Insaisissables, Marcel Proust et ses œuvres continuent de fasciner les lecteurs du monde entier. D’apparence inoffensive, cet écrivain célèbre cachait un caractère inconstant. Et si le sens de ses mots nous échappe encore parfois aujourd’hui, nous avons réussi à percer quelques-uns de ses secrets…
Né le 10 juillet 1871 à Paris, Marcel Proust est l’un des écrivains français les plus célèbres du monde. Et non, nous n’exagérons pas le moins du monde. Nous sommes sûrs que les expatriés français pourront témoigner de sa réputation qui dépasse allègrement les frontières de l’Hexagone. En revanche, anecdote amusante, si beaucoup d’étrangers vous confirmeront connaître l’écrivain, nombre d’entre eux finiront par vous avouer qu’ils n’ont jamais lu À la recherche du temps perdu… Mais peut-on vraiment leur en vouloir ?
Lire La recherche du temps perdu, c’est se lancer dans une lecture colossale. Mais saviez-vous qu’elle n’aurait probablement jamais vu le jour sans plusieurs facteurs qui ont bouleversé la vie du jeune Marcel Proust ? Source inépuisable de réflexion sur le temps qui passe, l’œuvre de Proust est née de sa relation fusionnelle avec sa mère. Quand elle disparaît, tout s’écroule pour le jeune homme qu’il était. Pourtant, immuable, le temps ne cessera de s’écouler sans que jamais il ne puisse le saisir à nouveau…
Pour marquer le 150ème anniversaire de sa naissance, nous avons décidé de mener l’enquête afin de percer à jour cet illustre personnage de la littérature française. Prêts à découvrir quelques anecdotes littéraires croustillantes ?
Le premier livre de Marcel Proust est tombé aux oubliettes
Au contraire de ce que beaucoup sembler penser, Du côté de chez Swann n’est pas le premier livre écrit par Proust. Bien avant cela, en 1896 pour être précis, il publiait Les plaisirs et les jours, un recueil de poème en prose et de nouvelles. Mais si ce titre du célèbre écrivain est tombé aux oubliettes, il y a une raison précise… Et si on vous disait que Marcel Proust en avait un peu honte, vous nous croiriez ?
On raconte que, tandis qu’il rédigeait À La recherche du temps perdu, il mit tout en œuvre pour empêcher la réimpression de son premier ouvrage. Pourquoi ? Peut-être que, parce que si on lit entre les lignes, on peut y déceler la structure – imparfaite, certes – de son œuvre magistrale de La recherche du temps perdu ? Ou peut-être est-ce parce qu’il cherchait à tout prix à se délester de la réputation de mondain superficiel que lui valut la publication de ces textes qui furent jugés comme des carnets de bal. Le mystère reste entier… une erreur de jeunesse ?
Du côté de chez Swann : le livre de Marcel Proust qui a failli ne jamais voir le jour
Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’André Gide s’en est mordu les doigts ! En Automne 1912, le jeune Marcel Proust vient de terminer son premier roman alors intitulé Le temps perdu. Plein d’espoir, il dépose son manuscrit à la NRF, une maison d’édition fondée un plus tôt par un certain Gaston Gallimard. C’est le célèbre écrivain, André Gide, qui ouvrira le livre en premier. Manque de chance, il tombe sur la page 62 où Marcel Proust décrit une interminable infusion de tilleul. Mais qu’est-ce donc ce rigolo qui souhaite se faire publier ? Le manuscrit de La recherche est gentiment retourné à l’envoyeur…
Heureusement l’histoire ne s’arrête pas là ! Vexé, mais loin d’abandonner son projet, Marcel Proust finit par publier Du côté de chez Swann à compte d’auteur chez Grasset. Le roman paraît le 14 novembre 1913 et, bientôt, les éloges fusent de toute part… ils traversent même les frontières ! En effet, le supplément littérature du Times n’hésitera pas à qualifier l’œuvre de Proust de fascinante avant d’oser la placer dans la lignée des livres de Henry James. C’est là qu’André Gide se rendit compte de son erreur regrettable…
… ce qui donna lieu aux excuses les plus célèbres de l’histoire de la littérature « Je me confesse à vous ce matin, vous suppliant d’être pour moi plus indulgent que je ne suis aujourd’hui pour moi-même ». Malgré sa rancœur, Marcel Proust finit, malgré tout, par accepter de publier la suite d’À la recherche du temps perdu avec Gallimard. Et quel flair ! En 1919, À l’ombre des jeunes filles en fleurs remportait le Prix Goncourt. Cependant, l’histoire nous rapporte que la rancune de Proust fut tenace…
Marcel Proust a signé le livre le plus long du monde
Quel écrivain français peut se vanter de figurer dans le Guinness des records sinon Marcel Proust ? Eh oui, ses grandes phrases grandiloquentes lui ont valu de hisser La recherche du temps perdu comme l’un des romans les plus longs du monde. Mais pourquoi « labellisée » l’œuvre de Proust plutôt que celle du japonais Sohachi Yamaoka qui compte plus de 10 millions de caractères ? Eh bien tout simplement parce que les livres de Marcel Proust sont, aujourd’hui encore, des romans couramment lus à travers le monde.
Avec ses sept volumes, ses 3000 pages, ses 1 300 000 mots et 9 609 000 caractères, À la recherche du temps perdu est indéniablement un exploit littéraire hors-norme qui méritait d’être souligné ! Mais rassurez-vous, afin d’éviter de faire peur à ses éventuels lecteurs, les éditions Gallimard ont divisé en sept tomes l’œuvre colossale de Proust.
