Qu’elles soient intrigantes, alléchantes et colorées ou sobres, mystérieuses et classiques, les couvertures de livres sont décisives dans le processus d’achat d’un lecteur. Si nos amis éditeurs étrangers font le choix d’adopter une fantaisie bariolée, les maisons d’édition françaises continuent d’arborer une sobriété assumée. Pourquoi ?
« La traduction est une annexion » écrivait Victor Hugo dans ses Proses philosophiques tandis que Voltaire se faisait encore plus tranchant en écrivant, dans Essai sur la poésie épique, « qu’on ne croie pas connaître les poètes à travers les traductions, ce serait vouloir apercevoir le coloris d’un tableau dans une estampe ». Traduttore, traditore. Comprenez traduire, c’est trahir. Une maxime qui revient assez souvent quand il est question de traduction. Mais plutôt que de nous attacher au texte à proprement dit, nous avons poussé notre curiosité encore plus loin…
En cette journée internationale de la traduction, nous avons choisi de passer à la loupe les différentes couvertures de livres proposées par les éditeurs du monde entier. Après tout, ne sont-elles pas ce qui attire notre œil de lecteur en premier lieu quand nous entrons dans une librairie ? On pourrait presque dire que la couverture d’un livre correspond à son image de marque. Pourtant, en France, alors qu’on pourrait imaginer que les maisons d’édition tableraient sur l’originalité afin de se renouveler et continuer de séduire leurs lecteurs, elles s’entêtent à afficher un style très sobre. Serait-ce pour un souci d’élégance ? Eh bien, sachez que si les raisons sont plus profondes, nous ne sommes pas loin du compte…
Provoquer un coup de cœur d’un coup d’œil et d’un seul ! Voilà le but des couvertures de livres. Affriolantes, colorées, travaillées, parfois effrayantes, mystérieuses, elles sont vouées à susciter une émotion chez le lecteur. Pourtant, en France, nombre de nos couvertures de livres restent sobres et unicolores. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’elles sont devenues le symbole d’un prestige inégalable. Pour être bref, dans l’Hexagone, le blanc est roi. Il se fait le symbole du caractère classique de la littérature française.
Quand l’élégance française se reflète sur les couvertures de livres
Les couvertures de livres françaises ou la traduction d’un prestige ancestral
Si, en tant que Français, nous avons l’habitude d’entrer dans une librairie comme dans un lieu sacré, nous sommes sûrs que vous pourrez témoigner d’une tout autre sensation dans vos pays d’adoption. En tant qu’expatriés, vous avez sûrement déjà pointé le bout de vos nez dans une librairie, n’est-ce pas ? Alors… qu’en avez-vous pensé ? N’avez-vous pas été frappés par quelque chose ? Réfléchissez bien… Vous y êtes sûrement habitués désormais mais, la toute première fois, n’avez pas été surpris par les couvertures des livres qui s’étalonnaient devant vous ?
Contrairement aux maisons d’édition françaises, les éditeurs étrangers travaillent beaucoup leurs couvertures de livres. C’est donc à une explosion de couleurs à laquelle vous aurez droit en entrant dans les librairies de par le monde si bien que vous ne saurez plus où donner de la tête… C’est à celui qui aura été le plus créatif et le plus audacieux ! En France, la tendance n’est pas la même puisque le texte prime sur l’image. Toujours dans cette logique de sacralisation de la littérature, l’objet livre doit refléter l’image de ce que renvoie le texte lui-même. Vectrices de savoir et représentantes de l’autorité de la voix de nos grands auteurs, les couvertures de livres se font le miroir d’une certaine préciosité de ce que l’objet renferme… En bref, cela en dit long sur le rapport que les Français entretiennent avec la littérature…
Que ce soit la collection Blanche de Gallimard, la Jaune de Grasset ou encore la Bleue de Stock, toutes ont un seul et même but : publier l’élite de la littérature française. Pourtant, la perception qu’en ont les étrangers pourrait vous étonner. Loin de vous parler d’un quelconque prestige, ils vous diront de but en blanc que nos couvertures de livres sont ennuyeuses. Allons, allons… Osons tout et mettons des mots sur les sujets qui fâchent !
