Et à la fin, ils meurent de Lou Lubie : la BD qui parodie les contes de fées

C’est un ouvrage qui sait attirer l’œil dans les rayons d’une librairie : sa couverture verte aux ornementations dorées, sa reliure (quoiqu’elle ne soit pas en cuir), sa tranche dorée ne seront pas sans vous rappeler les ouvrages anciens, mais le titre et l’illustration de couverture sont plus inattendus… Ils parodient la tradition des contes, notamment la célèbre formule finale, « Ils se marièrent, vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ».

Mais cette formule, qu’on citerait aisément, existe-t-elle vraiment en fait ? Réponse dans Et à la fin, ils meurent de Lou Lubie, un essai en BD, qui a choisi de combattre nos idées reçues sur les contes de fées avec beaucoup d’humour, tant dans les textes que dans les illustrations, mais sans jamais sacrifier le sérieux et l’exactitude dans l’enquête.

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Revenons sur l’illustration de couverture ; nous y découvrons, en médaillon, un portrait de famille quelque peu incongru : une princesse sans bras ouvrant des yeux ronds, un prince aux yeux crevés aux faux airs de zombie, un nain goguenard et un petit chaperon au sourire carnassier, portant un panier dont s’échappent des os et des mouches. Sous ce médaillon, un sous-titre qui sert de légende éclairante à ce portrait et explicite clairement le projet de l’autrice, révéler « la sale vérité sur les contes de fées ». En effet, alors même que nous sommes nombreux à reléguer les contes de fées dans nos souvenirs d’enfance, en nous rappelant de lointaines soirées où nos parents ou grands-parents nous racontaient des histoires terribles ou enchanteresses, Le Petite Chaperon Rouge ou La Belle au Bois Dormant, ou bien à les associer au visionnage (parfois répétitif, quand il se fait aux côtés de nos enfants) de vieux dessins animés (qui a oublié la course éperdue de Blanche-Neige dans les bois sombres ou le visage furieux et cruel de sa méchante belle-mère ?), l’autrice a décidé de dépoussiérer l’image un peu désuète de ses contes et, surtout, de combattre la vision édulcorée qu’en ont donné certains adaptateurs, notamment Charles Perrault, au XVIIe siècle, mais surtout, au XXe siècle, le fameux Walt Disney.

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Interrogeons n’importe qui : il vous dira que les contes font partie de nos trésors nationaux, de notre patrimoine culturel, qu’il est essentiel que les enfants en entendent – les contes sont au programme de l’école élémentaire – afin d’apprivoiser de manière inconsciente les dangers du monde dans lequel ils évoluent  (la figure du « méchant loup » dans Le petit chaperon rouge peut ainsi susciter pas mal d’interprétations) et d’intégrer un certain nombre d’interdits sociaux (l’inceste, par exemple, dans Peau d’âne). Si votre interlocuteur est un peu plus renseigné, il évoquera la Psychanalyse des contes de fées de Bruno Bettelheim qui a précisément approfondi le rôle et l’utilité des contes de fées pour les enfants qui, bien plus que de leur faire découvrir l’amour, leur permettraient de surmonter des conflits familiaux.

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Or, Lou Lubie aborde son sujet tout à fait autrement : elle a choisi d’examiner l’objet « conte de fées » sous toutes ses coutures, qu’elle aborde dans différents chapitres dans lesquels chaque point est illustré par un conte spécifique. Elle a choisi de mêler contes très célèbres – on commence ainsi par Cendrillon – et contes beaucoup plus confidentiels, comme le conte égyptien des Deux frères. Les origines de ces contes sont très variées : il y a des contes égyptiens, chinois, russes, iraniens… Personnellement, je crois que l’un des contes moins célèbres qui m’a le plus fait rire, c’est Le conte du souriceau, de l’oiselet et de la saucisse. Rien que le titre, c’est déjà tout un programme… Ce conte est présenté dans une version illustrée – sous forme de BD, donc – dans laquelle elle mêle récit et commentaire, le commentaire venant toujours prendre ses distances avec le récit, pour en souligner le caractère parfois archaïque, faussement naïf ou, en apparence, mal construit. Car ces constructions qui paraissent maladroites ou répétitives donnent à la fois leur spécificité aux contes, mais nous révèlent aussi qu’ils poursuivent bien d’autres objectifs que nous raconter des histoires vraisemblables (ce dont d’autres genres littéraires se chargent aisément).

