sociétés. À vos livres ! Que ce soit La sorcière de Camilla Läckberg, Les sorcières de North Hampton de Melissa de la Cruz ou encore Les nouvelles aventures de Sabrina, dîtes-nous quelle sorcière vous êtes…

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