Le règne blanc de Gallimard
Si les couvertures françaises sont moins exubérantes que celles de nos amis anglo-saxons, c’est en grande partie parce que depuis 1911, Gallimard entretient le prestige de sa célèbre collection Blanche. Une collection qui cultive la légende selon laquelle le texte se suffit à lui-même. La couverture n’est alors qu’un accessoire visant à protéger le papier et non pas à attirer l’œil du lecteur et pourtant… Si l’habit ne fait pas le moine, on sait très bien qu’une couverture atypique aura plus de chance de susciter la curiosité d’un lecteur qu’une couverture de livre lambda. Pourtant, la collection Blanche continue d’avoir un pouvoir d’attraction indéniable sur les auteurs et leurs lecteurs…
Mais quel est donc son secret ? Serait-ce sa fameuse couverture gage d’une qualité littéraire ? En effet, depuis sa création, la collection Blanche de Gallimard n’a pas changé d’un iota sa charte graphique. Pourquoi ? Tout simplement pour conserver le prestige d’une maison d’édition qui nous renvoie directement aux noms de grands auteurs comme Marcel Proust, André Gide, Albert Camus, André Malraux ou encore Jean-Paul Sartre. Le message est sous-jacent, mais clair : ne se fait pas publier qui veut dans la collection Blanche. Cependant, avec les années, la prestigieuse maison d’édition française a agrémenté ses couvertures de bandeaux aguicheurs. Prenons l’exemple de L’Anomalie d’Hervé Le Tellier qui figure dans les sélections 2020 du Goncourt, du Médicis et du Renaudot.
Cependant, si les grandes maisons d’éditions françaises continuent d’afficher des couvertures de livres classiques et dénudés, les maisons d’édition britanniques n’ont jamais hésité à oser l’originalité sans que cela n’altère la qualité des textes d’un auteur. Un exemple ? Prenez la couverture de la première édition du livre de George Orwell, 1984 ! Les plus tatillons d’entre vous nous diront que la version anglaise n’est pas si affriolante que cela, mais ne l’est-elle pas toujours plus que la version française publiée chez Gallimard ?
La littérature jeunesse : les best-sellers de la traduction
La révolution est en marche
Si les grandes maisons d’édition misent sur le prestige de l’institution de la littérature française pour continuer de vendre leurs ouvrages, est-ce vraiment le cas de tous les éditeurs ? Eh bien non ! Quand on s’intéresse de près à la littérature jeunesse par exemple, les maisons d’édition n’hésitent pas à parier sur des couvertures de livres aussi originales que colorées pour attirer les jeunes lecteurs. Et on peut dire que le pari est réussi !
Si tous les enfants et adolescents ne sont pas des amateurs de lecture, il sera plus facile de les attirer dans le filet de la littérature avec des livres aux couvertures affriolantes, vous ne pensez pas ? Face à une baisse notoire de la lecture chez les jeunes, les éditeurs se doivent donc d’être inventifs pour les séduire. Et loin de renoncer devant les difficultés, ils se montrent de plus en plus ingénieux. Avec la montée en puissance du phénomène Netflix, ils n’ont pas hésité à publier des ouvrages mettant en scène les héros des séries préférées de nos adolescents : Riverdale, Stranger Things, Les nouvelles aventures de Sabrina, Elite… Vous l’aurez compris, toutes les tactiques sont bonnes pour convaincre nos lecteurs en herbe de se plonger dans les livres. En bref, l’opération séduction est lancée !
Pourtant, en France, ces ouvrages sont encore aujourd’hui considérés comme de la « petite » littérature, comme si ces romans n’étaient pas de « vrais » livres. Une ombre péjorative plane sur la catégorie Young Adult et leurs couvertures de livres bariolées ne seraient qu’une manière de faire une différence entre la « bonne » et la « mauvaise » littérature. Mais puisque nous partons du principe que le plus important reste de lire, faisons-leur une place dans les rayons de nos bibliothèques, n’êtes-vous pas d’accord ? Peu importe qu’un livre soit signé par un grand auteur ou non, « a good book is a good book whatever the category is » comme diraient nos amis anglo-saxons.
Si le secteur jeunesse prend une place de plus en prépondérante dans nos librairies françaises, il reste largement stigmatisé. Prenons l’exemple de la saga Hunger Games qui s’est vu affublé de deux couvertures : une pour le rayon jeunesse et une pour le rayon adulte. Si les étrangers y verront un grand n’importe quoi, les maisons d’édition françaises semblent prêtes à tout pour préserver leur réputation prestigieuse… En bref, il ne fait pas bon être vu en train de lire un livre Young Adult. Mais ça, c’était avant… Avant le souffle nouveau injecté par la saga phénomène de JK Rowling, l’incontournable Harry Potter…
Le phénomène mondial Harry Potter
Publié pour la première fois en 1997 et vendue à 26 millions d’exemplaires en France et 400 millions dans le reste du monde, la saga littéraire Harry Potter de JK Rowling a révolutionné le monde de la lecture et réconcilié les adultes avec la littérature dite « pour enfants ». Si le phénomène est mondial, les couvertures des livres Harry Potter diffèrent néanmoins en fonction des pays.