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Ce sont particulièrement ces commentaires et les dessins – en particulier les mimiques des personnages –  qui donnent à cette étude son caractère proprement hilarant. L’autrice, comme ces exemples le montrent, a su varier les formats, les styles d’illustration – du dessin très réaliste à la caricature, en passant par des parodies de mangas ou de dessins animés, même si l’ensemble est unifié par les teintes choisies, blanc, violet et orange, qui donnent un petit caractère rétro à l’ensemble. La variété des formats et des styles contribue au dynamisme de l’œuvre qui sait accélérer les récits quand nécessaire, pour ne jamais ennuyer le lecteur. Le but de l’autrice en effet n’est pas de nous raconter un conte comme on le faisait dans notre enfance, mais de nous en donner rapidement la substance tout en nous aidant à prendre un recul critique pour discerner ce qu’elle a choisi d’illustrer. Vous redécouvrirez les contes les plus classiques comme vous les avez rarement vus – je pense en particulier à Raiponce.

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Toutefois, comme nous le disions en introduction, cette volonté de faire rire le lecteur, souvent avec un humour très noir qui permet d’alléger le caractère souvent assez violent des contes, n’empêche pas que l’autrice pose de véritables questions ; le genre de questions que pourraient se poser aujourd’hui des parents sur le point de faire découvrir les contes à leurs enfants, par exemple. Sont-ils destinés à toutes les oreilles ou en tout cas, peut-on aujourd’hui les adresser à des oreilles enfantines ? La réponse est, bien entendu, variable ; pour certains contes, vous y réfléchirez à deux fois, surtout quand vous aurez découvert l’une des vedettes de ce volume, l’italien Giambattista Basile (début du XVIIe siècle), l’un des premiers à donner des versions écrites des contes (car ils sont d’abord le fruit de traditions orales qui remontent aux origines de l’humanité, comme Lou Lubie le relate dans les premiers chapitres) dans son Conte des contes ou Pentamerone, destiné… aux adultes !

Ou bien, si vous continuez à les lire à vos enfants, ce sera dans une autre version, non sans vous remémorer, sotto voce, d’autres choix narratifs. Lou Lubie fait ainsi très régulièrement des comparaisons entre les diverses variantes des contes de fées (notamment entre ceux de Basile, de Perrault et des Frères Grimm), jusqu’à proposer une synthèse des principales différences entre l’époque, la poétique et les caractères des héros de Perrault et de Grimm. Elle ne manque pas aussi de s’intéresser à l’évolution dans la représentation des personnages des dessins animés de Walt Disney : entre Blanche-Neige et Aurore, imaginées lors des premiers temps du studio, et Raiponce ou Elsa, plus récentes, les tempéraments des princesses ont largement évolué. C’est extrêmement instructif ! Mais l’autrice pose aussi d’autres questions : pourquoi parle-t-on de contes « de fées » alors qu’il n’y en a pas toujours ? Les contes sont-ils sexistes ? L’homosexualité y est-elle représentée ? Les contes sont-ils racistes ? Sont-ils compatibles avec la notion de « consentement » dont nous constatons chaque jour l’importance ? À chaque fois, des contes, souvent peu connus, car venus de pays très différents, sont utilisés pour donner une réponse argumentée, mais qui, comme les contes eux-mêmes, ne vous donnera jamais une réponse univoque. En effet, la forme du conte, comme nous le prouve cet ouvrage, est éminemment plastique, malléable, et chaque lecteur peut lui donner le sens qu’il veut, ou le remanier quand il le raconte. Mais, surtout, son caractère ancien et protéiforme lui donne une impertinence, un caractère iconoclaste ou en rupture avec le politiquement correct qui, parfois, peut s’avérer rafraîchissante, si on l’écoute avec un peu de distance. Ainsi, à la question « peut-on rire de tout ? », ce volume semble répondre clairement : « oui ».

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Une bibliographie nourrie termine le volume, précédant un petit « bonus » que je vous laisse découvrir et qui termine cet ouvrage avec une dernière pirouette à l’image de l’auteur, humble et drôle. Vous refermerez le livre plus savant, mais aussi fort diverti, pour découvrir au dos une illustration qui résume bien le propos : la partie supérieure d’un squelette humain enfermée dans une silhouette de crapaud couronné. Il s’agit bien sûr d’une allusion au prince enfermé dans un corps de crapaud, mais aussi à l’ambition de cet ouvrage : faire une radiographie très précise, mais non sans malice, des contes de fées.

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