Vous n’avez plus aucun doute… Vous êtes désormais persuadés que votre voisine est une sorcière ! Mais peut-être ne savez-vous pas comment faire pour la démasquer… Pas de panique, l’adaptation en bande dessinée de Sacrées Sorcières de Roald Dahl par Pénélope Bagieu vous dévoilera les secrets pour les percer à jour. Alors pas trop effrayés ? Prêts pour votre première leçon sur les sorcières ?
Les apparences sont souvent trompeuses… En effet, aujourd’hui, les vraies sorcières ne sont plus vêtues de vieux lambeaux noirs. Non ! Elles sont plus intelligentes que vous ne le croyez et dissimulent leurs vrais visages derrière des perruques et du maquillage… Mais alors comment les reconnaître ? Impossible, dîtes-vous ? Pas selon les grands-mères imaginées par Roald Dahl et Pénélope Bagieu « Je vais t’apprendre à les reconnaître ! Je suis une experte ! ».
Paru aux éditions Gallimard jeunesse le 29 janvier dernier, l’adaptation en bande dessinée de Sacrées Sorcières de Roald Dahl par Pénélope Bagieu n’est pas passée inaperçue. L’histoire imaginée par l’auteur britannique en 1983 semble avoir encore de beaux jours devant elle. Mais alors que vaut cette relecture en bande dessinée ? Parce qu’il faut le dire, il fallait quand même être sacrément « culottée » pour oser s’attaquer à l’un des auteurs de littérature jeunesse les plus éminents du 20ème siècle… Mais fidèle, drôle, parfois effrayante mais moderne et touchante, on peut dire que la BD de Pénélope Bagieu est une belle réussite !
Si la version de Sacrées Sorcières par Pénélope Bagieu est aussi remarquable, c’est sûrement parce que la dessinatrice entretient une histoire particulière avec le roman de Roald Dahl… Elle a huit ans quand elle ouvre le livre pour la première fois et certains passages la terrifient. Cependant, une chose l’étonne ! Roald Dahl ne lui parle pas comme à une petite fille mais presque comme à une adulte. L’auteur britannique ne joue pas sur sa crédulité enfantine pour lui faire avaler le mythe des contes de fées…
Soyons honnêtes, à huit ans, on a compris depuis longtemps que les princes charmants, les princesses et les citrouilles, ça n’existait pas ! Mais Roald Dahl est aussi rusé qu’un vieux renard… Il attise la peur autant que la curiosité des enfants en leur promettant de leur apprendre à déceler les vraies sorcières des fausses… Et ce n’est pas Pénélope Bagieu qui dira le contraire : « Ce qui fait la force des histoires de Roald Dahl, c’est qu’elles ne respectent pas le code des livres pour enfants. Les méchants y sont vraiment méchants, parfois ça finit mal…il y a des enjeux réels
».
Sacrées Sorcières : une adaptation en bande-dessinée aussi fidèle que désopilante
Nombreux sont les romans de Roald Dahl à avoir été adaptés au fil des années – impossible d’être passé à côté du film réalisé par Tim Burton et directement inspiré de son livre Charlie et la chocolaterie – mais, avec Sacrées Sorcières, c’est bien la première fois que l’une de ses œuvres se retrouve adaptée en bande dessinée ! Et c’est à la demande de la Roald Dahl story company (qui gère l’héritage culturel de l’auteur) que Pénélope Bagieu s’est retrouvée à passer sous son crayon l’histoire préférée de son enfance.
Si la dessinatrice voulait créer quelque chose de différent par rapport au roman d’origine, y apporter quelque chose de personnel, elle reste néanmoins très fidèle au ton de Roald Dahl. Mais là où elle arrive à complètement s’approprier l’histoire, c’est dans sa manière de travailler les personnages. Par exemple, si Roald Dahl s’inspire de sa grand-mère pour créer celle de son roman, Pénélope Bagieu prend la liberté de parler de la sienne. Et c’est ainsi que naissait cette grand-mère loufoque aux cheveux violets !
La dessinatrice en est persuadée, c’est en donnant une partie d’elle-même à ses personnages qu’elle les rend d’autant plus attachants. Et on doit bien avouer que cette mamie, qui est loin d’avoir sa langue dans sa poche, aura su nous arracher quelques fous rires au travers de ses répliques aussi franches que piquantes « C’est juste un règlement débile inventé par cet hôtel débile » et nous donner quelques frayeurs quand sa toux se faisait trop insistante « Mais enfin qu’est-ce que c’est que ces âneries ?? Je ne tousse pas à cause des cigares ». Et même si elle se veut indifférente, on sent bien l’inquiétude poindre sur le visage et dans la voix de son petit-fils.
Cependant, même si Pénélope Bagieu s’approprie les personnages pour les faire renaître sous une plume teintée de son histoire personnelle, le récit de Roald Dahl reste inchangé. En effet, nous retrouvons notre petit garçon et sa Mamie en plein cœur d’une chasse aux sorcières ! Mais attention, pas une chasse aux sorcières d’Halloween ! Soyons sérieux, ici, il est question de sorcières plus vraies que nature… Mais pas de panique, notre grand-mère pas comme les autres en connaît un rayon sur les sorcières… Par exemple, saviez-vous que « La chose essentielle à savoir à propos des sorcières, c’est que ce ne sont pas des femmes. Mais qu’elles ont l’apparence de n’importe quelle femme » ? Non ? Alors ne tardez pas à mettre vos enfants dans la confidence, cette information pourrait leur éviter bien des ennuis…
Pourquoi ? Parce que les sorcières abhorrent les enfants… « Les enfants sont répugnants !! répugnants ! Ils puent ! Ils empestent ! ils sentent le caca de chien ! Pire encore ! le caca de chien sent la violette comparé à l’odeur d’un gosse ! rien que d’y penser j’ai envie de vomir ! ». La grandissime sorcière n’a alors qu’une obsession : « Il faut les écrabouiller ! Les pulvériser ! ». Mais ce qu’elle n’avait pas prévu, c’est qu’un petit garçon vienne se mêler de ce qui ne le regardait pas. Arrivera-t-il à déjouer les plans de la magnanime et terrifiante sorcière ?
