Vous en avez déjà marre de rester enfermés entre vos quatre murs ? Alors décollez pour l’Islande ! Bien sûr que c’est possible, ne sous-estimez la puissance des mots ! Votre chef de bord sera Auður Ava Ólafsdóttir et elle vous entraîne dans le Reykjavik des années 60. Prix Médicis 2019 dans la catégorie « étranger », Miss Islande est un livre qui souffle un vent de liberté sur la littérature.
Et si on voyageait sans sans bouger de notre canapé ? Aller hop ! Allons donc remplir nos poumons de l’air purifiant de l’Islande afin d’oublier les tracas du quotidien le temps d’une lecture. Vous aurez toujours le temps de vous inquiéter plus tard. À l’heure où le calendrier des grands prix littéraires d’automne se retrouve bouleversé, certains ont décidé de braver la tempête de la crise sanitaire afin de proclamer leurs lauréats. Après le prix Femina le lundi 2 novembre, c’est le prix Médicis qui annoncera, le 6 novembre prochain, le nom des grands gagnants de cette édition 2020. Mais prenons une pause…
…et revenons un peu en arrière. Le prix Médicis 2019 était, l’an passé, revenu à Luc Lang pour son roman La tentation mais il est un autre livre qui avait marqué les esprits des lecteurs… On vous le donne dans le mille ! Prix Médicis 2019 dans la catégorie « étranger », Miss Islande d’Audur Ava Olafdottir s’est rapidement révélé comme l’un des meilleurs livres de l’année 2019.
Et on comprend très bien pourquoi ! Véritable coup de cœur, ce roman nous plonge dans un tourbillon d’émotions. Féminisme, homosexualité, rêves de liberté et d’indépendance, Audur Ava Olafdottir ne nous épargne rien. Qui aurait cru que ce pays, réputé pour être l’un des paisibles du monde, avait traversé un vent de révolution ?
Miss Islande : un livre de feu et de glace
Paru le 5 septembre 2019, aux éditions Zulma, Miss Islande est un roman qui nous plonge dans l’atmosphère aussi merveilleuse que menaçante des paysages éblouissants de l’Islande. C’est sur ces terres gelées mais fertiles que nous faisons la connaissance d’Hekla – oui, comme le volcan – une jeune femme de 21 ans, prête à tout pour réaliser ses rêves.
Fille d’un homme, un peu lunaire mais passionné de volcanologie, Hekla grandit en s’émerveillant du monde qui l’entoure « tu étais transformée. Tu avais fait un voyage. Tu t’exprimais différemment. Tu parlais la langue des éruptions, tu employais des mots comme sublime, prodigieux et titanesque. Tu avais découvert le monde, tu regardais le ciel. Tu as pris l’habitude de disparaître. Nous te retrouvions allongée dans les champs, à observer les nuages, ou en hiver, sur une congère, à contempler les étoiles ». Insaisissable, c’est le mot qui décrit parfaitement cet esprit de feu et de glace. Une personnalité qui étouffe dans sa province natale des Dalir. Entre une volonté de s’émanciper du patriarcat et celle de réaliser ses rêves, Hekla nous entraîne dans l’Islande des années 60.
Malgré ses 350 000 habitants, l’Islande est le plus pays qui compte le plus de lecteurs au monde mais également beaucoup de grands écrivains dont un prix Nobel, Halldor Kiljan Laxness. C’est aussi un pays féministe, le premier à avoir élu au suffrage universel une présidente et à appliquer scrupuleusement un programme d’égalité entre les hommes et les femmes. Cependant, cela n’a pas toujours été le cas… Quand Hekla arrive à Reykjavik, capitale islandaise, dans l’idée de devenir autrice, on lui rit au nez et lui fait une proposition d’un tout autre genre « je sais reconnaître la beauté quand je la vois, voilà pourquoi j’aimerais vous inviter à briguer le titre de Miss Islande ». En voilà une idée !
Vous vous en doutez, ce n’est pas du tout au goût de cette jeune femme qui a « dévoré tous les livres que nous avions à la maison dès que j’ai su lire, je les ai avalés les uns après les autres, dans l’ordre où ils étaient rangés sur les étagères et en commençant par celles du bas ». Si, en Islande, la littérature est érigée sur un piédestal, elle reste néanmoins interdite aux femmes. Mais c’est plus fort qu’elle, Hekla vit et respire par les mots. Elle existe pour toutes les idées qui dansent inlassablement dans ses pensées.
Hekla n’en perd pas, pour autant, le sens des responsabilités ! Alors, pour subvenir à ses besoins, elle accepte un job de serveuse. À l’image du volcan dont elle porte le nom, elle semble endormie mais méfiez-vous du volcan qui dort… Hekla menace d’entrer en éruption à tout moment. Quoi qu’elle fasse, elle attire les regards… tantôt lubriques, tantôt admiratifs. En bref, Hekla ne laisse pas de marbre… surtout pas Starkadur, son poète, qui ne tarde pas à tomber sous charme. Mais voilà… Elle est l’étoile qui brille pendant que, lui, se dessine comme l’allégorie du poète maudit « La vérité, c’est qu’il ne me vient rien. Je n’ai aucune idée. Je n’ai rien sur le cœur. Tu sais ce que ça fait d’être banal ? Non, tu l’ignores. Tes pages sont traversées par les torrents impétueux et dévastateurs de la vie et de la mort, moi je suis un ruisseau qui murmure. Je ne supporte pas l’idée d’être un poète médiocre ».
