Tantôt survivante des camps de la mort, symbole de la réconciliation entre les peuples, femme d’État, icône de la lutte pour le droit des femmes ou encore mère de famille, Simone Veil était une figure emblématique du 20ème siècle. En une phrase, elle forçait le respect et l’admiration. Avec sa BD Simone Veil ou la force d’une femme, Annick Cojean nous livre un portrait saisissant de cette femme courage.
Le 30 juin 2020 marquera les trois ans de la disparition de Simone Veil. Affaiblie et malade, elle s’était retirée de la vie politique depuis quelques années déjà quand un matin, l’annonce de son décès plongea la France dans une tristesse profonde. Personne, même les plus jeunes d’entre nous, n’ignorait l’existence de cette figure emblématique du paysage politique français. Mais plus qu’une femme d’État, Simone Veil était une véritable force de la nature qui imposait le respect par sa simple présence.
Si tout le monde connaît Simone Veil pour son nom ou simplement son aura, sait-on vraiment pourquoi elle est devenue une femme aussi brillante qu’admirée ? Qui se cachait derrière ses « yeux d’un vert transparent et liquide
» ? Finalement, peut-être que personne ne le sait vraiment, la femme courage symbole de la Mémoire de la Shoah emportera avec elle les horreurs que les mots ne pourront jamais décrire.
Née Simone Annie Jacob, sa vie commença pourtant de la plus douce des manières : « Il était une fois sous le soleil du Midi, à Nice, une famille sereine et unie à qui l’avenir promettait le bonheur et la paix
». Ce ne sont pas nos mots mais ceux de Jean d’Ormesson lors du discours qu’il prononça pour accueillir cette grande Dame, dans le fauteuil de Racine, à l’Académie Française, en 2010. Loin de s’apparenter à une vie ordinaire, le destin de Simone Veil ressemble tristement à une tragédie.
Mais c’est par sa force indéfectible qu’elle impressionnera la France et plus largement le monde entier. Survivante d’Auschwitz, elle emploiera son temps à essayer de réunir les peuples plutôt que de ressasser sa haine et son désespoir « Après la guerre, je n’ai plus pleuré ». Et c’est cette rage de vivre qu’admirait particulièrement Annick Cojean, journaliste pour le célèbre journal Le Monde.
La jeune journaliste et Simone Veil se rencontrent en 1993. Au fil du temps, une relation singulière mais sincère se noue entre les deux femmes. En effet, ce n’est pas pour rien qu’Annick Cojean fut celle qui signa l’émouvante tribune intitulée Simone Veil, la force d’une femme paru dans Le Monde au lendemain de sa disparition…
Annick Cojean nous livre Simone Veil entre objectivité et subjectivité
Publiée le 28 mai dernier aux éditions Steinkis, la BD Simone Veil ou la force d’une femme retrace la journée du 30 juin 2017 à travers les yeux d’Annick Cojean. Alors que sa matinée commençait comme toutes les autres, un coup de téléphone va bouleverser ses habitudes. Simone Veil vient de mourir et sa rédaction lui demande d’écrire 10 000 signes sur l’incroyable femme qu’elle était. Désemparée, la journaliste ne sait pas par où commencer…
Simone Veil, ce n’est pas un sujet comme les autres, c’est un véritable monument de notre histoire commune : « Je dois bien vous l’avouer, je vous trouvais bouleversante mais vous m’intimidiez. La seconde Guerre Mondiale, la déportation, les camps de concentration faisaient de vous un personnage de livre d’histoire. Non pas inaccessible mais forcément distant ». Comment trouver le ton juste ? Comment dénicher les mots qui sauront mêler le professionnalisme au sentimentalisme de circonstance ?
Comment ne pas se laisser emporter par le flot d’émotions que font remonter les souvenirs ? Parce que c’est finalement ce à quoi se résume la BD Simone Veil ou la force d’une femme. Du moment où Annick Cojean apprend le décès de Simone Veil, elle se replonge dans sa mémoire et, plus particulièrement, dans ces tranches de vie qu’elles ont, un jour, partagées ensemble. Les dessins d’Étienne Oburie délimitent habilement les différentes temporalités : le jaune pour le temps présent, un rose pâle pour leurs entretiens communs et un bleu pastel pour les souvenirs de Simone Veil. Le fil de la pensée d’Annick Cojean n’est peut-être pas linéaire mais le lecteur n’aura aucun mal à se repérer.
Si tous les moments phares de la vie de Simone Veil – de sa déportation à Auschwitz à son entrée à l’Académie française en passant par l’adoption de la Loi IVG – sont ici rapportés avec fidélité, Annick Cojean ne peut s’empêcher d’apporter une touche de subjectivité à ses propos. On sent poindre toute l’admiration que la journaliste avait pour cette femme. Loin du livre historique, Annick Cojean nous invite à une balade nostalgique mais poignante dans la vie d’une femme qui reste, aujourd’hui, une figure pionnière du féminisme.
BD Simone Veil : Annick Cojean dévoile la femme qui se cachait derrière la figure iconique
Plus qu’un nom historique, plus qu’un visage reconnaissable entre mille, Annick Cojean apporte une plus-value à son récit en dévoilant la femme qui se cachait derrière l’héroïne… « Elle était combative, constamment indignée, et les conversations avec elle pouvaient être heurtées et déstabilisantes. Car elle ne cédait rien. Elle portait haut une exigence de morale et d’éthique héritée de ses parents
». À travers ses différents entretiens avec Annick Cojean, on réalise que la femme qu’elle donnait à voir en public ressemblait beaucoup à celle qu’elle était en privé. Enfin presque…
Si Simone Veil a toujours été représentée comme une avant-gardiste en matière de féminisme, elle a dû se battre pour faire entendre sa voix dans une société encore très patriarcale. Saviez-vous que son mari, Antoine Veil, n’était pas particulièrement enthousiaste à la voir devenir une femme du barreau alors qu’elle venait à peine de donner naissance à leur troisième enfant ?
Pour Simone Veil, les femmes ne tenaient pas encore une place assez suffisante sur la scène politique française. Pourtant, elle croyait dur comme fer à la sororité. En effet, si une prostituée ne lui avait pas dit de mentir sur son âge à son arrivée à Auschwitz, elle n’aurait probablement pas survécu aux camps… Dès lors, ses amitiés féminines sont devenues aussi importantes que sa vie de famille.
Mais la bande dessinée se fait aussi plus intime et mélancolique en révélant ses faiblesses derrière son apparence si droite et digne. Elle portait en elle une fêlure profonde, un manque qu’elle n’arrivera pas à combler. En effet, elle ne pourra jamais se remettre de la mort de sa mère survenue à quelques jours de la libération des camps. Même les héros ont besoin de leur propre héros et celui de Simone Veil, c’était sa mère, Yvonne. Les fantômes de Simone Veil sont nombreux, ils portent le nom d’André, de Jean, de Madeleine « Milou », de Claude-Nicolas et de tous ceux qu’elle a croisés là-bas, aux frontières du réel, à Auschwitz…
Et c’est dans ces moments-là qu’elle nous apparaît plus humaine que jamais, que l’émotion se coince dans notre gorge tandis qu’Annick Cojean continue de faire défiler ses souvenirs. De la femme qui a fait adopter la loi Veil le 17 janvier 1975 à la ministre de la Santé qui fumait des cigarettes en cachette avec son amie, Gisèle Halimi, il n’y a qu’un pas.