La petite madeleine de Proust était en réalité une biscotte
Ah la petite madeleine… Mais si, vous savez, ce petit gâteau rendu célèbre grâce à Proust ! Dans son obsession de capturer le temps, sa petite madeleine est devenue le doux déclencheur d’un souvenir lié à l’enfance. Dans Du côté de chez Swann, Proust se souvient de sa tante qui avait l’habitude de lui donner de petites madeleines trempées dans du thé. Quand il goûte à nouveau à une madeleine, elle s’immisce alors comme le symbole du passé qui resurgit involontairement.
« Je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j’avais laissé s’amollir un morceau de madeleine. Mais à l’instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi »
Et c’est ainsi que les madeleines devinrent des pâtisseries iconiques…
Cependant… saviez-vous, qu’en réalité, la fameuse madeleine avait d’abord été du pain grillé puis une biscotte ? Incroyable, mais vrai ! Comment le savons-nous ? Eh bien, tout simplement grâce à un texte de Proust publié par Le Figaro où son personnage trempait du pain grillé dans du thé. Et voilà que le mythe s’effondre… En effet, dans ce passage, c’est bien le pain grillé qui lie l’émotion des sens à la résurgence d’un souvenir d’enfance et non la madeleine. Pire encore ! Dans une deuxième version de ce même passage, le pain grillé était remplacé par une biscotte… Il faudra attendre la troisième version pour que les petites madeleines fassent enfin leur apparition.
Mais alors… pourquoi les madeleines nous direz-vous ? Les explications sont nombreuses, mais toutes demeurent des hypothèses. Certains critiques littéraires, pour qui la pâtisserie rappelle le nom de Marie-Madeleine, évoquent une dimension christique. D’autres parlent simplement de la dimension sucrée de la pâtisserie que tous les lecteurs associent avec la douceur de l’enfance. Et d’autres vont même plus loin en associant les initiales de Marcel Proust avec celle de la Petite Madeleine. En bref, et vous l’aurez sûrement compris, le mystère entourant la madeleine de Proust n’a pas fini de faire couler de l’encre…
La recherche du temps perdu ne serait rien sans la gouvernante de Proust
Et si on vous disait que La recherche du temps perdu était une œuvre écrite à quatre mains… Bon d’accord, c’est un brin exagéré mais, une chose est sûre, l’œuvre de Proust n’aurait jamais trouvé son point final sans l’aide sa gouvernante répondant au nom de Céleste Albaret. Mais qui était-elle et comment est-elle arrivée dans la vie de Marcel Proust ? Eh bien… par le plus grand des hasards !
Céleste Albaret a grandi un petit village de Lozère. C’est après son mariage avec Odilon Albret, un chauffeur de taxi parisien, qu’elle quitte sa campagne natale pour la capitale. Très peu instruite, mais faisant preuve d’une remarquable finesse d’esprit, elle s’ennuie ferme pendant que son mari conduit ses passagers à travers les rues de Paris, mais… bingo ! Parmi ses clients se trouve un certain Marcel Proust qui lui propose alors de l’engager. C’est le début d’une collaboration extraordinaire…
Tandis que Proust est en pleine rédaction d’À la recherche du temps perdu, Céleste Albaret devient son assistante et règle ses petits problèmes existentiels comme son manque d’émargement pour faire ses corrections… Mais au fur et à mesure que la santé de l’écrivain se détériore, elle lui devient indispensable. Sans elle, il ne peut plus travailler. En effet, sur la fin de sa vie, c’est Céleste qui rédige le manuscrit pendant que l’écrivain lui dicte ses mots. Reconnaissant, Proust donnera son nom à l’un de ses personnages. Soyez attentifs la prochaine fois que vous lirez Sodome et Gomorrhe…
Après la mort de l’auteur, longtemps elle refusera de parler de ses souvenirs partagés avec Proust. Comme si c’était un secret qu’elle souhaitait préserver. Il faudra attendre ses 82 ans pour, qu’enfin, elle livre son histoire dans un livre intitulé Monsieur Proust. Un ouvrage sorti du plus profond de son cœur où elle brosse le portrait bouleversant d’un écrivain déboussolé par la maladie…
Marcel Proust a levé le tabou de l’homosexualité dans la littérature
Ce n’est un secret pour personne, Marcel Proust était un homme solitaire. Pourtant, lire La recherche du temps perdu, c’est réalisé qu’il avait un penchant pour les drames psychologiques. Si pour lui « aimer est un mauvais sort, comme ceux qu’il y dans les contes, contre quoi on ne peut rien jusqu’à ce que l’enchantement ait cessé », personne ne peut affirmer avec certitude qu’il n’ait jamais trouvé le grand amour. Pourtant, vous ne vous trompez pas, La recherche est bel et bien le récit d’un éveil sexuel.
Tout au long de ses livres, Marcel Proust fait de son narrateur, sans nom, un être neutre, un homme qui préfère ne jamais prendre parti. Alors, à la fin d’À la recherche du temps perdu, quand on comprend que beaucoup de personnages sont homosexuels, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur le statut du narrateur. Mais d’une pirouette théâtrale remarquable, Proust retourne la situation et là se dessine toute l’étendue de son talent. L’hétérosexualité de son héros – si on choisit de la croire – n’est pas un gage de bonheur.
Si Marcel Proust était doué pour poser des mots sur l’homosexualité, il l’était moins pour la vivre. En effet, l’ironie du sort veut que l’un des mots les plus utilisés dans La recherche soit celui de « femme ». Si Proust considérait son orientation sexuelle comme une malédiction, et prit ainsi le parti de la dissimuler au sein d’une société aristocratique qui ne l’appréciait guère, il fit quelques confidences révélatrices à sa chère Céleste. On raconte même qu’il avait certains penchants sadomasochistes… Mais ça, nous vous laissons le soin d’aller le vérifier.