Pénélope Bagieu dessine une interprétation moderne et féministe du roman de Roald Dahl
Malgré sa fidèle représentation de Sacrées Sorcières de Roald Dahl, Pénélope Bagieu dote ses personnages de valeurs qui lui tiennent à cœur. Après sa série d’albums intitulée Les Culottées, celle qui se revendique comme féministe n’a pas pu s’empêcher d’apporter une touche contemporaine au roman de l’auteur. Mais ne prenez surtout pas peur ! Si la dessinatrice reste franche, c’est de manière subtile qu’elle intercale une once de modernité au roman d’origine. Mais, après tout, cela semble logique, non ? Nous ne sommes plus dans les années 80 et les enfants d’alors ne sont plus les enfants d’aujourd’hui. Mais si les enfants ont évolué, ils ne sont pas les seuls…
Eh oui, nous en revenons encore à la grand-mère ! Mais comment passer à côté ? Pénélope Bagieu, elle-même, a déclaré que finalement, plus que son petit-fils, elle était le personnage principal de sa BD. Et c’est vrai que cette mamie, malgré son âge – attention sujet sensible pour notre grand-mère hyperactive… – est « vraiment une force de la nature ». Et finalement, elle incarne une figure de sorcière moderne par son indépendance, sa force et son goût prononcé pour la transgression « Par exemple, toi, on t’aurait traitée de sorcière, tu penses ? ». Cette grand-mère casse complètement les codes du conformisme et, au travers de l’éducation qu’elle prodigue à son petit-fils, elle nous apprend à nous méfier des apparences trompeuses… Et hop, l’air de rien, Pénélope Bagieu nous donne une belle leçon sur l’importance de garder l’esprit ouvert. Brillant !
Mais la relecture de Pénélope Bagieu passe également par l’invention d’un nouveau personnage… Mais que les lecteurs du romancier britannique ne s’offusquent pas ! Encore une fois, la dessinatrice modernise l’histoire originale de manière subtile si bien que cela ne change pas le cours de la trame du récit. Si dans le roman, le petit garçon devenu souriceau trouve en Bruno un allié de choix, ici, c’est avec une petite fille « Elle est futée ta copine » qu’il va devoir faire équipe « C’est pas ma copine ! » dans la bande dessinée. C’est donc un duo mixte qui va unir ses forces pour déjouer le plan des sorcières. Ils ne se laisseront pas faire, hors de question que tous les enfants du monde soient transformés en souris. Vous voyez ? Il est tout à fait possible de faire voler en éclats tous les clichés sans changer fondamentalement le fond de l’histoire de Roald Dahl.
En bref, la BD de Pénélope Bagieu nous replonge dans l’univers fantastique – et terrifiant, avouons-le – de Roald Dahl tout en apportant une touche novatrice au récit sans pour autant en altérer l’aura qui a construit tout le charme de l’œuvre du romancier britannique. Et si vous n’avez pas encore envie de quitter le monde fascinant et effrayant des sorcières, sachez qu’une adaptation cinématographique de Sacrées Sorcières est paru en octobre 2020…
Mais qui est Pénélope Bagieu ?
Comment Pénélope Bagieu est-elle devenue celle qui a eu la chance d’adapter le célèbre roman de Roald Dahl en bande dessinée ? Eh bien, tout simplement en commençant par écrire un blog. Tout commence avec Ma vie est tout à fait fascinante, un blog où elle exposait, sous forme de dessins humoristiques, des petites tranches de vie. Mais c’est en 2008, quand sort le premier tome de la BD Joséphine, qu’elle connaît un succès auprès du grand public. Cette gaffeuse, propre artisane de son malheur, ne tarde à pas à séduire les lecteurs. Vous l’aurez compris, passer une demi-heure avec Joséphine, c’est s’assurer de retrouver le sourire. En faisant la part belle aux petits moments cocasses de la vie, Pénélope Bagieu a créé une héroïne dans laquelle tous les lecteurs peuvent se reconnaître. En bref, la trentenaire expose tous les petits riens qui font les grands maux de l’existence… et c’est tout simplement truculent !
Puis, en 2016, c’est la consécration. Le premier tome de Culottées paraît en librairie et tout bascule une nouvelle fois pour la jeune dessinatrice… En brossant le portrait de femmes aux destins exceptionnels, elle remet sur le devant de la scène des héroïnes oubliées par la postérité. Tout cela dans le but de nous rappeler, subtilement ou pas, que nous sommes encore loin d’une parfaite égalité entre les hommes et les femmes… Cependant, c’est sans jamais se départir de son humour, que Pénélope Bagieu dépeint avec finesse le portrait de quinze femmes, combattantes hors normes, qui ont décidé, contre vents et marées, de mener la vie de leur choix sans jamais plier à la pression sociale de leur époque. En bref, une bande dessinée… culottée !