Dans une langue caméléonesque qui épouse les ambivalences marocaines, Abigail Assor dit l’âpreté de la vie à Casablanca, les injures et la rudesse de la langue, les cris et le bruit, l’odeur de la mer camouflée par celle du sang de l’Aïd, les épiceries miteuses où fourmillent les cafards, la hiérarchie sociale…
Sarah est une croqueuse de diamants rêveuse. Elle ne veut pas de cette existence miséreuse, accolée au bidonville où vit Abdellah, son petit voisin. Elle refuse le bus bondé, les sandwichs infâmes au thon et à la tomate de Moustache, les habits démodés. Alors elle charme, elle séduit, sourit, embrasse pour les cadeaux. Un walkman, des jeans, une casquette, des courses en taxi, des jus, des parts de pizza et des palais. Dans ses fantasmes, l’or miroite, se reflète à la surface d’une piscine immense, les bonnes accourent, les Rolex scintillent, des bagues en émeraude enserrent ses doigts.
Abigail Assor dépeint la domination comme principe
Alors quand elle rencontre Driss, un prince aussi riche que le roi, l’héritier d’un empire, sa laideur est éclipsée par la promesse de la douceur, de l’indolence et du plaisir, par ses yeux couleur de thym. Sarah intrigue, se faufile dans un monde qui n’est pas le sien, agile, devient aussi caméléonesque que le style d’Abigail Assor. Lalla Sarah n’a jamais aussi bien porté son surnom de reine. Les demeures majestueuses, les haies d’hibiscus, le marbre des salles de bain, le maquillage de luxe, les bijoux et les voitures étincelantes ont remplacé les rues de poussière où elle déambulait, où elle courait pour échapper à un regard inquisiteur.
Au Maroc, en 1994, les filles doivent être couvertes et soumises, même les Françaises, et encore plus les Françaises à la peau de terre cuite, comme l’héroïne. Mais des lois bien sombres régissent même la vie des châtelains. Les femmes sont frappées, les servantes violées, les enfants enfermés dans des donjons d’argent où bientôt la saveur sucrée du quotidien doré sera remplacée par les querelles et les mariages, les obligations et les principes intransigeants édictés par les parents.
Aussi riche que le roi : un joyau brut
Ce récit d’apprentissage a la fulgurance des premières fois, l’éclat aveuglant du soleil sur les vagues agressives de Casablanca et l’âpreté des effluves qui imprègnent l’air – la crasse et le fer du sang, la fumée d’échappement et celle qui s’élève en volute des joints, l’iode et le Giorgio Armani des garçons. Perdu parmi les autres romans parus pendant la rentrée littéraire de janvier 2021, ce diamant brut diffuse pourtant une lumière ténébreuse et hypnotique.