Thomas B. Reverdy nous souffle par la puissance de son texte, par l’intelligence de Climax, construit sur plusieurs niveaux. Le roman se déploie entre nuit magique d’un autre âge et lumière crépusculaire baignant la banquise et la plateforme pétrolière qui hante les eaux, au large d’un petit village de pêcheurs en Norvège.
Un quatuor, entre mythe et réalité
Anå, Kurt, Noah et Anders étaient amis, adolescents, participant à des jeux de rôles imaginaires, bâtis sur des lancers de dés chatoyants aux faces multiples qui, pourtant, menaient chacune à la fin du monde, Ragnarök mythique des histoires scandinaves. Noah est parti, loin, ingénieur au succès fulgurant, spécialiste de ces monstres de métal qui puisent la sève de la Terre, l’arcoil si pur et courtisé, mais les autres sont restés. Anå vit dans le présent, avec ses deux fils, voilant ses souvenirs d’un drap qu’elle s’efforce de ne jamais soulever, oubliant les promesses brisées et la douceur de la vie pourtant glaciale de ses jeunes années. Anders est perdu dans la nature, dans la montagne, erre avec ses outils de mesure, écrit sur la faune vouée à disparaître, sans climax en vue cette fois pour rééquilibrer le déséquilibre provoqué par les hommes. Quant à Knut, il hante une vieille église dans les bois, entouré de sa meute de chiens guerriers.
Lorsqu’un kick fait mourir plusieurs ouvriers sur Sigurd, la plateforme off-shore que les habitants ont pris l’habitude de voir depuis la berge, Noah revient après des années, comme un symbole de ce qui va advenir, mauvais présage à relier aux mythes nordiques.
Une fin du monde annoncée – Ragnarök crépusculaire
Les chapitres s’alternent, donnant au roman un rythme particulier. Les jours passent lentement, passé parfois futur et futur parfois passé, perçus par chacun des quatre héros. Jalonnant cette chronologie instable, des chapitres comme extraits des « livres dont vous êtes le héros », ancrés dans un monde de fantasy, celui de Thor et d’Odin, des dieux vikings, des dragons et des elfes, de Fáfnir le nain maudit et de Fenrir, le loup mortel. Les parallèles sont aisés à tracer, les doubles des protagonistes ayant les mêmes traits de caractère, caricatures avisées. Nous voilà projetés dans les légendes où évoluaient les personnages, alors adolescents, à grand renfort de cartes et de coups de dés. Ces parenthèses magiques donnent une matière plus intangible au récit principal, tout en le rendant plus concret. L’histoire légendaire ainsi conçue devient une parabole, met en scène ce qui va advenir en créant une distance salutaire mais facilement abrogeable.
Avec Climax, un roman paru lors de la rentrée littéraire 2021, Thomas B. Reverdy fait éclore une atmosphère de banquise et d’aubes crépusculaires, de nuits sans fin et de jours sans soleil, la poésie de la lumière nordique imprégnant chacune de ses pages. Il signe un roman écologique sans pareil, étoile filante, fourmillant de détails, unifiant des aspects dichotomiques du monde pour souligner nos manquements, en faisant ainsi naître une œuvre harmonieuse et sublime – dans tous les sens du terme.