Ainsi, dans certains pays – comme en Allemagne ou au Danemark – vous trouverez une couverture différente pour l’édition à destination des adultes et celle à destination des enfants. Mais, pour une fois, la France fait exception à la règle ! Publié chez Gallimard dans la catégorie jeunesse, le livre ne possède qu’une seule et même couverture. Le succès est tel qu’adultes et enfants se sont jetés sur les livres sans se poser la question de savoir si la saga Harry Potter appartenait à la catégorie de la « bonne » ou de la « mauvaise » littérature. Pour la première fois en France, les livres de JK Rowling font l’unanimité. Un exploit qui mérite d’être souligné !
D’ailleurs, il est intéressant d’observer la rupture entre l’avant et l’après Harry Potter… En effet, par exemple, prenons la couverture de la saga du Seigneur des anneaux de JR Tolkien. Lors de sa première publication française en 1972, on observait une couverture de livre aussi sobre que minimaliste tandis qu’à sa parution originale en 1954, de l’autre côté de la Manche, la couverture était déjà plus habillée.
Même si la couverture du livre reste relativement simple – on vous l’accorde – il n’empêche qu’elle est quand même beaucoup plus attrayante qu’en France ! Heureusement depuis, les éditions se sont mises à la page et proposent une couverture de La fraternité de l’anneau beaucoup plus envoûtante…
Les couvertures de livres : la France VS le reste du monde
Si les maisons d’éditions françaises qui ont un pôle spécialisé dans la jeunesse innovent dans l’esthétisme de leurs couvertures de livres, qu’en est-il de la littérature pour adultes ? Sont-elles vraiment toutes aussi ennuyeuses qu’il n’y paraît ? Ne soyons pas si catégoriques et observons les efforts fournis par les maisons d’édition au cours de ces dernières années… un petit jeu, ça vous dit ?
Couverture de livre française | Couverture de livre du monde | |
1984 de George Orwell | X | |
Harry Potter de JK Rowling | X | |
Le seigneur des anneaux de Tolkien | X | |
Aria de Nazanine Hozar | X | X |
La dernière interview d’Eshkol Nevo | X | |
Lumière d’été de Kalman Stefánsson | X |
Pour jouer avec nous, rien de plus simple ! Il suffit d’observer les couvertures des livres des parutions étrangères de la rentrée littéraire 2020 (on est dans le thème ou on ne l’est pas !) et de les comparer avec leurs couvertures originales. Prêts ? C’est parti !
Pour Aria de Nazanine Hozar, un livre publié dans sa version française aux éditions Stock, on doit bien avouer que nous avons bien du mal à choisir entre les deux. Qu’en pensez-vous ? Ne peut-on pas dire que les deux éditions se valent ?
Pour La dernière interview d’Eshkol Nevo, Gallimard a choisi un bandeau pour habiller sa traditionnelle couverture blanche. Qu’en pensez-vous ? Ne trouvez-vous pas que la couverture originale a de quoi intriguer un lecteur en quête d’un nouvel ouvrage à lire ?
Pour Lumière d’été puis vient la nuit de Jón Kalman Stefánsson, on ne sait pas ce que vous en pensez mais nous, nous avons une nette préférence pour l’édition française ! Les éditions Grasset se sont montrées malignes en couvrant leur habituelle couverture jaune d’une double couverture aguichante… Ainsi, le lecteur se retrouve directement plongé dans l’ambiance particulière du roman de l’écrivain islandais. En ont-elles pour autant abandonné leur charte graphique ? Que nenni ! Les lecteurs habitués à la sobriété propre au classicisme de l’édition française pourront tout à fait ôter la double couverture pour retrouver la frugalité recherchée. En bref, les maisons d’édition se réinventent pour séduire une palette de lecteurs toujours plus éclectiques.
Pour finir ce petit jeu digressif mais aussi amusant que révélateur, nous terminerons sur ce célèbre proverbe anglais « Don’t judge a book by his cover » avec lequel nous sommes on ne peut plus d’accord… En bref, lisez ! Peu importe le genre, l’auteur ou la couverture du livre, continuez de lire et de nous faire partager vos coups de cœur. Vous ne ferez jamais autant vivre la littérature qu’en mettant des mots sur les sensations que les livres vous procurent… que la couverture du livre soit aguichante ou pas !
Sauf erreur de ma part, l’édition originale française de « 1984 » d’Orwell, n’est pas la couverture blanche montrée ci-dessus, car ce livre a d’abord été publié dans la collection « La Méridienne » de Gallimard avec une couverture bleue et liserés rouges en 1950 !
merci de vérifier.