Tandis qu’il rêverait de la garder près de lui, de la voir lui préparer ses repas et de se conduire comme la femme qu’elle est, Hekla garde un pied dehors et s’évade loin des tourments du monde. La passion ? Elle ne la ressent que pour les mots. Son imagination bouillonne mais d’apparence, rien ne vient jamais la troubler. Et c’est tant pis pour le pauvre Starkadur. Elle observe en silence, se nourrit de la morosité du quotidien pour en écrire des histoires pleines de grâce une fois la nuit tombée « Une phrase vient à moi puis une autre, une image se dessine, cela fait toute une page, tout un chapitre qui se débat dans ma tête, pataud comme un phoque pris dans un filet. J’essaie d’accrocher mon regard à la lune par la lucarne, je demande aux phrases de s’en aller, je leur demande de rester, il faut que je me lève avant qu’ils s’évanouissent ». Piégée dans une société patriarcale, Hekla ne rêve que s’échapper. Le concours de Miss Islande n’est visiblement pas pour demain…
Miss Islande : des stéréotypes à la liberté
Loin de crier à la révolution, Miss Islande d’Auður Ava Ólafsdóttir rejette subtilement les stéréotypes et les principes archaïques qui continuent de peser sur les épaules des jeunes gens. Si, aujourd’hui, en Islande, ces préjugés ont disparu, ce roman fait cruellement écho aux schémas de notre époque. Hekla et ses amis, Isey et Jon John, s’en font les symboles : la femme-objet, la maternité et l’homme viril. Mais voilà… Hekla refuse d’être une belle femme, Isey exècre sa vie de femme mariée débordée et John Jon voudrait pouvoir avoir le droit d’aimer les hommes. Ils étouffent dans une société qui ne laisse pas leur personnalité s’exprimer librement. Mais ça, Hekla en est bien consciente, et elle ne cédera pas « Tu vas t’en aller voir le monde, et moi je resterai ici en espérant que le poissonnier emballera mon aigle-fin dans un poème ou un roman feuilleton ».
Enchaînée à ses responsabilités, Isey est peut-être le personnage qui attise le plus la pitié du lecteur. Alors que les histoires du poissonnier lui deviennent vitales, on comprend qu’elle est désespérée mais résignée et continue, alors, d’évoluer dans une étrange mélancolie destructrice. Isey se raccroche alors aux mots de sa meilleure amie et aux maux du monde. Une chose est sûre, l’autrice islandaise ne choisit pas la voie romanesque mais celle de la réalité de la vie. Que faire ? Comment s’extirper de ce cercle vicieux ? La réponse n’est peut-être pas évidente mais Hekla et John Jon ne cesseront jamais d’essayer. Les mots s’imposent comme la seule liberté possible « Je ne peux pas me permettre de laisser tomber, Isey. L’écriture est mon ancrage dans la vie. Je n’ai rien d’autres. L’imagination, c’est tout ce que j’ai ».
Miss Islande est un livre écrit avec pudeur, avec un style concis mais puissant, qui lui donne une voix pure, sensible mais criante de vérité. En donnant naissance à une véritable ode à la littérature, Auður Ava Ólafsdóttir réussit à nous toucher en plein cœur. Elle nous rappelle qu’il ne faut pas abandonner « Fais de moi un chapitre de roman pour que ma vie ait un sens », que par les mots, nous parviendrons à soigner les maux du monde « Raconte l’histoire d’un garçon qui aime les garçons ». Leur pouvoir est tel qu’ils peuvent abattre les murs invisibles qui nous enferment dans des stéréotypes. En bref, il n’est jamais vain de raconter une histoire et ça, Hekla l’a bien compris. Vous comprenez mieux pourquoi Miss Islande a séduit le jury du prix Médicis 2019 maintenant ?
Le livre à lire si vous avez aimé Miss Islande
La lettre à Helga de Birgisson Bergsveinn
Ne quittons pas l’Islande tout de suite, voulez-vous ? Cette fois-ci, partons à la rencontre de Bjarni, un homme de 90 ans avec des souvenirs plein la tête et quelques regrets « J’ai fantasmé pour combler les lacunes de mon existence, compris que l’être humain peut faire de grands rêves sur un petit oreiller ». Le plus gros d’entre eux ? Helga. La lettre à Helga, comme son nom l’indique, est une longue lettre de plus de 130 pages. Mais pas n’importe quelle lettre, une lettre d’amour. À une femme, Helga, mais plus largement à cette Islande traditionnelle qu’il a vu s’éteindre sous le feu ardent des progrès fulgurants du 20ème siècle.
La fin est proche, Bjarni le sait. Désormais, plus rien ne le retient. Alors, se saisissant de son stylo, il va se libérer de ses sentiments trop longtemps enfouis. Ainsi commence ce roman épistolaire aussi tendre que poignant. Véritable déclaration d’amour pour son pays et ses traditions ancestrales, l’Islande devient une magnifique métaphore de la femme teintée d’une mélancolie latente mais bouleversante « et je compris que le mal, dans cette vie, ce n’étaient pas les échardes acérées qui vous piquent et vous blessent, mais le doux appel de l’amour auquel on a fait la sourde oreille ». À découvrir sans plus attendre !