Annie Ernaux, prix Nobel de littérature

C’est ce jeudi 6 octobre que le verdict est tombé… Annie Ernaux est désormais la première femme française à avoir reçu le prestigieux prix Nobel de littérature. Une récompense qui salue l’ensemble de sa carrière marquée par une œuvre universelle et intime qui brosse le portrait de la femme des années après-guerre jusqu’à aujourd’hui.

annie ernaux

Bien qu’elle figurât parmi les favoris – tout comme l’an passé – rien n’était encore joué. Pourtant, cette année était la bonne ! Arnie Ernaux est désormais lauréate du prestigieux prix Nobel de littérature 2022. Un prix littéraire mérité qui salue l’ensemble d’une carrière marquée par la condition de la femme au fil du temps. En effet, au sein de ses livres, Annie Ernaux joue avec le genre autobiographique – sans jamais le nommer comme tel – pour tenter d’écrire une universalité de l’intime.

Qui est Annie Ernaux ?

Annie Ernaux est née le 1er septembre 1940, en Normandie, au sein d’une famille ouvrière populaire. Après une enfance modeste, elle fait ses études à l’université de Rouen, puis de Bordeaux. D’abord professeure certifiée, puis agrégée de lettres modernes, elle enseignera dans plusieurs lycées de Haute-Savoie avant de s’établir avec sa famille à Pontoise et de se lancer dans l’écriture. Un projet qui se concrétisera en 1974 avec la publication de Les armoires vides aux éditions Gallimard.

Mais c’est en 1984 que sa carrière littéraire prendra un tournant décisif. Lauréate du prix Renaudot avec La place, elle affirme le caractère autobiographique de ses textes. Autrice engagée dans la lutte ouvrière et pour la condition des femmes, elle affirme son autorité littéraire en s’inspirant de ses expériences personnelles pour toucher ses lecteurs. Pour cela, elle s’amuse à déplier des modèles littéraires, sociaux, politiques, sexuels, sans jamais les réduire à une norme collective.

Annie Ernaux est sûrement l’une des autrices féministes qui aura eu le plus d’impact sur son époque en exprimant une dialectique existentielle née de ses origines ouvrières et de sa passion pour la littérature. Son dessein ? Inverser l’attitude hégémonique de l’homme afin de renouveler le statut de la femme dans la société française. C’est pourquoi elle n’hésitera jamais à sombrer dans le réaliste morbide pour décrire la réalité telle qu’elle est vécue par nombre de femmes… Elle ne cachera jamais rien, s’attirera les foudres de certains critiques, mais force est de constater que, près de 50 ans après la publication de son premier livre, Annie Ernaux est toujours là. Aujourd’hui étudiée sur les blancs de l’école, Annie Ernaux s’est inscrite, au fil du temps, comme une figure majeure de la littérature française contemporaine.

Annie Ernaux, prix Nobel de littérature

Première autrice française à recevoir le prix Nobel de littérature, Annie Ernaux est probablement ce que l’on peut appeler une féministe avant l’heure, même si jamais elle n’en fera son branle-bas de combat. Pour Annie Ernaux, l’essence de son écriture est ailleurs. Pourtant, nombreux sont ceux à avoir remarqué que la date de remise du prix Nobel de littérature 2022 coïncidait étrangement avec la date anniversaire du mouvement #metoo. Réelle coïncidence ? Difficile à dire avec certitude.

Il n’empêche que cette consécration reste une petite révolution dans le monde très masculin de l’Académie Nobel. En effet, sous le feu des projecteurs depuis quelques années, les académiciens ont sûrement cherché à faire taire les critiques formulées à son encontre quant à son manque de diversité dans le choix de ses lauréats. En effet, à ce jour, seules 17 femmes ont été récompensées par le prix Nobel de littérature contre 101 hommes. Notons, cependant, que depuis quelques années, l’Académie Nobel veille à alterner les prix féminins et les prix masculins. Depuis 2018, Olga Tokarczuk et Louise Glück ont respectivement reçu le prix Nobel de littérature pour l’ensemble de leur carrière.

Et c’est désormais autour d’Annie Ernaux qui voit sa reconnaissance littéraire s’étendre un peu plus. Lors de la remise du prix, l’académicien Anders Olsson déclara que « quand elle met au jour, avec courage et acuité clinique, les contradictions de l’expérience sociale, décrivant la honte, l’humiliation, la jalousie ou l’incapacité à voir qui l’ont est, elle accomplit quelque chose d’admirable et qui s’inscrit dans la durée ». Et quand on voit la radiographie intime et rebelle de la femme qu’elle laisse derrière elle, on sait d’ores et déjà que le nom d’Annie Ernaux restera inscrit dans le panthéon de la littérature.

Les 5 livres à lire absolument pour entrer dans l’œuvre d’Annie Ernaux

Vous n’avez encore jamais lu Annie Ernaux ? Vous avez besoin d’aide pour savoir lequel de ses livres lire en premier ? Voici 5 conseils de lecture pour entrer facilement dans l’œuvre autobiographique de cette figure littéraire féministe issue d’un milieu modeste.

