Et si on relisait tous les mythes, contes et légendes qui ont peuplé notre enfance à la sauce féministe ? Qu’est-ce que ça donnerait ? Eh bien tout simplement une BD féministe, Mythes et Meufs, aussi drôle qu’incisive qui rend enfin justice aux figures féminines dont les actes ont souvent été interprétés sous le prisme d’une société patriarcale…
Publié aux éditions Dargaud le 15 avril dernier, dans la collection Mâtin quel journal (une revue quotidienne à l’origine digitale et disponible sur Instagram), Mythe et Meufs, une BD de Blanche Sabbah, s’emploie à réhabiliter quelques figures féminines des légendes qui ont nourri notre imaginaire enfantin en nous donnant à les (re)découvrir comme jamais nous ne les aurions envisagées… En effet, conditionnés par les injonctions patriarcales qui ont biaisé notre raisonnement, nous avons accepté, sans vraiment en avoir conscience, le sexisme ambiant qui s’en dégageait.
À la manière de Pénélope Bagieu ou encore de Laure de Chantal dans Libre comme une déesse grecque, Blanche Sabbah rend hommage aux héroïnes bafouées qui ont, malgré elles, alimenté une image stéréotypée de la femme : la marâtre jalouse, la pècheresse, la femme fatale, la sorcière ou encore l’ingénue « dans ces récits comme dans notre réalité, les femmes doivent se transformer et s’adapter pour échapper à l’envahissant intérêt des hommes plutôt que d’exiger d’eux qu’ils calment leurs ardeurs ». Et il était grand temps que quelqu’un s’y attelle ! Après tout, les mythes fondateurs n’ont-ils pas tous été écrits par des hommes ?
Mythes et Meufs : une BD féministe qui réhabilite la voix des femmes issues de notre tendre enfance
Afin de démonter quelques légendes urbaines (et autres contes pour enfants) mettant en scène des héroïnes féminines, réelles ou fictives, déformées par l’emprise de la société masculine, cette nouveauté BD 2022 brosse le portrait de divinités, personnages de dessins animés ou actrices bibliques qui inspirent toujours les combats féministes d’aujourd’hui. En effet, nombreux sont les mouvements féministes à faire de ces femmes ancestrales des exemples pour tenter d’obtenir l’égalité des droits entre les hommes et les femmes.
De la terrifiante Lilith à l’émouvante Tristesse (héroïne du film d’animation Vice-Versa) en passant par la courageuse Jeanne d’Arc, Blanche Sabbah décortique les histoires de ces femmes, avec beaucoup d’humour et de facéties, afin de révéler leur sens caché. Des légendes modelées par la gent masculine qui ont perpétué dans nos sociétés actuelles des lois bien souvent imaginées par et pour les hommes. Mais loin de faire de Mythes et Meufs une BD qui tend à la victimisation, l’autrice cherche, avant tout, à mettre en avant la force de ces femmes… et on peut vous dire que c’est une réussite !
Si « tous les contes, finalement, sont des rites de passage qui guident les enfants hors des sentiers tortueux de l’adolescence et vers leur épanouissement », il s’agit de bien les interpréter. Et nul besoin d’une longue analyse pour cela ! En choisissant une approche ludique, mais instructive, Mythes et Meufs mêle habilement ses illustrations désopilantes à une partie textuelle documentaire qui rend son message facilement compréhensible par tous les lecteurs… novices ou avertis.
Une réécriture humoristique et pédagogique des mythes fondateurs
En plongeant de manière analytique et méthodique dans les mythes, Blanche Sabbah révèle leur odieuse vérité… et le tout, sans jamais se départir de son humour ! Une approche originale, mais efficace, qui nous invite à regarder les textes fondateurs avec un œil nouveau. Des textes dont les messages premiers – souvent machistes – divergent souvent de l’analyse que l’on peut en faire aujourd’hui… Prenons Lilith, par exemple, la femme fatale et débridée qui incarne le diable, parce qu’insoumise. En refusant d’obéir à Dieu et Adam, elle devient la représentation de la femme dissidente qui refuse le joug de son père, puis de son mari. Dans les années 70, elle deviendra même une icône féministe, le « modèle anti-patriarcal refusant absolument le système d’oppression des femmes ».
Et, encore aujourd’hui, malgré tous les mouvements féministes qui fleurissent à travers le monde, toute femme sait qu’être belle et se taire est encore une norme que la société leur impose insidieusement. Il suffit de s’intéresser à l’histoire de Méduse pour avoir un exemple flagrant… Si vous l’ignoriez, au départ, Méduse était une très belle femme qui, victime de la colère d’Athéna, devient « incapable de susciter le désir chez les hommes ». Mais est-ce vraiment une punition ? Et si Athéna avait finalement cherché à la protéger ? En effet, « si l’on y réfléchit bien, Méduse est le parfait exemple d’une histoire volée : le corps violé, privé de désir, le pouvoir usurpé par un homme ». Un destin usurpé par la violence masculine dans lequel nombre de femmes se reconnaissent aujourd’hui.
Et Méduse est loin d’être la seule à avoir dû « se transformer pour échapper à l’envahissant intérêt des hommes plutôt que d’exiger d’eux qu’ils calment leurs ardeurs ». Daphné en est également un exemple criant… Touché par une flèche d’Éros, Apollon devient fou de désir pour la nymphe et, dès lors, il ne va cesser de la poursuivre afin de la faire céder. Spoiler : ça ne fonctionnera pas. Cependant, pour lui échapper, elle devra tout sacrifier en abandonnant son apparence humaine pour se transformant en laurier. Mais savez ce qui est le plus ironique dans tout cela ? Eh bien… le fait qu’on admire, encore aujourd’hui, dans les musées, des statuts d’Appolon en train de « ravir » (pourquoi utiliser le terme « violer » n’est-il pas ?) la jeune femme.
Les exemples sont encore nombreux dans Mythes et Meufs et certains sont particulièrement intéressants parce qu’ils opposent, souvent, les versions originales aux versions adaptées pour la jeunesse. On pense notamment à La petite sirène… Et si la version Disney était finalement plus sexiste que la version originale de Hans Christian Andersen ?
Une BD féministe qui reprend l’exemple de la sorcière comme figure iconique
Là où la bande dessinée Mythes et Meufs se fait particulièrement intéressante, c’est dans son analyse de la figure des sorcières dans la mythologie ou dans les films d’animation. En effet, ce n’est plus un secret, les sorcières sont revenues sur le devant de la scène grâce aux différents mouvements féministes. Porteuse d’un pouvoir dont les hommes sont dépourvus, elles fascinent autant qu’elles effraient… Et si les méchantes sorcières n’étaient pas aussi diaboliques qu’on veut bien le faire croire aux petites filles ? Et si elles étaient seulement victimes des diktats imposés par une société patriarcale ?
Prenons l’exemple de la méchante reine dans Blanche-Neige, voulez-vous ? En plus d’incarner la sorcière marâtre de la jeune fille encore innocente et naïve qu’est l’héroïne, la méchante Reine n’est finalement rien d’autre que la personnification de la « femme, veuve et vieille » qui se « transforme en sorcière maléfique ». Et in fine, elle en deviendrait presque touchante ! En effet, la méchante reine n’est rien d’autre qu’une femme obnubilée par la peur de vieillir. Condamnée au jugement du miroir (allégorie masculine du regard de l’homme… comme par hasard !), elle est la manifestation d’une société qui tourne en ridicule la sexualité des femmes passé un certain âge. Au moment où Blanche-Neige atteint l’âge adulte – autrement dit celui d’avoir une vie sexuelle – sa belle-mère arrive à sa « date de péremption ». Mais attendez… La sexualité des femmes qui ont passé la quarantaine n’est-elle pas encore un sujet tabou dans nos conversations actuelles ? Il semblerait bien que les clichés aient la vie dure…
Dans ce contexte précis, les marraines les bonnes fées perdent de leur superbe. Bien qu’elles n’incarnent plus la vieillesse comme une ennemie impardonnable, elles ne sont rien de moins qu’un cliché patriarcal. Inondant de lumière l’atmosphère à leur arrivée pour renverser le cours de l’histoire tenue d’une main de fer par les reines drapées de noir, les bonnes fées ne rien de moins qu’un « idéal de pureté ». Mais… minute papillon ! Que cela dit-il vraiment de la définition de la féminité ? De l’essence de la femme ? Sommes-nous condamnées à n’être que bonnes ou mauvaises ? Hérité du modèle chrétien, la femme oscille toujours entre le bien et le mal, mais Blanche Sabbah nous rappelle que « réduire les femmes ces deux extrémités revient, que ce soit dans un sens ou dans l’autre, à les caricaturer, à les essentialiser et à gommer leur complexité ». Le chemin semble encore long, n’est-il pas ?
Alors, bien sûr, aujourd’hui, le miroir n’existe plus… mais il a été – subtilement ou non – remplacé par l’écran de nos smartphones. Blanche Sabbah opère d’ailleurs une transition intéressante en choisissant de parler d’une héroïne très actuelle afin d’ancrer son propos dans sociétés actuelles. Avec Tristesse qui est dépeinte comme une rabat-joie au contraire de Joy qui est « persuadée d’être vitale », on entre dans une course effrénée au bonheur… vide de sens. En opérant un parallèle judicieux avec les réseaux sociaux, qui ne sont que vitrines de nos vies, le film d’animation critique subtilement l’injonction au bonheur qui nous impose de toujours faire bonne figure en oubliant toute forme d’empathie.
Vous l’aurez compris, qu’ils s’agissent de mythes anciens ou de contes modernes, Mythes et Meufs de Blanche Sabbah nous rappelle l’importance de relire tous les grands mythes avec un point de vue féminin. Avec une approche originale, parfois burlesque, cette bande dessinée dépoussière avec brio les textes fondateurs pour s’ancrer dans un combat engagé actuel.
Enrichie de nombreux conseils culturels et littéraires, la BD Mythes et Meufs vous apprendra à vous méfier des apparences pour mieux comprendre la réalité de mythes dont l’influence n’a pas encore fini de régir nos vies…
Bel article. Il était temps de donner un nouveau sens à certains contes qui devenaient un peu trop inadaptés à notre société contemporaine. Je dis bravo l’artiste.