La femme gelée d’Annie Ernaux (1981)

Vous vous demandez encore pourquoi Annie Ernaux est une femme gelée ? La réponse se trouve justement dans son titre éponyme. La femme gelée, c’est l’histoire des aspirations innocentes de l’enfance pour l’aventure et la curiosité, le récit des élans fougueux de l’adolescence qui seront brisés une fois la femme mariée et rangée. L’homme travaille et la femme se doit de tenir une maison propre, de cuisiner de bons petits plats et d’élever des enfants calmes. De par sa condition féminine, Annie Ernaux est une femme gelée.

Mais si Annie Ernaux nous raconte ses souvenirs d’enfance et ceux de sa vie de jeune mariée, ce n’est pas pour évoquer des moments heureux… mais plutôt pour montrer pourquoi elle a fait de sa vie, un combat pour l’égalité entre les hommes et les femmes. Avec un style direct, qui jamais ne fait aucun détour, elle met en garde toute une génération de jeunes femmes face à la domination masculine. En leur rappelant de ne jamais céder leur idéal de liberté, elle les prévient de la maladie de la femme gelée… Une monographie sociale et maritale à méditer !

La place d’Annie Ernaux (1983)

Avec La place, c’est la vie de son père qu’Annie Ernaux décortique avec minutie. Issu d’un milieu dans lequel on est obsédé par le devoir de tenir son rang, sa place, son père – à travers le regard de sa fille adulte – nous décrit la mémoire d’une époque. Écrit avec une apparente simplicité de langage, Annie Ernaux donne une intensité remarquable à ce témoignage déguisé, mais sincère. Et c’est probablement pourquoi ce livre pourtant personnel est un plaidoyer universel.

Encore une fois, Annie Ernaux ne mache pas ses mots pour décrire la honte – qui flirte sans vergogne avec le mépris – à se souvenir d’où elle vient, de ses origines sociales modestes. Elle raconte, avec émotions, la fierté de son père à la voir s’élever dans la société tandis qu’elle lui échappe. Désormais, ils n’appartiennent plus au même monde… C’est tout juste s’ils parlent encore la même langue. Et c’est là, comme ça, à travers des bribes du quotidien, des mots, des lieux, des objets… qu’Annie Ernaux signe un texte émouvant pour parler de notre « place » au sein de la famille et de la société.

Passion simple d’Annie Ernaux (1992)

Chronique passionnelle, Passion simple est l’analyse de l’obsession fanatique d’Annie Ernaux pour un homme. Sans jugement moral, elle développe une réflexion sur le sexe. Mais entendons-nous bien, le sexe cru et passionnel. En bref, le sexe d’un homme entrant dans celui de la femme. Mais Passion simple, c’est avant une introspection. Celle d’une femme qui réfléchit à la question de l’amour inconditionnel non partagé.

Autrement dit, ce livre est l’histoire d’une attente. L’attente d’un coup de téléphone, l’attente d’une visite, l’attente d’une once de considération. Entre 1989 et 1990, l’héroïne ne vivra que dans l’expectative. Victime d’une passion démesurée pour un homme qui ne lui rend pas et qui finira par la quitter pour rentre chez lui, l’autrice vit cette séparation comme une déchirure insurmontable. Mais ce qu’elle a appris avec le temps, c’est que toutes les blessures finissent un jour par guérir, l’heure est au bilan. Et de ce bilan naîtra la chronique intime d’un état passionnel – presque possédé.

L’événement d’Annie Ernaux (2000)

Après l’amour, la passion, le mariage, c’est ici sur son avortement clandestin qu’Annie Ernaux revient. Nous sommes alors en 1964 et la loi Veil est encore loin d’être votée. Pour l’autrice, alors encore étudiante, c’est la fin des illusions. S’en suit un long combat marqué par le rejet, les regards réprobateurs, l’incompréhension et la cruauté. Pourtant, à l’époque, Annie Ernaux vivra cet avortement comme une libération. Les jours qui suivent seront beaucoup plus douloureux…

Vous l’aurez compris, avec L’événement, Annie Ernaux s’affranchit d’un lourd fardeau, mais cela s’est fait à force de sacrifices. Pour écrire ces mots, il aura fallu s’élever au-delà des préjugés et des croyances. Mais cette expérience lui aura permis de mieux s’affirmer dans la lutte pour l’avortement. Un droit de la femme controversé, un pouvoir de vie et de mort contesté, symbole de la peur des hommes qui désirent asseoir leur domination masculine encore et toujours. C’est probablement ce qui fait que ce droit est, encore aujourd’hui, menacé.

Le jeune homme d’Annie Ernaux (2022)

Le dernier livre d’Annie Ernaux n’est rien de moins qu’un voyage dans le temps. Le temps d’une liaison avec un homme de trente ans de moins qu’elle, elle nous décrit la passion scandaleuse retrouvée de sa jeunesse. Devant l’inconvenance sociale de cette liaison, elle redevient celle qu’elle était : une jeune femme fière de ses origines et de sa classe sociale.

Plus encore qu’une réflexion sur le temps qui passe et la maturité, Le jeune homme se veut un récit qui révèle ce qu’on ne dit pas… par convenance, par principe. En quelques mots qui dérangent, elle pointe les mesquineries et les ignorances d’une société qui construisent les barrières séparant les différentes classes sociales d’une société. Bien que bref, elle raconte comme cet amour éphémère l’a remise sur le chemin de l’écriture.

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